Mois: avril 2015

Quatre scénarios d’évolutions syndicales en Europe

Que sera le syndicalisme demain? A qui s’adressera-t-il? Qui se retrouvera dans ses organisations? Existera-t-il encore simplement? « La participation des travailleurs à l’horizon 2030 » publié il y a quelques mois par l’Institut syndical européen ne répond à aucune question mais propose quatre scénarios possibles pour 2030. Invitation fort stimulante au débat.

Nous reproduisons la présentation faite par l’Institut du travail européen (ETUI), lié à la Confédération européenne des syndicats (CES), et donnons le lien vers le texte entier (72 pages).

La participation des travailleurs à l’horizon 2030. Quatre scénarios.

Michael Stollt et Sascha Meinert (Institut d’analyses prospective, IPA)

Date de publication : 2010

 

Edité par :

Michael Stollt et Sascha Meinert (Institut d’analyses prospective, IPA)

Cette nouvelle publication, sous la direction conjointe de Michael Stollt, chercheur à l’ETUI et Sascha Meinert, de l’Institut d’analyses prospectives de Berlin, s’inscrit dans le cadre d’un exercice ambitieux : se projeter dans le futur, plus précisément en l’an 2030. Quatre scénarios alternatifs explorent les perspectives à long terme et l’évolution du contexte de la participation des travailleurs sous divers angles en Europe. Les scénarios intègrent les grandes évolutions de la société, ainsi que les stratégies et les actions des personnes et des organisations, à commencer par les acteurs impliqués dans la participation des travailleurs.

L’objectif de ces scénarios n’est pas de prédire l’avenir mais plutôt de proposer un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler l’avenir. Ils ne sont pas destinés à dire aux gens ce qu’ils devraient faire ou ne pas faire. Ils permettent au contraire d’envisager plusieurs alternatives et de se préparer à différents cas de figure ainsi qu’aux risques et opportunités potentiels inhérents à ceux-ci. À la manière d’une boussole, qui permet de s’orienter dans l’espace, cet exercice permet de s’orienter dans le temps. Travailler avec des scénarios permet également de bien faire comprendre que l’avenir n’est pas encore écrit et que cela vaut la peine d’essayer de le façonner activement.

La projection dans le futur que la présente publication a choisi d’aborder – domaine de recherche assez atypique pour l’ETUI – a fait l’objet d’une mise en page et d’illustrations inhabituelles qui veulent mettre l’accent sur la dynamique des différents scénarios. La version papier de ce livre au format attrayant se présente sous la forme d’un ouvrage à reliure en spirale, avec une couverture en carton et des illustrations en couleur.

 Cliquez : 14-scénarios-2030_FR_WEB_RGB

 

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Journée du 9 avril : un argumentaire revendicatif de la CGT

La CGT a publié sur son site, à destination de son réseau militant, un argumentaire revendicatif sur les raisons de participer à la journée du 9 avril 2015 et fut plutôt réussie (à l’appel de CGT, FO, Solidaires, FSU). Nous le reproduisons ci-dessous parce qu’il est une tentative de construction revendicative globale, assez rare aujourd’hui. On a pu remarquer le 9 avril et autour du 9 avril que si des grèves se développent dans le secteur privé, ou des débrayages, la question salariale y occupe une place forte. Avec des revendications de type augmentation uniforme : 120 euros (chez Ecocert, par exemple, dans le Gers, entreprise de certification d’agriculture biologique), parfois beaucoup plus. Des résultats parfois importants sont enregistrés suite à ces luttes. Il manque cependant une démarche salariale globale au plan syndical interprofessionnel, hormis le SMIC.

Les 10 bonnes raisons de se mobiliser le 9 avril

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Salaire, égalité femme-homme, retraite, partage des richesses, service public, sécurité sociale… La CGT propose aux salairés, aux privés d’emploi et aux retraités au moins dix bonnes raisons de se mobiliser et de manifester demain, jeudi 9 avril.

1. Parce que je veux vivre de mon travail

L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale est formel… le niveau actuel du smic (1136nets/mois) ne suffit pas à une personne seule pour vivre et un célibataire doit gagner 1424 €, un couple avec deux enfants, 3284 € pour faire face aux dépenses « nécessaires » : disposer d’une voiture pour ses déplacements, d’une chambre par enfant de sexe différent et de plus de 6 ans ou encore de pouvoir partir en vacances une semaine par an pour les retraités.

Le 9 avril, salariés payés au Smic, privés d’emploi, retraités, bénéficiaires des minima sociaux, nous exigerons de porter le Smic à 1700 euros bruts, d’augmenter les minima sociaux, de dégeler les pensions de retraite et les porter au niveau du smic revendiqué par la CGT. Parce que ce que nous consommons peut participer à relancer la croissance.

2. Pour en finir avec le blocage des salaires des fonctionnaires

Le point d’indice, qui sert de base au calcul des salaires des quelque 5,2 millions d’agents et n’a pas été revalorisé depuis 2010. Depuis 2000, les choix gouvernementaux successifs ont conduit à un décrochage massif de la valeur du point par rapport à l’évolution des prix : c’est désormais à plus de 14% de perte de pouvoir d’achat que s’élèvent les pertes accumulées. Aujourd’hui, plus d’un million d’agents vivent avec des revenus équivalents au Smic. Les rémunérations de la Fonction publique ont perdu 5% par rapport à l’inflation depuis juillet 2010. Jamais les traitements de la Fonction publique n’ont été bloqués sur une telle durée. Ces pertes de pouvoir d’achat, par leur impact négatif sur la consommation de millions d’agents, ne sont pas non plus sans effet sur la relance de la croissance. Ce blocage a aussi un effet négatif sur les niveaux des pensions des millions de fonctionnaires retraités.

Le 9 avril, c’est le moment pour tous les agents de l’Etat, des collectivités territoriales, des hôpitaux d’exiger une hausse du pouvoir d’achat qui passe par le dégel du point d’indice et par des mesures compensatoires de rattrapage des pertes subies depuis des années. Dans l’unité la plus large possible, la CGT est déterminée à gagner l’ouverture de négociations permettant de déboucher sur un arrêt de la politique ravageuse de gel du point d’indice et obtenir une augmentation significative des salaires dans les fonctions publiques.

3. Pour exiger l’égalité effective des salaires entre les femmes et les hommes

Malgré des avancées incontestables (réussite scolaire, diplômes, hausse de l’activité des femmes y compris chez les cadres…), les discriminations que subissent les femmes restent fortes et tenaces. En dépit de cinq textes de lois français et européens, les femmes ont un salaire en moyenne de 27% inférieur à celui des hommes, une retraite de 40% plus faible. Elles sont concentrées dans un nombre limité de professions en général mal reconnues du point de vue salarial comme les services à la personne. Elles accèdent difficilement à des postes de responsabilité et subissent, pour la plupart, le temps partiel et une grande précarité.

Le patronat, rétrograde, bloque systématiquement toute avancée et le gouvernement se refuse à imposer aux entreprises une véritable obligation de négocier chaque année sur cette question.

Le 9 avril, veille d’une séance de négociation importante sur les régimes de retraite complémentaires, c’est le moment d’exiger tous ensemble, femmes et hommes de rendre effective cette égalité salariale. Progressivement réalisée, elle permettrait un accroissement des cotisations tel que tout déficit serait effacé à l’ARRCO. Quant au déficit de l’AGIRC, il serait réduit de près de moitié d’ici 2040.

4. Pour préserver nos retraites complémentaires sans reculer l’âge de la retraite

Depuis le 17 février syndicats et patronat s’affrontent dans les négociations sur les régimes de retraite complémentaires ARRCO (pour tous les salariés) et AGIRC (pour les cadres). Ces deux institutions essentielles de notre système de retraite connaissent un lourd problème de financement, aggravé depuis 2009 par la crise et par le refus patronal d’augmenter le montant des ressources allouées aux régimes.
Dans cette nouvelle séquence de négociations, le Medef avance avec une série de propositions qui visent toutes à réduire le niveau des pensions, repousser et réduire les réversions, reculer l’âge de la retraite sociale et même à remettre en cause le statut cadre en proposant la fusion des deux régimes.

Le 9 avril, c’est le moment pour tous les salariés du privé de peser sur cette négociation en exigeant, par exemple :
- Une augmentation de la cotisation AGIRC pour permettre aux cadres de cotiser autant au-dessus du plafond de la Sécurité sociale qu’en dessous et se constituer ainsi le même niveau de retraite sur la totalité du salaire ;
- L’élargissement de l’assiette de cotisation aux éléments de rémunération aujourd’hui exemptés (intéressement, participation, épargne salariale, etc.)
- La mise à contribution des dividendes versés par les entreprises aux actionnaires.

5. Pour que les richesses crées ne soient pas pillées par les actionnaires

En moyenne, chaque salarié du privé travaille aujourd’hui 45 jours par an pour payer leurs dividendes aux actionnaires alors qu’en 1981 ils représentaient 10 jours de travail par salarié dans les sociétés non financières. Selon une étude faite pour Le Monde par PwCs et publiée jeudi 5 mars, les entreprises du CAC40 ont vu leurs bénéfices progresser de 33% en 2014 pour atteindre 62,4milliards d’euros. Et cela alors même que le chiffre d’affaires de ces sociétés est demeuré quasi stable à 1222 milliards d’euros (+0,1%). Les actionnaires du CAC40 ont reçu l’année dernière 56milliards d’euros : 46 milliards d’euros au titre de versements de dividendes (+25% par rapport à 2013) et 10milliards pour les rachats d’actions (+55%). On se rapproche du record de l’année 2007. Pour les actionnaires, la crise est donc bel et bien derrière. Concrètement, pour parvenir à cette croissance démente des dividendes, sur les 40 sociétés composant l’indice CAC40, vingt-quatre ont mis en place des plans de réduction de coûts, poursuivant la baisse des « frais de structure » et des coûts de production. Parmi eux Danone, Michelin, Renault, Bouygues pour sa filiale Bouygues Telecom, Pernod Ricard, Lafarge, Saint-Gobain, Arcelor-Mittal, Solvay, Technip, Publicis groupe, BNP Paribas et Alcatel-Lucent…

Le 9 avril, mobilisons-nous pour exiger un autre partage de la richesse que nous créons par notre travail :

Pour que nos salaires augmentent, que nos qualifications et nos responsabilités soient reconnues. Pour développer les investissements productifs et la recherche. Pour financer la protection sociale.

6. Pour développer et renforcer les services publics locaux

Nos villes, nos départements et régions réalisent quelques 250 milliards d’euros de dépenses, soit 21% de la dépense publique totale (Etat : 380 milliards €) pour organiser le « vivre ensemble ». Elles réalisent 70% de l’investissement public hors défense et sont donc un élément important de l’activité économique en territoire. Elles font vivre ainsi des milliers d’entreprises et de services et sont souvent les premiers employeurs locaux. Elles bénéficient pour cela de transferts de l’Etat de l’ordre de 100 milliards € par an. Mais Pour financer le pacte de responsabilité (40 milliards € cadeaux au patronat) et respecter les engagements européens de rigueur via le programme de stabilité (50 milliards €), l’Etat entend réduire de 11 milliards € les dotations des collectivités territoriales. Résultat, les investissements ralentissent et c’est toute l’activité économique, le développement des territoires, la satisfaction des besoins des populations qui en pâtissent.

Le 9 avril, mobilisons-nous pour exiger le maintien des financements, des moyens humains des services publics territoriaux. Ces services publics de proximité et de qualité doivent être préservés et développés sur tout le territoire. Ils doivent être dotés de personnels en nombre suffisant, sous statut public, formés.

7. Pour augmenter les salaires et relancer l’économie

Loin de relancer la croissance et l’emploi, la politique de baisse des salaires, de précarité contribue à baisser le pouvoir d’achat, la consommation et la croissance et donc à baisser la demande interne et détruire massivement des emplois. La consommation des ménages compte pour 57% du Produit Intérieur Brut de la France. L’évolution du PIB dépend donc largement de cette consommation. Au cours des années 2000, elle explique deux tiers de la croissance de l’activité économique en France. Donc, tout ce qui freine le pouvoir d’achat plombe la reprise de notre économie.

Le 9 avril, exigeons une augmentation immédiate du Smic et un rattrapage réel du point d’indice dans la fonction publique qui donneraient un ballon d’oxygène immédiat. Revaloriser le Smic au-delà de l’augmentation automatique, les traitements des fonctionnaires, les prestations sociales seraient de nature à réenclencher une spirale vertueuse et à libérer le pouvoir d’achat des salariés.

8. pour dire non au projet de loi Macron

Dans de nombreuses branches et professions comme le commerce, le projet de loi Macron suscite colère et inquiétude. Adopté en force à l’Assemblée grâce à l’article 49.3, c’est un texte fondamentalement idéologique. Il est tentaculaire dans son contenu puis qu’il touche à de nombreux aspects du droit du travail et domaines économiques. En résumé, c’est :
- plus de facilités pour licencier ;
- la banalisation du travail le dimanche et du travail de nuit et le risque de leur extension à d’autres secteurs que le commerce ;
- la possibilité pour le patron de déroger au Code du travail ;
- la mise à mort des conseils des prud’hommes et de la médecine du travail ;
- l’affaiblissement de l’inspection du travail ;
- l’affaiblissement des instances représentatives du personnel.

Le 9 avril, poursuivons la mobilisation unitaire contre ce projet de loi Macron, car il est possible d’obtenir des avancées. La mobilisation dans l’unité a déjà permis de faire reculer le gouvernement sur certains aspects touchant par exemple aux prud’hommes ou au secret des affaires. Par ailleurs, trois articles de la loi Macron visent à renforcer la lutte contre le travail illégal, diminuer les fraudes, notamment dans le cas des travailleurs détachés en augmentant significativement les amendes en cas d’infraction des employeurs. Ils rendent possible la suspension de la prestation ou une amende dans le cas où les principes basiques du code du travail ne sont pas appliqués à un travailleur détaché et instaurent la carte professionnelle pour les salariés du bâtiment afin de lutter contre le travail illégal.

9. Parce que pour gagner, il faut lutter

Depuis plusieurs semaines, de nombreux conflits se multiplient, notamment à l’occasion des négociations annuelles obligatoires. Ces mobilisations touchent aux salaires, à l’emploi, aux conditions de travail. Ainsi, les salariés des magasins Tang, la chaîne d’alimentation asiatique, ont mené la première grève de leur histoire pendant plusieurs semaines. Ils sont obtenu l’ouverture de négociations sur la durée du travail, sur les augmentations de salaires, la mise en place d’une grille des salaires, des qualifications, les pauses et les congés légaux. Une première victoire qui en appelle d’autres. Les salariés de Sanofi à Sisteron ont menées cinq semaines de lutte et ont obtenu80 € net sur la prime de poste afin de compenser la pénibilité subie par des équipes travaillant en faisant, par exemple, les « 3×8 », des embauches et la garantie d’investissement sur un nouvel incinérateur. Et ils ont ainsi donné le signal de l’action à leurs collègues d’autres usines du groupe. Leur détermination est renforcée par les annonces de résultats et de dividendes versés aux actionnaires et par la prime de 4 millions d’euros à leur nouveau patron.

Ces luttes sont souvent menées dans l’unité syndicale, gage de succès : ainsi dans le groupe bancaire BPCE (Caisse d’Épargne, Banque Populaire, Crédit Foncier, Crédit Coopératif, Natixis, BPCE S.A, Banque Palatine…) pour la première fois depuis la création du groupe toutes les organisations syndicales (CFDT, Unsa, CGT, CFTC, FO, CFE-CGC/SNB,SUD Solidaires) ont appelé le 24 mars à une grève pour « de meilleures conditions de travail, une politique salariale juste et motivante, un service à la clientèle correspondant véritablement aux valeurs coopératives du groupe ». Cet appel survient après l’échec des négociations salarialesdans les deux principales branches du groupe où aucune augmentation générale n’a été accordée pour 2015. Cela alors même que de source syndicale, on apprend que lePDGde la Caissed’Epargne,FrançoisPérol, bénéficierait d’une part variable de 850 000euros.

Le 9 avril, donnons du poids à nos mobilisations, faisons converger nos luttes, mettons nous en grève et manifestons tous ensemble d’une seule voix, dans les entreprises, dans les manifestations et rassemblements organisés partout et notamment dans les rues de la capitale.

10. parce que ma Sécu, ma retraite, ma santé j’y tiens

La Sécurité sociale, pilier de notre système de protection sociale, est l’objet d’attaques incessantes du patronat et du gouvernement. Les droits des salariés et des retraités sont remis en cause, tant du point de vue de l’assurance maladie que de la retraite ou de la politique familiale. Il en résulte toujours plus de difficultés pour se soigner, vivre décemment sa retraite, élever ses enfants…

Le patronat, soutenu et accompagné par le gouvernement se désengage du financement de la Sécurité sociale pour verser des dividendes encore plus juteux aux actionnaires. Avec le pacte de responsabilité il vient encore d’obtenir des milliards d’euros de cadeaux sans contreparties en termes d’emploi. Avec pour conséquence directe la remise en cause de l’universalité des allocations familiales.

Le 9 avril, mobilisons-nous pour défendre et développer notre Sécurité sociale, notre système de retraite solidaire, notre système de santé. Pour répondre aux besoins en matière d’accès aux soins, de retraite, de prestations familiales, il faut augmenter les ressources. Nous pouvons y parvenir par :
- la création d’emplois stables et correctement rémunérés ;
- une croissance réactivée par une véritable politique industrielle et des services publics performants ;
- une distribution des richesses crées plus favorable au monde du travail ;
- l’augmentation / revalorisation des salaires.

Retraités, poursuivons notre mobilisation dans l’unité avec les salariés actifs et les privés d’emploi pour en finir avec le gel pensions qui rabote notre pouvoir d’achat, contre la dégradation des conditions d’accès aux soins, le délitement des services publics.

Syndicalisme et travail : une tribune de syndicalistes

Quand on explore un peu ce qui se passe dans les réflexions syndicales, on découvre une véritable recherche de nouvelles voies pour l’émancipation, même si elles sont encore très minoritaires. La CGT remet la réduction du temps de travail à l’ordre du jour (Solidaires ne l’avait jamais abandonnée), des syndicalistes et salarié-es remettent en marche des entreprises en SCOP ou d’autres moyens « autogérés », et d’autres encore estiment que la porte d’entrée d’une nouvelle pratique syndicale se trouve dans la volonté de reconstruire la « cité » démocratique par la maîtrise collective des relations de travail, et de ce qui s’y passe au quotidien. A condition bien sûr d’en délibérer.

La tribune ci-dessous est parue dans l’Humanité du vendredi 10 avril.

 

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Fichier : Les travailleurs sont les véritables

Les travailleurs sont les véritables « experts »

Par Yves Bongiorno, Tony Fraquelli, Christophe Godard et Jean-François Naton, militants syndicaux.

 

Pour ouvrir une nouvelle ère 
de la démocratie et des droits de l’homme
Les négociations sur le dialogue social se sont soldées le 21 janvier dernier par un échec cuisant pour le patronat. Au nom de la sacro-sainte compétitivité des entreprises, celui-ci avait pour ambition d’amputer les droits des salariés, de les désarmer sur-le-champ de la qualité du travail et des conditions de travail. Une conception de la compétitivité fondée sur une telle régression n’est qu’un expédient sans valeur et sans avenir. S’étant faite sur l’essentiel, l’unité des confédérations syndicales a déjoué la stratégie du Medef. Le gouvernement annonce sa volonté de légiférer. Aussi le mouvement syndical doit-il rester mobilisé, prolonger son effort pour faire prévaloir les droits et les moyens nécessaires à un dialogue social enfin utile au monde du travail et efficace pour le développement économique et social du pays.
La « crise » est maintenant souvent qualifiée d’indissolublement économique, sociale et environnementale, ce qui est en soi un progrès. Mais elle est rarement interrogée à partir du travail. Et si la crise, au tout début du « big bang », était d’abord celle du travail ? À force de sacrifier le travail sur l’autel de la lutte pour l’emploi en imposant la précarité, en segmentant les parcours professionnels, au mépris de toute logique d’apprentissage ; à force de négliger le débat sur la qualité du travail bien fait et l’efficacité du travail utile, le mal-travail et son cortège de pathologies, de souffrances, « explosent » les dépenses, ravagent l’économie, plombent le social, disloquent le vivre-ensemble et la démocratie ; pour finir par compromettre gravement l’efficacité et la qualité des productions et des services, en minant la compétitivité vraie, celle de la coopération et de la compétence. Un outil a été créé, le CHSCT, pour promouvoir la compréhension et la transformation des situations de travail. Le patronat ne s’y est pas trompé : sa volonté (et celle à peine voilée d’une partie du gouvernement) reste de dissoudre les CHSCT à un moment où il faudrait au contraire les généraliser ! Le droit de penser, de dire et d’agir sur son travail est à préserver et bien plus encore à conquérir…
Penser le travail pour « panser » le travail doit être notre priorité syndicale. Cela ne peut se faire sans donner la parole aux véritables experts du travail, aux créateurs de richesses : les travailleurs eux-mêmes. En effet, lorsqu’il travaille, l’individu retravaille toujours ce qui lui est prescrit, il n’est jamais simple exécutant soumis. Les femmes et les hommes ne sont jamais totalement victimes de la parcellisation des tâches, des modes d’organisation du travail. Ils ne sont jamais totalement assujettis à la gestion, au marketing, à la communication… Car le travailleur recentre toujours le cadre prescrit de son activité professionnelle autour de ses propres normes de vie. Ainsi, au travers du moindre de ses actes, dans son activité réelle, il se construit, tisse des liens avec les autres, produit du lien social, de la solidarité, de la société… et de la subversion ! Nous touchons là le cœur d’une désobéissance susceptible de faire surgir la perspective des renversements à venir.

« S’occuper du travail, c’est croire en l’être humain, en son génie, pour construire « la cité » où chaque travailleur devient citoyen »

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p style= »text-align:left; »>C’est un formidable potentiel pour le syndicalisme et l’ensemble des forces sociales progressistes qui souhaitent qu’adviennent enfin une véritable liberté et une démocratie au travail… Et au-delà ! S’occuper du travail, c’est croire en l’être humain, en son génie, pour construire « la cité » où chaque travailleur devient citoyen. Cette ambition impose le droit à la parole, à l’écoute, au respect, à la vérité, et exige la participation de toutes et tous à partir des réalités de leur travail. C’est dans le travail, par la possibilité de s’exprimer directement sur son travail, qu’il faut restituer à l’être humain son pouvoir et sa capacité d’agir : il y trouvera des outils individuels et collectifs pour « construire en santé » une dimension essentielle de sa personnalité.
Les métiers sont l’aboutissement des collectifs construits par les travailleurs pour bien faire leur travail. Même si ces collectifs ont été mis à mal, les métiers ignorés, bafoués, ils sont toujours là, les travailleurs ne cessent de les construire et reconstruire dans l’invisibilité. Grâce à cela, encore des trains roulent, l’électricité arrive dans nos maisons, les services publics résistent malgré toutes les coupes claires. Les travailleurs font des miracles chaque jour. Même en voie d’affaiblissement, ce potentiel considérable ne sera jamais mort, il est le reflet de cette recherche d’émancipation des travailleurs. Mais il doit être maintenant mis en visibilité et reconnu. Permettre aux travailleurs d’exprimer leurs savoir-faire devenus des métiers, les valoriser, les transmettre aux plus jeunes, c’est se donner les moyens d’un nouveau développement du pays, que ce soit dans l’industrie ou les services.
Affirmer les liens entre les enjeux du travail, ceux de la santé et de l’organisation des solidarités dans la cité. Une telle volonté nous amène logiquement à penser la sécurité sociale d’aujourd’hui et de demain, celle qui garantira une sécurité sociale « santé », et une sécurité sociale « professionnelle ». Cette exigence d’un nouveau plan complet de mise en sécurité sociale s’inscrit dans une dynamique de prévention de la précarité et de 
la désinsertion professionnelles, une dynamique de lutte contre 
les inégalités, contre tous les processus d’exclusion ; un nouveau plan de sécurité sociale afin de se dégager d’une culture réparatrice, « compensatrice » du méfait accompli, c’est-à-dire d’une forme abusive de déni de la responsabilité par la redistribution, pour s’engager dans des démarches de prévention, d’éducation et de promotion du travail et de la santé. La recherche de solutions à la crise du vivre-ensemble ne passe pas par la casse du Code du travail, des IRP, et par la remise en cause des prérogatives des différents acteurs du travail et de la santé. Au contraire, nous devons conquérir de nouveaux droits.
La citoyenneté, la liberté dans, par et avec le travail doivent s’installer dans toutes les entreprises et services de ce pays. Pour cela, le droit à la représentation collective pour tous les travailleurs, quelle que soit la taille de leur entreprise, est incontournable. Il s’agit d’ouvrir une nouvelle ère de la démocratie et des droits de l’homme au travail, de réinterpréter le sens et le rôle de l’entreprise, en l’affranchissant de la tutelle étroite et discrétionnaire des employeurs et des actionnaires, en accomplissant une nouvelle étape de l’émancipation du travail et des travailleurs.

Enseignement privé et laïcité : un dossier de la CGT enseignement privé

Dans son journal Trait d’Union de mars 2015, le syndicat national CGT de l’enseignement privé publie un dossier sur les défis de la laïcité dans les établissements  sous « caractère propre » , c’est-à-à-dire autorisés à délivrés des enseignements religieux (catholiques en très grande majorité, mais aussi juifs ou musulmans). Il relève les distorsions entre le langage officiel de la Ministre de l’Education nationale, Madame Najat Vallaud-Belkacem, proposant des mesures pour défendre la laïcité depuis les attentats de janvier 2015, et les pratiques régnant encore dans ces établissements bénéficiant à 90% de crédits publics (et notamment de postes d’enseignants) pour leur fonctionnement, mais ne respectant pas toujours le droit des enseignants à la neutralité  lorsqu’ils (elles) sont sommés par les autorités religieuses  de remplir certaines activités sortant de leurs missions.  Ce dossier remet à jour la notion de « caractère propre » de ces établissements (il en retrace l’histoire), de laïcité (et sa différence avec l’athéisme), de république, de liberté critique et de liberté de conscience.  Un éclaircissement salutaire.

 

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  •  Les articles ci-dessous sont extraits du dossier :

 

Laïcité et république : même dans le privé ?

Najat Vallaud-Belkacem a présenté le jeudi 22 janvier 2015 onze mesures issues de « la grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République ». Transmission des valeurs républicaines, laïcité, citoyenneté et culture de l’engagement, lutte contre les inégalités et mixité sociale, mobilisation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche sont au centre de ces mesures.
Pour la Ministre, « la grande mobilisation pour les valeurs de la République est celle de toute l’École, y compris l’enseignement agricole et l’enseignement privé sous contrat. ». Chiche !
Citons encore le site du ministère de l’Education Nationale, et le texte de présentation des 11 mesures décidées par l’administration :
« L’École est un révélateur des tensions qui traversent la société française et des inégalités qui la marquent. Le délitement du lien social au cours des trente dernières années de crise économique n’a pas épargné l’École. Le sentiment de désespérance, l’accroissement des inégalités et la prévalence du déterminisme social, l’incapacité collective à prévenir le décrochage scolaire endémique d’une partie de notre jeunesse, ont entamé la mission d’égalité de l’École. Les discriminations, l’écart entre les valeurs affichées et les réalités vécues, les replis identitaires, les velléités communautaristes, les logiques d’entre-soi ont affaibli son ambition de fraternité.
Dans une société en perte de repères et caractérisée par une forme de relativisme ambiant qui favorise amalgames et indifférences, l’École peine aujourd’hui à assurer les missions que la République lui a confiées, transmettre des connaissances et être un creuset de la citoyenneté, et à susciter la confiance des élèves et des familles.
Après les attentats qui ont visé le coeur des valeurs républicaines, la mobilisation du peuple français est porteuse d’une exigence vis-à-vis de l’ensemble de la société, et singulièrement de l’École dont le rôle et la place dans la République sont inséparables de sa capacité à faire vivre et à transmettre la laïcité.

« École et République sont indissociables. Elles doivent le rester »

L’École est, et sera en première ligne, avec fermeté, discernement et pédagogie, pour répondre au défi républicain, parce que c’est son identité et sa mission profonde. École et République sont indissociables. Elles doivent le rester. »
Notre syndicat approuve la démarche de la Ministre. Les mesures à prendre doivent être à la hauteur des enjeux et des difficultés de notre société. Nous craignons malheureusement que ces belles intentions ne se heurtent, dans l’enseignement privé, tant à un lobby communautariste intransigeant sur ses « positions acquises » – les réseaux catholique et juif qui souhaitent garder leur emprise sur un pan de l’école, le réseau musulman qui souhaite s’y développer – qu’à une administration bien frileuse pour imposer aux structures de l’enseignement privé des valeurs qui risqueraient de devoir affronter le fameux « caractère propre ».
L’exemple de la Charte de la Laïcité, dont la diffusion n’a pu être imposée aux établissements privés, est à ce titre révélateur des limites de notre système. Sur Caen (voir pages suivantes), le recteur d’académie plie devant l’évêque et le directeur diocésain, et ne défend pas la « liberté de conscience », pourtant garantie aux enseignants depuis la loi Debré…
Une Journée de la laïcité sera célébrée dans toutes les écoles et tous les établissements le 9 décembre (mesure n°2). Cette journée, dans les établissements privés, subira-t-elle le même sort que la Charte évoquée plus haut ? Il y a fort à parier que nous aurons à bagarrer, dans nos établissements, pour faire respecter cette journée et y donner du sens. Rappelons que la Laïcité, c’est le principe de séparation de l’Etat et des religions. Mais c’est également le respect de toutes les croyances. C’est enfin ce qui garantit, pour les enseignants des établissement privés, leur liberté de conscience…

Combattre les inégalités et favoriser la mixité sociale

La encore, le défi est ambitieux. La aussi, la place de l’enseignement privé interroge. Pour notre ministère, « la réduction des inégalités scolaires passera par de nouvelles mesures en faveur de la mixité et de la mobilité sociale, un engagement renforcé pour la maîtrise du français, et une meilleure prise en compte des enfants en situation de pauvreté. Il faut mettre fin à l’écart que vivent trop d’élèves et leurs parents entre les principes de la République et leurs réalités quotidiennes, ce qui signifie une lutte sans merci contre le déterminisme social, qui est le moteur de la désespérance. »
Bien. Mais notre gouvernement est-il en capacité, a-t-il la volonté d’interroger les causes de ce sombre constat ?
D’où viennent les difficiles réalités quotidiennes ? Qui encourage le déterminisme social ? Comment s’est développée dans notre pays la ghettoïsation de certains quartiers, laissant de côté, livrés à eux-mêmes, des pans entiers de nos villes ?
Nous avons toujours lutté contre la suppression de la carte scolaire. Nous avons toujours martelé que l’enseignement privé contribuait à casser la mixité sociale. Les personnels qui travaillent dans les établissements privés sont-ils responsables de cette situation ? Bien sûr que non. Nous prenons nous aussi, en fonction des régions, notre part dans la gestion difficile de jeunes dont la situation est de plus en plus fragile. Mais il faut bien accepter que nos établissements sont souvent un refuge face aux difficultés rencontrées dans certains quartiers. Les familles les plus aisées, les plus informées, peuvent ainsi contourner le problème, avec la bénédiction de l’Etat qui finance nos établissements, creusant ainsi encore davantage l’écart entre les populations.
Pour notre ministre (mesure n°8), « un état des lieux sera établi en 2015-2016 en matière de mixité sociale au sein des collèges publics et privés sous contrat ». Ce constat ne sera pas suffisant pour « Renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux », mais c’est une étape indispensable.

Alors quelles solutions ?

 

Pour nous, la République est en danger. L’enseignement confessionnel sous contrat avec l’Etat, financé à 90% sur des fonds publics, sera dans les années à venir le chantre du communautarisme. Quelle société aurons-nous lorsque, dans quelques années, 30% des élèves seront scolarisés dans des écoles catholiques, 20% dans des écoles musulmanes et 10% dans des écoles juives, le tout aux frais du contribuable « laïc » ? Il sera alors trop tard pour se poser la question du « vivre ensemble ».
L’Etat doit faire preuve de courage et réfléchir véritablement à l’instauration d’un grand service public de l’Education Nationale, laïc et gratuit…
« l’enseignement privé contribue à casser la mixité sociale… »

 

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Peut on revendiquer sa « liberté de conscience » tout en travaillant dans l’enseignement catholique ?

 

 

Cette question doit être abordée de front. Elle touche non seulement les collègues, y compris les adhérents de la CGT, mais également les médias, voire l’administration. Que le directeur de cabinet d’un Recteur puisse répondre à une interpellation sur le sujet « si vous ne souhaitez pas participer à des journées pastorales, il fallait choisir d’enseigner dans le public » est révélateur. Et inquiétant.
Commençons par l’absurde : un salarié de chez Dassault doit-il se promener le week-end en char de combat ou en rafale ? Un salarié de chez EDF doit-il nécessairement être un pro-nucléaire ? Un écologiste a-t-il le droit de manger de la viande ?
Pour nous, la question devrait être aussi simple et la réponse claire : ce n’est pas parce que nous enseignons dans un établissement privé confessionnel que nous devons faire preuve de notre (bonne) foi dans l’exercice de notre métier d’enseignant. Nous sommes des agents publics, rémunérés par l’Etat (laïc), et les croyances de chacun relèvent de notre sphère privée.
Par ailleurs, si la « liberté de conscience » nous est garantie par la loi, c’est bien pour que nous puissions nous y référer. Un droit qui n’est pas utilisé est un droit qui meurt. Croyant ou non, que l’on ait envie ou non de participer à une journée pastorale ne change rien : nous devons soutenir les collègues qui ne souhaitent pas le faire, au même titre que nous devons soutenir Charlie Hebdo et la liberté d’expression, même si nous n’apprécions pas les propos du journal !
Soyons encore plus clairs : tous les enseignants devraient refuser d’utiliser des heures de cours pour « réfléchir à un projet diocésain ». S’ils souhaitent ardemment participer à cette réflexion, dans le cadre d’une concertation organisée, c’est possible… en dehors du temps pédagogique…

 

Et le caractère propre, dans tout ça ?

 

Eddy Khaldi, enseignant et auteur du livre « Main basse sur l’école publique », est intervenu lors d’un colloque organisé par le CEDEC (Chrétiens pour une Eglise Dégagée de l’Ecole Confessionnelle ), notamment sur le thème du caractère propre. Pour lui, seuls quelques initiés connaissent ce concept nébuleux, un leurre juridique opposable au principe constitutionnel fondamental de « liberté de conscience ».
Il rappelle que ce terme de « Caractère propre », a provoqué la démission du ministre de l’Education Nationale en 1959, avant qu’il ne soit inscrit dans la loi Debré. Juristes, historiens, sociologues de l’éducation… n’ont jamais réussi depuis à s’entendre sur une définition de cette notion abstraite et redondante.
Ce fameux « caractère propre » est inscrit dans l’article L442-1 du Code de l’éducation (« l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’Etat. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience ». C’est un concept destiné à ne pas contrevenir ouvertement à l’article 2 de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905.
Rappelons quand même qu’en 1978, c’est au nom du « caractère propre » qu’un établissement privé a pu licencier une enseignante, parce qu’elle était divorcée et remariée ! La Cour de Cassation avait validé cet acte !
Aujourd’hui, ce concept flou permet à l’Église de chercher à reprendre la main sur une population d’élèves et d’enseignants qui ne fait plus le choix des établissements privés pour des questions religieuses. Surtout, il permet à des libéraux de mener une concurrence acharnée face à l’enseignement public, utilisant autant le caractère propre pour sa dimension religieuse que pour mettre en place des pseudo innovations pédagogiques ou contourner les mesures prises par l’Etat (c’est le cas, des rythmes scolaires).
Est-il concevable que des établissements financés à 90% par des fonds publics ne respectent pas les règles communes, et utilisent leur financement pour entrer en concurrence avec le « public » ?
Pour la CGT, l’éducation ne doit pas être un marché concurrentiel, sauf à vouloir développer un système à deux vitesses – comme en connaissent les Etats-Unis – et à laisser se développer le communautarisme. Dans ce cas, pas sûr que les valeurs que les enseignants tentent de défendre au quotidien en sortent vainqueur.
Pas sûr non plus que nos conditions de travail y gagnent beaucoup…
Tant que l’Etat n’aura pas pris ses responsabilités, c’est donc tous les jours, face à chaque tentative de dérive, que nous devons collectivement défendre nos droits !