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Réflexions sur l’ogre numérique

Nous publions une réflexion de la FILPAC CGT sur le numérique.

Le titre du dossier s’intitule : Affaire en or pour quelques uns, choc social pour tous les autres.

Voici le chapeau du décryptage proposé :

Pourquoi cette agitation soudaine ? Voici Axelle Lemaire qui sollicite les avis des internautes sur son avant-projet de loi numérique, communiqué à minima, réduit aux têtes de chapitres. Et puis, Mettling, l’inspecteur des Finances DRH d’Orange, qui rend un rapport, « Transformation numérique et vie au travail », destiné à l’imminente loi Macron 2 concoctée pour transformer le salariat en « auto-entrepreneurs » et « travailleurs nomades ». Une accélération perceptible dans toutes les entreprises.

En savoir plus …Numérique,l’affaire en or

Les 120 ans de la CGT : un dialogue entre Maryse Dumas et Sophie Béroud

A l’occasion des 120 ans de la CGT (1895-2015), l’Humanité publie un numéro hors-série, disponible dans les kiosques (7 euros). Y figure entre autre une interview croisée de Maryse Dumas, responsable du programme des manifestations que la CGT organisera tout au long de cette année, et de Sophie Béroud, maitre de conférence en sciences politiques à Lyon 2, spécialiste du syndicalisme.  Au cours de cet échange, Maryse Dumas revient sur quelques questions-clefs actuelles : l’émancipation du salariat (« qui sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes« ), utopie fondatrice de la CGT,  les grands mouvements sociaux producteurs de droits, les problèmes contradictoires de l’institutionnalisation,  la portée transformatrice du travail, le rapport du syndicalisme à la politique (« …ce sont toujours les syndicats que l’on interroge sur leur rapport au politique... »). Nous remercions Maryse Dumas de nous avoir transmis cet échange très intéressant.

 

Nouveau hors-série de l’Humanité sur les 120 ans de la CGT

 

 

 

Entretien croisé Maryse Dumas et Sophie Béroud

En quoi les ambitions portées par la CGT dès sa création sont-elles encore d’actualité ?
Maryse Dumas : Les questions que la CGT se pose aujourd’hui ne sont pas très différentes de celles qu’elle se posait aux origines. Le contexte a changé, le salariat,  le droit syndical, les moyens de l’action syndicale ont changé, mais l’idée que le syndicat sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, reste toujours actuelle. Tout comme me paraît d’une criante actualité l’idée de la « double besogne » assignée au syndicalisme par la charte d’Amiens de 1906 : à la fois répondre aux préoccupations quotidiennes et construire un projet d’émancipation du salariat, Aujourd’hui, un actif sur cinq est dans une situation de chômage ou de sous-emploi, d’autres sont contraints de travailler dans une situation illégale, et sont totalement invisibles. Les salariés sont considérés comme des variables d’ajustements, ravalés au rang de chiffres. Cette mission sous-jacente qu’a eue le syndicalisme des origines, de permettre à des catégories, mises au banc de la société, de se connaître, de se reconnaître et de se faire reconnaître, reste plus que jamais à l’ordre du jour.
Sophie Beroud. Il est fort intéressant de se replonger dans les débats de l’époque, afin de voir comment est construit un outil qui permette de rassembler tout le monde. Le salariat a changé mais les enjeux restent les mêmes : comment on retrouve un groupe, un collectif, des revendications qui vont permettre de mobiliser les salariés. Dans l’histoire de la CGT, il y a plein de discontinuités mais il y a aussi une certaine continuité sur cette mission de rechercher un projet d’émancipation collective pour faire changer la vie des travailleuses et des travailleurs, un projet plus global, un projet d’ensemble qui ne se cantonne pas simplement à la défense des intérêts immédiats des salariés. Il y a à la CGT, une envie de conquête, une recherche de dignité, d’affirmation d’une place dans la société.

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Le mouvement syndical apparait aujourd’hui affaibli. Pour certains, il se serait trop institutionnalisé. L’implication dans les multiples lieux de négociation aurait pris le pas sur la lutte, la construction du rapport de forces …
Maryse Dumas : Obtenir des droits est dans la logique de l’action syndicale. C’est dans les grands mouvements sociaux qu’on gagne aussi des droits pour les syndicats, rarement en dehors. Une fois ces droits obtenus, faut-il les utiliser ? Évidemment, oui. A la CGT, nous sommes conscients de deux risques permanents : le risque d’institutionnalisation, le risque de marginalisation. Si, au prétexte du risque de s’institutionnaliser, nous refusons d’utiliser les droits de représentation acquis par les luttes, alors nous serons marginalisés. Ce n’est pas une trop grande présence de la CGT dans les instances de représentation qui nourrit le risque d’institutionnalisation, c’est surtout le fait qu’elle n’est pas assise sur une syndicalisation et une vie syndicale suffisamment importantes. Historiquement, le mouvement progressiste a été porté par les acquis obtenus dans les grandes entreprises et les services publics où les syndicats étaient forts, en nombre de syndiqués et en vie syndicale démocratique. La désindustrialisation et les privatisations ont considérablement affaibli cette force de frappe et la CGT elle-même car elle y avait ses bases syndicales les plus importantes. Aujourd’hui, le rapport de forces est inversé, c’est le moins-disant social qui l’emporte en s’alignant à la baisse sur les petites boîtes où le syndicat est très peu présent, mais où travaillent une majorité de salariés.
Sophie Béroud. Il ne faut pas opposer institutionnalisation et contre-pouvoir. C’est une vision schématique. Il n’y a pas de mauvaise institution, ce sont les usages que l’on en fait. Il y a même un défaut aujourd’hui d’institution, de droit syndical. Il n’existe pas de droit syndical interprofessionnel, pour organiser entre eux des salariés isolés, de droits syndicaux dans les petites entreprises, de protections pour les militants et les syndiqués, vis-à-vis de toutes les formes de discrimination et de pression pour ceux qui acceptent de prendre des responsabilités. Tout comme il n’y a pas en France de reconnaissance du syndicalisme, de l’activité syndicale comme faisant partie de la citoyenneté. C’est important aussi parce que c’est souvent, dans le discours dominant, un procès que l’on fait aux syndicats d’être trop institutionnalisés et du coup d’avoir perdu le contact avec les salariés.
Parmi les points de faiblesse, on constate un décalage, grandissant semble-t-il, entre l’implantation de la CGT et le salariat d’aujourd’hui. Bien que le diagnostic soit fait dans les congrès, les choses ne semblent guère bouger sur ce plan. Pourquoi ?
Sophie Béroud. C’est très compliqué de représenter les classes populaires, mais la CGT a joué ce rôle et continue de le jouer, même avec difficulté. Il y a toujours eu des enjeux sur les catégories que le syndicalisme atteint le moins. La CGT a toujours eu ce souci d’être en prise avec l’appareil productif. Mais bouger les structures, c’est aussi repenser les champs interprofessionnels, le niveau du pouvoir politique. Là encore, la mise en mouvement de l’organisation existe même si cela ne va pas assez vite. Lorsqu’il y a un syndicalisme catégoriel, il est difficile de passer à une base plus large. Car cela nécessite de faire des actions communes, de poser les enjeux, d’élaborer des revendications qui permettent de construire un outil, une fédération plus large. C’est compliqué aussi parce que les pratiques militantes sont différentes, mais aussi parce qu’il y a des enjeux financiers. Dans des secteurs avec un très faible taux de syndicalisation, où se trouvent beaucoup de syndiqués isolés, le rôle des unions locales et départementales, la dimension interprofessionnelle, sont décisifs. C’est le lieu où peut se créer un cadre collectif, un lieu pour se réunir, mais il y a là aussi des difficultés. En raison de la faiblesse du nombre de militants, déjà très accaparés. Des choix doivent être faits pour enclencher cette dynamique.
Maryse Dumas : L’idée que la structuration doit bouger est largement partagée dans l’organisation. Le problème est surtout sur : vers où aller et comment ? La structuration actuelle écarte celles et ceux qu’il faudrait prioriser : parmi les syndiqués dits « isolés », c’est à dire sans lien avec un syndicat de base, on voit une surreprésentation des jeunes, des femmes, des salariés en précarité. Or, elles et ils sont la figure montante du salariat, celle qui est la plus exploitée et a le plus besoin de s’organiser. Notre fonctionnement actuel ne le permet pas. Même dans les entreprises où la CGT est présente, cela se résume trop souvent à un fonctionnement autour des seuls élus. Il y a aussi des mandats (de délégués, de responsables syndicaux) qui durent trop longtemps, ne permettant pas de renouveler les pratiques, de féminiser et rajeunir les collectifs. Cela tient pour une part à des insuffisances du droit syndical sur les parcours militants. Lorsqu’un militant a un trou de 10 ans dans son CV du fait d’une activité permanente à la CGT, comment retrouver du travail ? De même, il n’y a pas de reconnaissance du syndicalisme interprofessionnel notamment au plan local. De ce fait, les présences militantes au service de l’ensemble des salariés sont pompées sur les heures de délégations obtenues dans telle ou telle entreprises. Cela  complique aussi l’évolution de la structuration. Ne nous cachons pas non plus que des visions différentes des missions de l’organisation conduisent à des visions différentes de la structuration : si elle n’a pour seule fonction que l’application du droit, alors des permanences juridiques suffisent au niveau local. Si elle a un rôle d’émancipation et d’éducation populaire, il faut des syndiqués actifs et une vie syndicale au plus près des gens. Si elle vise l’action, la négociation, et la conquête, alors il faut constituer des forces face aux employeurs. De même si on pense le changement de société à partir de la transformation du travail, plutôt que par le seul changement de gouvernement.
N’y a-t-il pas également des raisons d’efficacité ?
Maryse Dumas : La CGT s’est construite autour du syndicat d’entreprise. Mais quel est aujourd’hui le périmètre de l’entreprise : la maison mère ? Les filiales, les sous- traitants ? Comment prendre en compte les mobilités des salariés, les alternances entre plusieurs employeurs ?… Nous avons essayé d’élargir les périmètres, par exemple dans les centres commerciaux, en créant des syndicats de site. Sauf que nous n’arrivons pas à avoir un interlocuteur patronal interprofessionnel du centre commercial avec lequel on puisse discuter des horaires d’ouvertures, de la sécurité, des toilettes… Et c’est objectivement un obstacle à un syndicalisme efficace.
La question du rapport à la politique revient également très fortement dans les débats de la CGT…
Maryse Dumas. La CGT ambitionne de transformer la société par la transformation du travail. Parmi nos propositions, un statut des salariés qui permette à chacun, de l’entrée dans la vie active jusqu’à la retraite, de disposer de droits que les employeurs devraient respecter. Nous pensons qu’en transformant le travail, en permettant aux salariés d’être maîtres d’œuvre de son contenu, sa finalité, son utilité sociale, de l’organisation de leur travail, on fait reculer la notion même de marché, et on avance sur les préoccupations humaines et environnementales. Sur la base de ce projet, la CGT est prête à débattre avec tous ceux qui le souhaitent, autres syndicats, partis politiques, associations. Je remarque que ce sont toujours les syndicats que l’on interroge sur leur rapport au politique, qu’on réduit souvent aux rapports aux partis politiques, voire même à tels ou tels partis politiques. C’est la vieille maladie de la gauche en France que de considérer l’action syndicale comme seconde, voire subalterne de l’action politique. Les partis politiques de gauche, singulièrement le parti majoritaire, continuent de croire qu’ils parlent au nom de tout le monde, y compris au nom des travailleurs, au nom des syndicats, alors qu’ils n’acceptent pas ou peu de se confronter à eux. Or c’est de confrontations et d’échanges, mais véritablement réciproques, qu’il y a besoin. Depuis les années 70, les partis politiques de gauche ont délaissé les questions du travail et les ont déléguées aux syndicats, alors même que le travail est identitaire de la construction de la gauche en France. Beaucoup de questions se posent aujourd’hui sur l’équilibre véritable de cette démocratie qui se vit avec un suffrage redevenu quasiment censitaire plutôt qu’universel, dans la mesure où ce sont systématiquement les catégories populaires, les ouvriers et employés qui font le gros des abstentionnistes. Lorsqu’ on veut le changement de société, on doit veiller à l’indépendance des syndicats, parce que travailler à l’indépendance, c’est se dire qu’une fois arrivés au pouvoir, les luttes syndicales nous aideront à pousser les feux vers les revendications du travail au détriment du capital. L’indépendance des syndicats détermine la sincérité d’un projet qui vise à faire reculer le capitalisme et à faire émerger les revendications du travail.
Sophie béroud. Sur les rapports au politique, la CGT a eu des phases très intéressantes dans les années 1990/2000. Il y a eu une séquence de distanciation avec le Parti communiste, et même presque la crainte de parler politique. Avec la volonté de marquer les frontières. Puis, il y a eu une évolution. Une fois la distanciation acquise, la CGT a pu recommencer à dialoguer avec différents types d’organisations, en estimant être porteuse d’un certain nombre d’éléments et d’idées sur ce qui se joue dans le travail. Même si toutes les organisations de la CGT ne vont pas à la même vitesse. Il y a par moment, en fonction du contexte et de la situation, des tentations de revenir à des liens plus étroits avec des organisations politiques, de revenir vers les schémas historiques.
Maryse Dumas. La période de distanciation a aussi permis de réfléchir non seulement à l’indépendance, mais surtout à la spécificité de la démarche syndicale. Un parti politique vise le pouvoir, le gouvernement ; l’objectif du syndicat est de gagner sur les revendications quel que soit le pouvoir en place et la couleur politique du gouvernement, en usant de tous les moyens possibles pour créer les rapports de forces.
Dans ce rapport de forces, l’unité syndicale reste-t-elle une des clés ?
Maryse Dumas. La division syndicale offre au patronat une possibilité d’avancer dans ses objectifs antisociaux. L’unité d’action des syndicats crée une dynamique favorable à l’entrée en action de nombre de salariés qui ne le feraient pas autrement. C’est donc une question clé. Dans le paysage actuel, dès qu’il y a négociation, on pense institutionnalisation, on dit signature et on dit CFDT. Pour nous, il existe une autre façon de négocier, une façon CGT qui prend en compte les revendications des salariés, qui veut définir avec eux l’enjeu de la négociation, trouver les moyens de créer un environnement favorable à la satisfaction des revendications, par l’action, l’unité d’action et la consultation des salariés à toutes les étapes.
Que révèle la crise de direction qui vient de frapper la CGT ?
Maryse Dumas : Le principe à la CGT c’est que la base décide et fait remonter ses attentes. Le niveau national confédéral n’a de pertinence qu’en réponse à ces attentes-là. S’il n’y répond pas, c’est l’idée même de confédération qui est fragilisée. Au tout début, avant la guerre de 1914, le rôle assigné à la confédération par ses fondateurs était de parvenir à la grève générale. Devant les échecs répétés, un certain partage des tâches entre les différents niveaux, fédérations professionnelles, organisations interprofessionnelles territoriales et confédération, s’est structuré. Il reposait, surtout après la Libération, sur des syndicats nombreux et forts dans des grandes entreprises et services publics qui donnaient le « la ». Or, dans une société où le particularisme l’emporte sur les solidarités, où la force de frappe syndicale dans les entreprises s’affaiblit, où le syndicat de base voit le nombre de ses syndiqués réduit à la portion congrue, nous arrivons au bout de cette vision. On demande à la direction confédérale nationale de suppléer les défaillances sans pour autant lui donner les moyens de véritablement impulser une stratégie de développement. C’est donc le rôle d’une confédération dans le salariat et l’état des forces syndicales actuels qui est aujourd’hui posé.
Sophie Béroud. Il est un peu tôt pour analyser cette crise. Les difficultés semblent être liées à un apprentissage de la démocratie interne. Aujourd’hui, la CGT trouve en elle-même ses propres référents démocratiques. Depuis les années 1990, la CGT se construit en cherchant sa propre démarche pour renouveler sa démocratie. Il n’y a pas eu assez de discussions, il n’y a pas eu le temps de la discussion. Les militants d’aujourd’hui sont pris dans une exigence démocratique très forte, mais s’il n’y a pas le temps pour cela, alors il peut y avoir des hiatus. C’est ce que perçoivent les militants à la base.
Maryse Dumas : Nous avons trop peu débattu en particulier du rôle de la confédération. Or celui du bureau confédéral et du secrétaire général en découlent. Si on ne discute du secrétaire général qu’en terme nominatif, il n’y a pas de solution. Quelle que soit la personne, même très performante, elle ne peut incarner toute la diversité de la CGT. Il y a aussi à innover en matière de démocratie interne. Les syndiqués actuels n’ont, souvent, pas d’autres expériences démocratiques que la CGT. Or la démocratie syndicale est une forme tout à fait particulière de démocratie qui reste méconnue. Mais la cause principale se trouve dans la non-clarification, voire la mise en cause des évolutions de la CGT de ces dernières années. Reste la question fondamentale : comment construire l’émancipation du salariat, le changement de société sans une confédération faisant converger toutes les professions sur ces objectifs ? La crise confédérale peut être une chance si elle conduit à de nouvelles innovations démocratiques.
Sophie Béroud. La crise peut s’expliquer aussi parce qu’il y a des choses qui ont bougé dans la CGT et qu’il n’y a plus adéquation entre le haut et le bas. Il n’y a pas que du négatif, les réponses se trouvent aussi dans ce qui a bougé. Et ce n’est pas, comme certains voudraient le laisser penser, un effondrement de l’organisation.
Entretien réalisé par Clotilde Mathieu

 

  • Vu sur le site de la CGT  : 12 mois pour 120 ans

1895 : Limoges : La Confédération générale du travail se constitue et le mouvement syndical s’unifie. 2015 : La CGT veut marquer ses 120 ans par des initiatives au plus près du terrain, avec celles et ceux qui ont fait, font et feront la CGT d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Chaque mois de l’année sera l’occasion de réfléchir, agir et construire ensemble, sur différentes dimensions de l’activité syndicale, à travers une multitude d’initiatives aux formats divers : expositions, colloques, conférences, initiatives revendicatives, sportives, culturelles… partout en France. Les rendez-vous seront tournés vers la jeunesse et l’avenir, en s’appuyant sur l’histoire.

Trois temps forts jalonneront l’année : l’ouverture des initiatives « 120 ans » et l’inauguration de l’exposition « La CGT a 120 ans » le 4 mars à Montreuil, un colloque à Limoges à l’occasion de la date anniversaire du congrès fondateur et une soirée festive, en décembre, qui clôturera les célébrations.


FÉVRIER

La CGT et les droits d’intervention des salariés

Quel rôle a tenu la CGT pour que les comités d’entreprise soient mis au service des droits d’intervention des salariés sur les stratégies de gestion des entreprises ? Au service aussi de l’accès du plus grand nombre à des activités culturelles, de loisirs, de sports, de vacances de grande qualité, à des tarifs accessibles ? À l’occasion des différents salons des CE, retour sera fait sur le 70e anniversaire de la création des comités d’entreprise, sur le rôle majeur de la CGT pour développer et accroître ces droits.


MARS

La CGT et la féminisation du salariat

Le 8 mars est depuis 1910 la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. La CGT interrogera son rapport à l’engagement syndical des femmes, à leur prise de responsabilité et traitera plus généralement des questions féministes et d’égalité, avec notamment une rencontre nationale à Montreuil le 5 mars.

La CGT et le développement économique

La semaine de l’industrie sera l’occasion de faire connaître les ambitions de la CGT pour faire de la France une nation industrielle, respectueuse des préoccupations de développement durable.

La région Aquitaine viendra construire un chalet, du 30 mars au 3 avril, pour démontrer tout l’intérêt du développement d’une filière nationale du bois. Cette initiative articulera luttes, revendications et créations artistiques avec la compagnie de B. Lubat, R. Bohringer, C. Gibault, le Paris Mozart Orchestra, etc. D’autres filières, comme la métallurgie ou les cheminots, profiteront de cette semaine pour organiser des initiatives. Un forum régional sur la mer devrait se tenir en Bretagne.

L’union départementale du Vaucluse avec l’IHS et les cheminots inaugureront le 14 mars la gare SNCF de Carpentras pour la réouverture de la ligne après une bataille revendicative de la CGT de quarante ans.

La fédération des Cheminots et son collectif Dom Tom organiseront le 19 mars une journée consacrée à la départementalisation des DOM, qui aura bientôt 70 ans, avec exposition et animation musicale.


AVRIL

La CGT et les évolutions du travail

Le travail sera au cœur des initiatives du mois d’avril 2015 : ses évolutions multiples et les exigences de réponses syndicales nouvelles qu’elles appellent.

Un colloque de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens mettra l’accent sur le travail qualifié tandis que d’autres initiatives porteront l’attention sur le travail ouvrier ; l’occasion de faire le point sur les apports de la CGT pour transformer le travail et l’émanciper.


MAI

La CGT et la solidarité internationale

Les manifestations du 1er mai 2015 donneront une résonance particulière au combat historique de la CGT pour la paix, la solidarité entre tous les travailleurs du monde et pour l’unité. Une initiative au Creusot en présence de Bernard Thibault, membre du conseil d’administration du Bureau international du travail devrait en donner une illustration particulière.

Diverses initiatives illustreront les combats de la Résistance pour parvenir le 8 mai 1945 à la capitulation des armées nazies. Elles seront l’occasion de mettre en évidence les valeurs d’égalité, de solidarité et de respect des libertés fondamentales de tout être humain dont notre époque a cruellement besoin.

L’union départementale de l’Hérault organise le 23 mai un forum international des syndicats de la Méditerranée sur la transition énergétique et les politiques d’austérité avec film, débat, repas, concert, etc.

Du 13 au 14 mai, le Festival de Cannes, dont la CGT est cofondatrice, sera l’occasion de mettre en exergue la part d’histoire commune du cinéma et de la CGT et l’actualité des enjeux qui les traversent. Une exposition et une soirée spéciale sera organisée au Festival international du Film à Cannes par l’union départementale des Alpes maritimes, l’union locale de Cannes, la FNSAC et l’ANCAV-TT.

L’Avenir social organise deux initiatives dédiées à la solidarité. L’une sera de faire participer aux manifestations du 1er mai, deux femmes ayant collaboré à la création de la première classe d’alphabétisation au Sénégal. L’autre de permettre à des personnes précaires, sans emploi ou sans papiers, d’aller et de participer au Festival de Cannes, voire de fouler le tapis rouge.


JUIN

La CGT en territoires

Le 5 juin, l’union départementale de Loire-Atlantique engagera un débat sur les interactions entre l’art et le monde du travail. Comment une pièce de théâtre peut permettre à des syndicalistes de prendre de la hauteur sur leur activité, de mieux cerner les préoccupations des salariés, de faire émerger des perspectives nouvelles…

La Bourse du travail de Saint-Denis propose, le 11 juin, une projection-débat « Plaine de Vies » sur les enjeux syndicaux liés aux mutations sociales et économiques et industrielles notamment celles de l’industrie audiovisuelle et cinématographique.

Le 13 juin, la question des Services publics sera sur le devant de la scène à partir d’initiatives unitaires dans la Creuse. L’accent sera mis sur le syndicalisme en milieu rural à partir notamment, d’une initiative organisée les 20 et 21 juin dans le Gers.

En juin, le centre Benoît Frachon propose une journée d’étude sur l’action de la CGT en matière de formation syndicale, de culture et d’éducation populaire. Une salle « Marius Bertou » sera inaugurée et suivie d’un spectacle vivant autour du théâtre et de la poésie.


JUILLET/AOUT

La CGT et la vie hors travail

À l’occasion du Tour de France et des festivals de l’été, la CGT interrogera son rapport au sport, à la culture, aux loisirs. Elle reviendra sur ses batailles pour la RTT et pour obtenir « le temps de vivre ». La question des différentes formes d’emplois saisonniers, précaires, intermittents, ne sera pas oubliée, pas plus que les luttes de la CGT pour les droits collectifs et individuels des salariés.

Au Festival d’Avignon exposition et spectacles seront proposés par l’union locale CGT d’Avignon, l’union départementale du Vaucluse et la fédération du Spectacle, de l’Audiovisuel, du Cinéma et de l’Action culturelle.

Au Festival également, la région Rhône Alpes amarre une péniche comme lieu de rencontres et propose un débat le 11 juillet sur les 70 ans des CE et notamment les activités culturelles, les liens entre les CE et le monde de la culture.


SEPTEMBRE

La CGT et l’unité des syndicats

Comme tous les ans, le Forum social de la fête de l’Humanité proposera des débats. Ceux-ci porteront la dimension des 120 ans.

Le festival de la marionnette du 18 au 27 septembre à Charleville Mézières pourrait être l’occasion d’une présence syndicale originale, dans une forme d’art et de spectacle très populaire.

Un ouvrage collectif sera réalisé par des camarades de l’union départementale de l’Ain avec une lecture scénarisée lors d’une initiative organisée le 25 septembre avec expositions et spectacles vivants.

Le 26 septembre, l’union départementale du Gard clôturera sa série d’initiatives par des conférences avec le grand public sur leurs attentes vis-à-vis du syndicalisme en général et de la CGT en particulier. Des concerts alterneront ces débats.

Le congrès de la Confédération européenne des syndicats à Paris, du 28 septembre au 2 octobre, sera l’occasion de présenter les spécificités et l’histoire du syndicalisme français aux délégués des syndicats européens.


OCTOBRE

La CGT, le choix d’être une confédération pour les solidarités entre salariés

La commémoration de l’acte fondateur de la CGT en 1895 sera l’occasion d’organiser le 15 octobre à Limoges une initiative culturelle populaire et grand public avec l’organisation d’une journée de réflexion militante sur la portée actuelle du choix d’un syndicalisme confédéré, de ses principes de fonctionnement et de structuration et des réponses nouvelles à imaginer au service d’un salariat en pleine évolution. La mémoire ouvrière de la ville sera saluée au travers l’inauguration d’une rue à la mémoire de Marguerite Saderne. Et enfin, le Club omnisports de la CGT organisera une randonnée cyclotouriste de 120 kms à Limoges.

C’est en octobre aussi que seront célébrés les 70 ans de la création de la Sécurité sociale. Composante essentielle de notre modèle social, elle est au coeur d’enjeux de société fondamentaux, qui appellent à la plus extrême vigilance et à la mobilisation.

C’est sur ce thème en lien avec notre démarche revendicative d’une Sécurité sociale professionnelle que l’union départementale d’Indre-et-Loire propose un débat public avec animations culturelles le 5 novembre.

L’union départementale de Saône-et-Loire organise trois jours de festivité avec des interventions, des expositions, animations culturelles, musicales et théâtrales, etc., sur la spécificité du régime minier en tant que modèle pour la Sécurité sociale du futur.


NOVEMBRE

La CGT et les moyens d’être efficace au service des salariés

L’union départementale de Gironde construit une initiative sur sa bourse du travail à Bordeaux, lieu chargé d’histoire, de culture, de trésors d’art mais aussi de luttes et de résistance.
D’autres comme celles de Rochefort, de Rennes, l’union locale de Cholet ou encore l’union locale de Corbeil qui fête ses 110 ans, seront à l’honneur, leur histoire, mais aussi leur utilité actuelle au service des salariés et de l’éducation populaire. Certaines viennent d’être rénovées, d’autres seront inaugurées comme celle de Roissy Charles de Gaulle, d’autres ont besoin de l’élan collectif pour être sauvées.

Partout l’activité CGT en territoires sera mise en exergue avec l’exigence de locaux syndicaux dignes de notre temps et des besoins des salariés.

Le 5 novembre, la bataille des idées et la presse syndicale feront l’objet d’une rencontre sous l’égide de Vie Nouvelle et de l’Union confédérale des retraités, en collaboration avec les autres publications de la CGT.

La conférence Paris Climat 2015, à partir du 30 novembre, donnera lieu à de multiples initiatives et débats lancés par la CGT pour créer les conditions d’un développement humain durable, démocratique et porteur de progrès.


DÉCEMBRE

La CGT et les privés d’emplois

Comment la CGT combat-elle toutes les formes d’exclusion de l’emploi ? Comment s’est-elle organisée pour permettre aux salariés privés d’emplois de lutter pour leurs droits et leur proposer des formes de syndicalisation qui correspondent à leurs attentes et possibilités ? Les manifestations du 5 décembre seront l’occasion de mettre en lumière l’activité des comités CGT des privés d’emplois

La CGT et les jeunes

Un événement festif clôturera l’année. Il donnera une grande place à la jeunesse et permettra à la CGT de se tourner avec confiance vers les échéances futures.

Des organisations comme l’union départementale de l’Ariège proposent tout au long de l’année des initiatives (forums, débats, expositions, animations culturelles, etc.) en y associant des syndicats, des unions locales, des fédérations.

Plusieurs fédérations et unions départementale, qui tiendront leur congrès en 2015, en profiteront pour mettre les 120 ans de syndicalisme CGT à l’honneur au travers d’initiatives multiples à l’égard de leurs délégués.

Un remerciement tout particulier à la FNSAC (fédération du Spectacle, de l’Audiovisuel, du Cinéma et de l’Action culturelle) qui participe et apporte sa connaissance dans le domaine artistique à une multitude d’initiatives.

Un bulletin syndical interprofessionnel vivant : l’UD CGT Haute Loire

Le bulletin de l’Union départementale CGT de Haute Loire (Solidaires) est chaque mois un modèle de vie syndicale concrète, avec des exemples d’actions, des arguments, des résultats, et de la fête aussi. Pas étonnant qu’elle soit une de celles qui (relativement à la taille du département) recrute le plus à la CGT! Ci-dessous le lien vers le numéro de février, et le lien vers un argumentaire sur la loi Macron. Ainsi qu’un article montrant une lutte gagnante contre le travail du dimanche.

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lien vers le bulletin : Février 2015

Argumentaire loi Macron 4-pages-loi-macron

E C H O  D E S  S Y N D I C A T S
Travail du dimanche, la lutte paye !
Suite à une réunion publique et répondant à l’appel de l’Union Départementale et du syndicat Commerce CGT 43, de nombreux salariés s’étaient donné rendez-vous sur la zone commerciale, devant le parking d’Intermarché Langeac, le dimanche 15 février, exprimant ainsi leur refus de se voir imposer le travail du dimanche. En effet, les directions de plusieurs grandes surfaces ont décidé de mettre en place le travail dominical, contre l’avis largement majoritaire des employés.
Le syndicat rappelle que cette mesure est économiquement absurde et socialement injuste. Le pouvoir d’achat des ménages n’étant pas extensible au nombre de jours d’ouvertures, le chiffre d’affaires ne ferait que se répartir autrement sur la semaine, sans pour autant augmenter.
Les conséquences sur la vie privée des salariés seraient graves. Le dimanche est bien souvent le seul jour de la semaine où ceux-ci peuvent se reposer, profiter pleinement de leurs proches ou se
consacrer à des activités culturelles, sportives, associatives.
Ce secteur d’activité connaît déjà une précarité et des conditions de travail difficiles, aussi nous ne saurions accepter aucun recul social.
Tolérer le travail du dimanche, c’est préparer une société où celui-ci serait généralisé à tous et toutes, encore au détriment des travailleurs.
La forte mobilisation des salariés a payé. En effet, les supermarchés Langeadois resteront fermés les dimanches. Une négociation s’engage concernant la période estivale et les jours fériés.
Jean-Yves DERIGON – Alain TALON

 

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Reconnaître le caractère délictuel des réorganisations structurelles dont l’objectif principal est de passer ou de se maintenir sous les seuils de la représentation élue ou syndicale

Entre les lignes entre les mots

couverture-rapport-212x300« L’objectif de ce rapport est de rendre visible les phénomènes de répression et de discrimination anti-syndicales » – « L’Observatoire est un espace d’information et de dénonciation des discriminations et des différentes formes de répression antisyndicales en France, un lieu de débat, de connaissance, d’alerte, une ressource pour tous les militants qui luttent pour faire respecter les droits syndicaux et par là-même les droits de tous les salariés ».

Les auteur-e-s analysent les différentes formes de discriminations syndicales, les différentes facettes de la répression syndicale. Elles et ils parlent, entre autres, du pouvoir managérial, du chantage au déroulement de carrière, de la discrimination à l’embauche, des sanctions disciplinaires, des harcèlements, des licenciements, des interventions patronales privilégiant telle ou telle organisation syndicale…

Au fil des chapitres, les auteur-e-s font des propositions, qui seront regroupées, en fin de rapport sous les rubriques :

  • « Faciliter l’accès à la justice pour les salariés…

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Syndicalisme: cinq défis à relever, vu par Le Monde

 Michel Noblecourt, journaliste au Monde, chargé notamment de la rubrique « vie syndicale », nous a communiqué son article de commentaire sur le livre : Syndicalisme : cinq défis à relever, paru dans Le Monde du 17 février 2015. Nous l’en remercions. 

130201-logo-le-monde« Syndicalisme : cinq défis à relever. Unissons-nous ! » Ouvrage collectif coordonné par Jean-Claude Branchereau et Patrick Brody, Editions Syllepse, 140 p., 10 euros

Ils sont onze syndicalistes d’horizons divers – CGT, CFDT, CFTC, FSU, UNSA – qui ont au cœur une même préoccupation : le syndicalisme se délite et apparaît « de moins en moins crédible ». Se disant à la fois « radicaux » – « nous œuvrons pour un changement où le travail prendrait le pouvoir sur le capital » – et « réformistes » – ils cherchent à « changer en mieux, obtenir des améliorations » –, ils ont choisi, dans une démarche inédite, de s’exprimer ensemble, sous la houlette de deux militants cégétistes, Jean-Claude Branchereau (banque) et Patrick Brody (commerce) pour changer le syndicalisme. Ce livre n’est pas un cri de détresse. Il ne brise pas tous les tabous. Mais il avance des propositions décapantes.

Ce « syndicollectif » identifie cinq défis à relever d’urgence. Le premier, c’est la revendication « en lien avec les salariés ». Plus radicaux que réformistes, les auteurs défendent « un syndicalisme offensif de résistance et de progrès ». Critiques sur l’accord de 2013 sur l’emploi, signé par la CFDT, ils invitent à « bien distinguer compromis, avancées partielles et reculs ».

Sur le défi de l’unité, ils jugent que les raisons historiques de la division syndicale sont« pour certaines obsolètes » et ironisent sur ces forces qui agissent ensemble à la Confédération européenne des syndicats et à la Confédération syndicale internationale et se battent entre elles en France. Leur idée de créer un « conseil national permanent du syndicalisme » ne manque ni d’audace ni d’utopie…

« Changement de paradigme »

Le troisième défi est celui de la démocratie qui doit être « réellement participative », ce qui suppose que « les syndiqués doivent pouvoir décider, être consultés », d’abord dans l’entreprise. Sur la sacro-sainte indépendance, ils préconisent un « dialogue ouvert au grand jour » afin de réinventer les liens entre syndicalisme et politique : « Ni subordination, ni instrumentalisation, ni indifférence, c’est un rapport d’égal à égal qu’il convient de construire. » Enfin – cinquième défi –, ils plaident pour un « changement de paradigme », en intégrant la dimension européenne « depuis l’élaboration des revendications jusqu’à la négociation en passant par la définition des modes d’action ».

Pour Pierre Héritier, ancien secrétaire national de la CFDT, à son aile gauche, le syndicalisme « est menacé d’assèchement. Il doit retrouver sa place là où sont les salarié(e)s ». Gérard Aschiéri, ancien secrétaire général de la FSU, juge « mortifère »le clivage entre réformistes et radicaux : « Le syndicalisme qui se réclame de la transformation sociale a aussi besoin d’efficacité à court terme et de victoires partielles, tandis que le syndicalisme qui se dit réformiste se trouve vite bloqué par des marges qui ne font que se rétrécir s’il se contente de s’y inscrire. » Ce manuel est souvent discutable. Mais il est utile à méditer pour qui veut redonner de la crédibilité au syndicalisme.

Michel Noblecourt

Représentativité syndicale et loi de 2008 : on n’a pas fini d’en parler !

L’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), dont il est assez souvent question sur ce blog,  est un organisme « au service des organisations syndicales représentatives des travailleurs » et « il a pour fonction de répondre aux besoins exprimés par les organisations syndicales représentatives dans le domaine de la recherche économique et sociale ».

Nous publions ci-dessous l’introduction, le sommaire et le lien d’accès d’un rapport de recherche menée sur l’influence de la loi du 20 août 2008 sur les relations professionnelles dans les entreprises et commandée par la CGT.

Il faut rappeler aussi, sur ce même thème, le travail coordonné par Sophie Béroud (maître de conférences de science politique à l’université Lumière Lyon-2)  et Karel Yon (CNRS-CERAPS, Université de Lille) pour la DARES, avec Marnix Dressen, Cécile Guillaume, Maïlys, Gantois, Donna Kesselman et Jean-Michel Denis, qui n’est étonnamment pas cité dans ce rapport de l’IRES. Deux rapports ont été publiés en 2011 et 2013 et sont librement téléchargeables ici et ici

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Cliquez pour avoir la totalité du texte : loi_2008_rapport-2

L’influence de la loi du 20 août 2008 sur les relations collectives de travail dans les entreprises- Enquête sociologique et analyse juridique

par Adelheid Hege (responsable scientifique), Aurianne Cothenet, Josépha Dirringer, Christian Dufour, Marcus Kahmann
septembre 2014

INTRODUCTION

La loi du 20 août 2008 « portant rénovation de la démocratie sociale » modifie en profondeur les règles d’accès à la représentativité syndicale. Son objectif est de consolider la légitimité du pouvoir de représentation exercé par les syndicats de salariés, tout particulièrement dans le cadre de la négociation collective. Dans les entreprises, la mobilisation électorale des salariés décide, pour chacune des organisations en lice, de la possibilité d’accéder, ou non, au statut d’acteur de la négociation collective comme à la qualité de syndicat autorisé à signer (ou à contester) des accords collectifs. De mauvaises performances électorales risquent d’écarter du jeu de la représentation collective qui cesse de garantir la pérennité institutionnelle antérieure. La « clarification » qu’apportent les nouvelles techniques de détermination de la voix légitime à exprimer les intérêts des salariés est mise en avant par les services du ministère du Travail : « La loi du 20 août 2008 a transformé en profondeur la représentativité syndicale en la fondant sur des critères rénovés, objectifs et appréciés périodiquement » (ministère du Travail, 2013 :194). Du côté des partisans comme des opposants de la réforme de la représentativité syndicale issue de la position commune Medef – CGPME – CFDT- CGT, des changements significatifs ont été anticipés en ce qui concerne la présence syndicale dans les entreprises, la conduite des négociations collectives, les modes d’organisation des échanges entre les acteurs.

Quels changements imputables à la loi de 2008 peut-on observer dans l’exercice de la représentation collective et dans les rapports collectifs du travail dans les entreprises ? La consécration électorale vient-elle conforter la légitimité représentative et négociatrice des équipes syndicales ? L’élimination des voix très minoritaires rend-elle plus fluide et plus percutant le dialogue social local ? Des mécanismes de validation plus transparents des acteurs syndicaux sont-ils en mesure de donner un nouveau souffle à la négociation collective ? Un double travail d’investigation mené dans le cadre de l’IRES pour l’Agence d’objectifs de la CGT devait fournir des éléments de réponse à ces questions.

Une enquête sociologique et une étude juridique ont été menées en parallèle entre 2012 et 2014 par deux équipes de chercheur(e)s. Il s’agissait de mieux comprendre les stratégies des acteurs dans les entreprises à un moment où la loi avait déjà produit des résultats : des premiers cycles électoraux avaient eu lieu sur les sites de travail et leur agrégation devait fonder, au cours de la recherche, la détermination de la représentativité des organisations sommitales.

Les deux études réunies dans ce rapport ont des objets différents ; elles se distinguent par le champ étudié comme par les exigences méthodologiques propres à chacune des deux disciplines. L’étude sociologique repose sur des enquêtes empiriques menées auprès d’acteurs syndicaux et d’employeurs dans des établissements de grande et de petite taille. L’étude juridique consiste dans l’analyse d’accords collectifs de droit syndical. Les panels étudiés, construits indépendamment et sans prétention de représentativité dans l’un et l’autre cas, sont d’ampleurs inégales : centré sur un petit nombre de groupes français ou internationaux dans le cas de l’étude juridique, plus étendu et construit pour approcher la diversité des configurations syndicales et des modes de gestion des relations sociales dans le travail sociologique. Le groupe est le niveau d’exploration dans la recherche juridique, l’établissement sert de porte d’entrée à l’analyse sociologique. Pour cette dernière, il s’est agi d’appréhender le jeu des acteurs dans un contexte de transformations multiples : quelle est l’empreinte de la loi de 2008 sur les relations entre représentants et salariés, et entre représentants et employeurs ? L’étude juridique s’est intéressée à la façon dont l’injonction législative oriente (ou non) la production normative dans les entreprises : comment les acteurs s’emparent-ils des dispositions de la loi ? Les deux rapports offrent ainsi deux éclairages distincts sur des problématiques spécifiques liées à la capacité transformatrice, potentielle ou réelle, de la loi.

Les deux études toutefois entrent aussi en résonance de sorte que, au-delà de la différence des objets, elles livrent un regard croisé sur les modes d’appropriation de la loi de 2008 par les acteurs dans les entreprises.

Par précaution méthodologique, les deux études cherchent à situer la période qui s’ouvre avec l’entrée en vigueur de la loi dans une perspective temporelle plus longue. L’étude juridique procède à la comparaison d’accords de droit syndical conclus, dans les mêmes entreprises, avant et après l’entrée en vigueur de la réforme. L’approche sociologique consiste à entendre syndicalistes et dirigeants d’entreprise dans l’objectif de recueillir les appréciations qu’ils font plus généralement des évolutions observées dans leur environnement, économique, social, institutionnel, syndical. Les chercheurs retournent dans des entreprises déjà visitées dans le cadre d’études dédiées à des champs connexes dans les années 1990 et/ou 2000 (un tiers du panel sociologique).

Les articulations à l’intérieur des systèmes de représentation dans les entreprises retiennent également l’attention des deux équipes. Elles sont susceptibles d’être affectées, au-delà de l’action de la loi, par la densification des agendas de négociation collective d’entreprise sous impulsion étatique. Comment se comparent les statuts et moyens dédiés aux représentants syndicaux centraux chargés des responsabilités de négociation, et le rôle dévolu, dans les accords de droit syndicaux, aux représentants « de base », dont l’élection sur les sites du travail décide de la représentativité syndicale ? Quel intérêt y est porté aux « autres » tâches représentatives incombant aux équipes syndicales (DP par exemple) qui échappent au champ de la négociation collective, pierre angulaire de la réforme de la représentativité syndicale ? D’un point de vue sociologique, il est crucial de comprendre où prend naissance le pouvoir représentatif. La contribution des salariés à la légitimation de leurs représentants s’épuise-t-elle dans l’acte du vote, souvent quadriennal ? La participation à la négociation (obligatoire) peut-elle être considérée comme l’élément organisateur du rôle représentatif qu’exercent les délégués à l’encontre de leurs mandants, et comme l’épicentre de leur pourvoir représentatif ?

Les deux études dessinent ainsi un champ de tensions, dans lequel se confrontent, d’une part, les légitimités locales et centrales de la représentation collective, les unes construites dans l’établissement, les autres instaurées au sommet de l’entreprise, et, d’autre part, les légitimités dérivant de tâches spécialisées (négociation collective) et celles produites dans l’exercice des rôles généralistes de la représentation syndicale (la « représentation au quotidien » ; Dufour, Hege, 2002). Cela soulève la question de l’autonomie que sont en mesure de faire valoir les collectifs syndicaux qui cherchent à déterminer eux-mêmes le centre de gravité de leur action, dans un contexte ou pouvoirs étatiques et patronaux se montrent activement investis dans l’écriture des agendas représentatifs. L’un des paradoxes de la réforme de la représentativité syndicale, et non le moindre, pourrait être que la légitimité représentative se décide dorénavant dans un espace (le site du travail) que la loi désigne (entre les lignes) comme étant le moins stratégique dans l’édifice de la représentation. Quelle sera dès lors la motivation des équipes syndicales locales à persévérer dans l’exercice et celle de leurs mandants à participer à la construction de la représentativité de leurs mandataires ?

Dans ce rapport, les deux études sont présentées successivement. Elles peuvent se lire indépendamment l’une de l’autre. Mais chacune contient des éléments de cadrage susceptibles d’éclairer l’approche opposée. Ensemble elles livrent une compréhension plus globale des évolutions du système de représentation collective des salariés. Dans sa première partie, l’étude sociologique met en perspective historique les mécanismes de reconnaissance de la représentativité dans un système dual français marqué par un interventionnisme étatique appuyé, et la transformation du statut qui y est reconnu au principe électif. L’étude juridique précise, en première partie, les transformations opérées avec le passage de la représentativité présumée à la représentativité prouvée et l’étendue des compétences reconnues aux acteurs d’entreprise pour négocier en matière de représentation des salariés et de droit syndical.

Les auteur(e)s de ce rapport tiennent à remercier les interlocuteurs qui leur ont ouvert l’accès aux sources conventionnelles et ceux/celles qui ont été prêt(e)s à leur consacrer du temps lors des visites d’entreprises. Ils remercient également les membres du comité de pilotage qui a accompagné la recherche et a permis, en cours de recherche, l’échange entre les deux équipes.

SOMMAIRE

Première partie Les pratiques des acteurs après la loi de2008 : résultats d’une enquête sociologique

Adelheid Hege (IRES), Christian Dufour (CRIMT), Marcus Kahmann (IRES)

I. Représentativité syndicale, quelle problématique ?
I.1. La loi de 2008, une balise dans un processus de transformation de long terme ?
I.1.1. La comparaison internationale et la représentativité syndicale en France
I.1.2. Un dualisme français mal reconnu, la permanence polymorphe de la voie électorale
I.1.3. De l’addition de voix locales à une représentativité nationale et de ses risques
I.1.4. Un système au caractère étatique renforcé, pour la promotion de la légitimité syndicale ?
I.2. Approche méthodologique de l’enquête de terrain
I.2.1. Les questions posées
I.2.2. Méthodologie
I.2.3. Le panel et ses caractéristiques

II. Quelles légitimités représentatives? Résultats de l’enquête empirique
II.1. Une loi qui produit des effets visibles
II.1.1. Les éliminations de syndicats
II.1.2. Des éliminations difficiles à accepter, même pour les délégués restants
II.1.3. La représentativité, avec ou sans quorum
II.1.4. Les moyens syndicaux revisités
II.2. Une loi peu visible dans les priorités des équipes
II.2.1. Une loi faite pour ailleurs et qui borne des pratiques anciennes
II.2.2. La négociation, objet contraint, objet dépassable (ou non)
II.2.3. Des pratiques évaluées plus globalement
II.3. La loi de 2008 et l’agenda des acteurs externes
II.3.1. Les syndicats territoriaux : soutien aux équipes et intermédiation institutionnelle
II.3.2. Les Direccte, promotion de la négociation obligatoire et du dialogue social
II.4. De l’autre côté de la loi, des interrogations sur la représentativité « réelle »
II.4.1. La reproduction incertaine des représentants
II.4.2. Les relations avec les syndicats sous le signe de l’autonomie et de l’incertitude
II.4.3. Les directions juges de la représentativité de terrain des équipes syndicales

III. Conclusion : des acteurs et des mandants
III.1. Les services décentralisés de l’Etat
III.1.1. Les sections : contrôle et promotion
III.1.2.Les niveaux régionaux plus centralisés : le dialogue social comme service d’Etat
III.2. Les employeurs et la loi : pour avis conforme
III.3. Les organisations syndicales
III.3.1. Les unions syndicales périphériques : le coeur de l’enjeu ?
III.3.2. Les délégués : leur reproduction – déjà menacée – n’est pas confortée par la loi
III.4. La construction de la relation syndicale et sa base

Deuxième partie L’influence de la loi du 20 août 2008 sur l’exercice du droit syndical d’entreprise : étude juridique empirique de quelques accords de droit syndical

Aurianne Cothenet, Josépha Dirringer, juristes en droit du travail

I. Introduction
I.1. Environnement juridique de l’étude
1.1.1. Principes du droit de la représentativité issus de la loi du 20 août 2008
I.1.2. La négociation collective en matière de droit syndical
I.2. Méthodologie : une étude juridique empirique

II. Modes d’influence de la loi de 2008 sur les pratiques conventionnelles en matière de droit syndical
II.1. Indifférence
II.2 Références
A. Evocations
B. Applications
1. Les conditions d’accès à la qualité de syndicats représentatifs
2. Les prérogatives reconnues aux organisations syndicales
3. Nouvelles conditions de validité des accords
II.3. Incidences
A. La sélection des organisations syndicales dans l’espace et dans le temps
1. La sélection des organisations sociales dans l’espace
2. La sélection des syndicats dans le temps
B. Vers une atténuation de la distinction entre syndicat représentatif/ non représentatif
II.4. Concomitances
A. Légitimation
1. La répartition égale par organisation syndicale représentative
2. La répartition en fonction du nombre d’élus
3. La répartition au prorata de l’audience
4. La répartition au regard de l’effectif et de la règle de concordance
B. Institutionnalisation
1. Le discours de promotion du dialogue social
2. La réalisation du dialogue social : les moyens mis à disposition du dialogue social
3. Du dialogue social à la contamination hiérarchique
C. Autoréglementation ?
1. Dialogue social et démocratie sociale au service de l’autoréglementation
2. La recherche d’articulations idoines

III. Conclusion
Annexe : Les accords étudiés

Cette recherche a été réalisée dans le cadre de la convention d’étude conclue pour l’année 2012 (projet nº2) entre l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) « au service des organisations représentatives des travailleurs » et la Confédération générale du travail (CGT).

Marianne et les cinq défis du syndicalisme

Article paru dans Marianne. 

Réinventer le syndicalisme, et vite…: cinq défis à relever.
Ouvrage coordonné par Jean- Claude Branchereau et Patrick Brody, Syllepse, 140 p., 10 €.

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Comment relever le déf du syndicalisme au XXIe siècle ? L’affaiblissement et la crise de confiance que traversent les organisations syndicales donnent une idée de l’enjeu. Un vaste chantier auquel des militants de la CGT, de la FSU, de l’Unsa, de la CFDT et de la CFTC, qui se présentent comme « radicaux et réformistes », se sont attaqués dans un ouvrage collectif. En commençant par établir la liste des erreurs et des renoncements. En privilégiant aussi la proximité avec les institutions – patronat et pouvoirs politiques –, les centrales syndicales ont délibérément mis de la distance avec les salariés qu’elles prétendent défendre.
Elles ont produit « des militant(e) s indéboulonnables qui gardent le même mandat pendant des années sous prétexte qu’il n’y a personne pour les remplacer ». Et elles sont passées à côté des mutations du monde du travail en en désertant des pans entiers : ouvriers et employés des PME et des TPE, travailleurs précaires ou sans papiers. Sans oublier, les divisions, les dispersions : « Aujourd’hui, explique Gérard Aschieri, ex-secrétaire général de la FSU, le spectacle qu’offre le mouvement syndical est celui d’un éclatement illisible, qui donne le sentiment d’un spectaculaire retour en arrière. » A cela s’ajoute une perte de confiance généralisée dans l’efficacité collective. La confiance s’est délitée. Comment vaincre le sentiment d’impuissance qui s’est emparé de l’opinion, et renouer avec un syndicalisme de masse menacé d’assèchement ? Si les auteurs ne donnent pas de solutions clés en mains, ils ouvrent des pistes de réflexion : « démocratiser les pratiques » par la consultation permanente des salariés ; privilégier l’unité ; « ouvrir grand les portes et
les fenêtres aux jeunes » ; développer « un syndicalisme d’adhérents ».
Mais aussi « réinventer des liens entre syndicalisme et politique » ; lutter « syndicalement » contre une extrême droite qui progresse dans le monde salarial… Faute de quoi, mettent-ils en garde, le syndicalisme risque de devenir « au mieux un corps intermédiaire de médiation sociale qui accompagne les décisions prises “en haut”, au pis un conglomérat d’appareils ne touchant pas l’ensemble du salariat ». ■
par Perrine Cherchève

Syndicalisme et écologie : des tensions aux convergences

Nous publions une étude faite par Louis-Marie Barnier, sociologue du travail, dans la revue Mouvements N°80, sur « l’élargissement à l’environnement du champ de compétence » du syndicalisme, notamment à travers le rôle des Comités d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail (CHSCT). Louis-Marie Barnier et Hélène Adam (syndicaliste à Solidaires), ont publié La santé n’a pas de prix, Voyage au coeur des CHSCT, Paris, Syllepse, 2013.

Nous en profitons pour encourager  à se procurer ce numéro de Mouvements consacré aux rapports parfois conflictuels ou en « tension » entre syndicalisme et exigences écologiques. Nous publions donc (voir après l’article) l’introduction au numéro 80 qui vient de sortir, qui présente les différentes approches, parmi lesquels figure un riche panel international, ainsi que des réflexions théoriques.


 

Mouvements

Adresse : Revue Mouvements-La Découverte, 9 bis rue Abel Havelacques, 75013 Paris. Abonnement en ligne : cairn.info. Tel : 01 44 08 83 78.

 

 

 

Accès au PDF (et aux notes de l’article)  : Barnier-CHSCT-environnemental-Mouvements-2014

Mouvements n°80 hiver 2014

Le CHSCT-environnemental au croisement du droit à la santé et des mobilisations environnementales

Par Louis-Marie Barnier

Parmi les revendications de la CGT figure l’élargissement à l’environnement du champ de compétence des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), annonçant la prise en charge de cette dimension par les militants de terrain. La nouvelle loi d’avril 2013, qui crée un droit d’alerte environnemental pour les CHSCT ouvre à une telle perspective. C’est autour de la perception de l’environnement comme une donnée fondamentale de la santé au travail que s’opère cette jonction entre syndicalisme et écologie. Mais ceci exige du syndicalisme une transformation profonde de sa relation avec la société, quand il accepte le regard social sur les conditions et objectifs de production, lorsqu’il considère le mouvement associatif comme des partenaires dans sa confrontation avec les employeurs, ou en envisageant la santé au travail comme composante de la santé publique. Cet article se conclut par la nécessité pour le syndicalisme de se penser comme mouvement social.
La CGT a inscrit depuis plusieurs années dans ses repères revendicatifs l’objectif d’élargir le champ de compétence des CHSCT à l’environnement, le transformant ainsi en un « Comité d’hygiène,
de sécurité, de conditions de travailler et d’environnement » (CHSCTE). Plusieurs épisodes ont notamment démontré l’écho rencontré par cette proposition. En 2007, ce syndicat a défendu avec succès cette proposition lors du Grenelle de l’environnement, réussissant à la faire figurer parmi les conclusions qui préconisent « l’introduction de l’environnement et du développement durable dans les missions des CHSCT et des comités d’entreprise ». Par la suite, la loi d’août 2009 déclare que « les organisations syndicales de salariés et d’employeurs seront saisies sur la possibilité d’ajouter aux attributions des institutions représentatives du personnel une mission en matière de développement durable ». La loi reprend aussi la proposition « d’étendre la procédure d’alerte professionnelle interne à l’entreprise aux risques d’atteinte à l’environnement et à la santé publique ». Prolongeant cette initiative, la loi dite « Blandin » du 3 avril 2013 crée un droit d’alerte pour le CHSCT en cas de risque grave pour la santé ou l’environnement (L 4133-1). De plus « en cas d’événement grave lié à l’activité de l’établissement ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou l’environnement », l’employeur doit réunir le CHSCT 3. Sont créés par cette même loi des lanceurs d’alerte environnementaux qui bénéficient d’une protection inscrite dans le code de la santé publique (L 1351-1).
Débattus dans des cercles extérieurs au mouvement syndical, ces nouveaux droits expriment néanmoins une évolution profonde du syndicalisme et plus largement du salariat dans son ensemble vis-à-vis de l’enjeu environnemental et des organisations écologiques. Les organisations syndicales participent depuis des années aux grandes conférences internationales sur le changement climatique comme aux Forums sociaux mondiaux. Elles interviennent conjointement avec les organisations de défense de l’environnement dans ces grands débats mondiaux. La recherche  d’alliances locales ou nationales avec des associations extérieures au champ du travail a pu être un moteur pour de tels engagements.
Mais ce rapprochement est marqué par le passif existant entre mouvement syndical et mouvement écologiste. Le mouvement syndical est resté largement en dehors du débat sur la défense de l’environnement. L’approche historique du mouvement syndical est proche de cette remarque du Medef : « La dimension environnementale fait déjà partie des missions du CHSCT dans la mesure et dans les limites où elle peut avoir des conséquences sur la santé des salariés ». Il s’interroge peu sur son propre rapport à la nature, par exemple en refusant d’interroger la finalité de la production d’automobiles, ce secteur industriel jouant par ailleurs un rôle structurant dans les relations professionnelles. Le projet de société dont se nourrit le militantisme syndical  ne fait pas figurer au centre de son utopie un autre rapport à la nature. Certaines croyances dans le progrès technique synonyme de progrès social (sur un modèle saint-simonien…) ont
servi de support à l’éviction de la part de syndicalistes de tout questionnement dans ce domaine. Le nucléaire a pu en être un exemple. Mais un certain syndicalisme radical a su porter, au sein même d’EDF, une critique vivace du nucléaire, à travers la présence du syndicat Solidaires, héritier ici des combats menés par la CFDT des années 1970 contre ce modèle énergétique. De même une partie du syndicalisme paysan porte, à travers la Confédération paysanne, une remise en cause du modèle productiviste.

Symétriquement, le mouvement écologiste s’est peu souvent adressé aux syndicalistes, peut-être jugés trop hâtivement archaïques ou productivistes. Nous ne traiterons pas ce point ici, faute d’investigations, nous proposons de nous centrer sur l’approche syndicale.

C’est par l’enjeu de la santé et la sécurité au travail que cette dimension de l’environnement se trouve aujourd’hui investie de légitimité pour le mouvement syndical. Le lien entre les deux dimensions écologiques et de santé peut être constaté dans le fonctionnement organisationnel.
La Confédération européenne des syndicats, impliquée depuis quelques années de façon importante à travers l’Institut européen syndical en santé et sécurité au travail (ETUI), ne vient-elle pas de donner une nouvelle dimension à cette jonction en donnant un mandat recouvrant les deux dimensions de santé au travail et d’environnement  ? On pourrait dans le même sens évoquer l’ISTAS, organisme d’expertise des Commissions ouvrières espagnoles qui recouvre santé au travail et environnement.
Les évolutions des missions et du périmètre d’intervention du CHSCT sont l’expression de cette jonction entre deux approches historiquement – du moins à première vue – dissemblables et portées par des acteurs très différents. Cette étude approfondit un travail plus complet sur les CHSCT, elle permet ainsi d’enrichir une approche du CHSCT trop souvent restreinte à la relation avec l’employeur. Elle contribue aussi à mieux saisir la dimension anthropologique du syndicalisme dans sa relation avec la nature : celle-ci est considérée à partir de l’activité humaine et de la capacité du travail à la remodeler, voire la détruire, activité située pour le syndicalisme dans un rapport salarial marqué par la domination des employeurs. Enfin, relier la santé au travail à l’environnement inscrit la santé au travail dans une approche relevant davantage de la santé publique, bien que gardant cet ancrage professionnel.
Nous proposons d’aborder dans cet article plusieurs épisodes qui montrent la diffusion déjà présente des thèmes environnementaux, avant que l’extension du champ d’intervention du CHSCT ne précise encore cette ouverture. Pour que ce « CHSCTE » prenne consistance, le syndicalisme doit cependant évoluer sur de nombreux plans. À travers trois épisodes, trois moments de la confrontation sociale, nous voudrions ici pointer la nature des évolutions attendues.
Elles portent à notre sens dans trois directions que l’étude de ces événements met en lumière. C’est d’abord l’acceptation du regard social sur la production que l’explosion de l’usine d’AZF en 2001 a pu mettre en avant : de l’extérieur de l’entreprise est venue la remise en cause d’un compromis du travail garant de la sécurité à travers le seul professionnalisme des salariés. C’est ensuite la découverte, à travers la réglementation REACH, de la dimension environnementale que l’on peut donner à la défense de la santé au travail. Enfin, le procès d’Eternit à Turin est l’occasion d’insérer ou plutôt de réinsérer la santé au travail dans sa dimension de santé publique. Nous nous interrogerons en conclusion sur le syndicalisme, que l’intégration de cette dimension environnementale avec les remises en question afférentes oblige à se poser comme mouvement social.

AZF, le regard social sur la production
En septembre 2001, l’explosion de l’usine d’AZF, située dans la périphérie de Toulouse, fait plusieurs victimes aussi bien parmi les salariés présents sur le site que dans la population alentour à la suite du souffle de cette explosion. Ce n’est certes pas la première catastrophe industrielle, comme le souligne Thomas Le Roux, l’accident industriel accompagne la naissance de la civilisation urbaine et industrielle « qu’il contribua à façonner». Une législation attentive aux conditions de production s’est peu à peu élaborée, rythmée dans la dernière période par des catastrophes telles que celle de Seveso (1976) ou Bhopal (1984). Les CHSCT sont sollicités pour intervenir dans ce domaine, ainsi en témoigne la réglementation concernant les Installations classées protection environnement (ICPE) qui impose de consulter le CHSCT à l’occasion d’une demande d’autorisation en cas de nouveaux procédés de fabrication ou d’emplois de produits comportant un risque environnemental. Les services préfectoraux en charge de la surveillance de ces installations portent un regard attentif aux remarques et avis du CHSCT.
Suite à l’explosion de 2001, la loi du 30 juillet 2003 portant sur « la prévention des risques technologiques et industriels » renforce les moyens des CHSCT dans les établissements comportant au moins un dispositif classé dangereux – y compris pour l’environnement. Les Commissions locales d’information et de concertation (CLIC), créées à cette occasion, rassemblent les employeurs principaux et sous-traitants, les CHSCT, des représentants des territoires et des habitants, des associations. Malgré des réalités très inégales, ces commissions peuvent constituer des points d’appui pour tisser des liens à l’extérieur de l’entreprise avec les associations environnementales et de riverains qui y participent. Mais la réalité de leur efficacité est soumise d’abord à la volonté syndicale de s’emparer de ces nouveaux outils.
Car l’élargissement du regard syndical n’est pas évident. Patrick Chaskiel souligne dans le cas d’AZF « la dimension avant tout professionnelle de la gestion de la sécurité, dans l’atelier, l’usine et l’entreprise » qui s’appuie sur « un fonctionnement jugé maîtrisé de l’usine » reposant sur le professionnalisme des salariés et leur engagement dans le travail. Mettre en cause la sécurité, c’est mettre en cause ce professionnalisme. C’est interroger la capacité du mouvement syndical à contrôler les conditions de production et mettre au grand jour ses faiblesses éventuelles. C’est enfin dénoncer une organisation du travail reposant largement sur la sous-traitance entraînant, malgré une construction procédurale importante, « un défaut de maîtrise collective des processus mis en oeuvre sur le site ».
La mobilisation sociale a eu pour objectif la fermeture d’AZF et des autres sites dangereux autour de Toulouse. Le déplacement de sites de production mettait en cause l’emploi des salariés concernés, ainsi la défense de l’emploi a pu être un autre vecteur du refus d’entendre l’appel à la sécurité environnementale des populations de Toulouse. Cet épisode et les lois qui en ont découlé mettent en avant la responsabilité des salariés d’un site et de leurs syndicats vis-à-vis des populations environnantes. Accepter ce regard social sur les conditions de production, tel que le suggère la mise en place des commissions locales évoquées, est la première mutation nécessaire du syndicalisme.
REACH, l’enjeu environnemental et de santé des produits chimiques
En abordant le débat autour du règlement REACH, c’est davantage à des effets non visibles directement sur la personne et l’environnement que l’on s’intéresse. Ce règlement européen REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) sur les produits chimiques, adopté en 2006, est l’occasion d’une jonction entre environnement et santé des salariés. Ce dossier a fait l’objet de peu de mobilisations en France, les syndicats français appuient l’action de la Confédération européenne des syndicats (CES) sans s’engager davantage dans ce dossier.
La nouvelle réglementation prévoit que l’ensemble des entreprises qui importent ou fabriquent des produits chimiques à raison d’une tonne ou plus par an sont tenues de procéder à une évaluation des dangers et risques potentiels du produit. L’agence auprès de qui elles déclarent ce produit, l’European Chimicals Agency (ECHA), valide les informations fournies par les industriels ainsi que leurs modalités d’évaluation et délivre alors une autorisation. L’importance de ce règlement est donnée par son premier article : « Il incombe aux fabricants, aux importateurs
et aux utilisateurs en aval de veiller à ce qu’ils fabriquent, mettent sur le marché, importent ou utilisent des substances non susceptibles d’avoir des effets nocifs pour la santé humaine ou l’environnement ». REACH attribue la responsabilité de l’évaluation des risques découlant de l’utilisation des substances chimiques aux fabricants et importateurs et les contraint à fournir les informations de sécurité adéquates aux utilisateurs. Comme le note Laurent Vogel, ce dispositif annonce « le renversement de la charge de la preuve des États membres vers les industriels ». Ce dispositif a fait l’objet d’un intense débat en Europe avant son édiction. Les oppositions ont été fortes, comme le montre la lettre commune envoyée en février 2004 par MM. Chirac, Schroeder et Blair au président de la Commission européenne Romano Prodi, lui demandant de « ne pas examiner de propositions qui ne sont pas accompagnées d’une étude d’impact adéquate, et l’analyse de la compétitivité devrait être développée». Il en allait en effet de la liberté d’entreprendre pour les entreprises de la chimie, autrement dit de la liberté de produire sans s’engager sur les risques pour les salariés, la population et l’environnement. Après ces déclarations et sous la pression des industriels de la Chimie, le texte adopté par le Parlement européen, après deux ans de débat, reste en
deçà des exigences initiales. La CGT porte cette appréciation sur le texte finalement adopté : « La substitution lorsque des alternatives existent, qui constituait une disposition particulièrement innovante, n’est plus obligatoire pour les substances les plus toxiques dès lors que le coût de la substitution n’est pas raisonnable ou que les industriels peuvent prouver que
les risques sont “valablement” maîtrisés ».
Le processus d’adoption de REACH s’est étiré sur huit années. C’est la DG environnement de la Commission européenne qui a été au centre de l’édification de ce règlement. Les associations de défense de l’environnement ont usé de tout leur poids pour ce résultat, associant expertise technique et usage stratégique de l’opinion publique. Par la suite et lorsque le Parlement européen prend une place de médiateur dans ce débat entre Commission européenne, Conseil de l’Europe, lobbys industriels et ONG, c’est encore la Commission environnementale du Parlement qui est saisie du dossier.
L’investissement de la CES, de son organisme d’étude ETUI et plus modestement des syndicats français est principalement motivé par la lutte contre les effets toxiques des produits industriels sur les lieux de travail. La double interprétation de la notion d’environnement est au coeur des définitions des seuils de diffusion. D’un côté, la notion de Valeur limite d’exposition professionnelle est inscrite depuis longtemps dans le code du travail : la réglementation fixe une valeur qui déterminerait une « exposition acceptable », un « risque acceptable » pour les salariés, de même qu’est défini un taux de diffusion « acceptable » dans l’atmosphère. De l’autre, elle renvoie à la notion d’environnement du lieu de vie. Ciblant, dans le plan cancer de 2003 « la lutte contre les cancers professionnels et environnementaux », Jean Hodebourg, intervenant pour la CGT, explique que « les salariés sont les sentinelles des risques pour la santé dus à l’environnement industriel, sentinelles dans le sens plus exposé ! » Il affirme que pour la CGT, « les cancers sont essentiellement une maladie de l’environnement du travail ».
La mobilisation syndicale autour de REACH représente une rupture dans cette approche plus traditionnelle, en défendant une autre lecture des risques professionnels. À travers ce partenariat tissé avec les associations qui ont fait de leur objet principal la défense de l’environnement, le mouvement syndical saisit la dimension écologique de son combat pour l’environnement de travail.
•Le procès d’Eternit, le retour de la santé publique
C’est autour de l’ambiguïté de ce même terme d’environnement que se joue, en Italie cette fois, un troisième épisode de cette rencontre entre mouvement syndical et écologie. Ce procès fait suite à une longue mobilisation internationale contre l’amiante et singulièrement contre Eternit, un des principaux producteurs d’amiante. Dans les différents pays, et notamment en France, la responsabilité des industriels dans les atteintes à la santé est au centre du débat.
C’est à Turin que trois dirigeants d’Eternit sont condamnés pour « désastre environnemental », désastre défini par le procureur Guariniello comme « au niveau de l’ampleur, tout événement destructif d’ampleur extraordinaire […]. Au niveau des dommages, tout événement susceptible de mettre en péril la vie ou l’intégrité physique d’un nombre indéterminé de personnes, et, en particulier, susceptible de compromettre la sécurité d’un environnement de vie et/ou de travail ». Ce « désastre environnemental » a eu lieu dans les établissements Eternit, mais aussi « dans les lieux publics et les endroits privés ; dans les habitations des ouvriers ».
Le procès Eternit trouve sa source dans le travail opiniâtre de juges qui mettent en place, dans les années 1980, un « observatoire des tumeurs perdues », avec les moyens de la police judiciaire. La coordination internationale d’un réseau d’avocats et de scientifiques, ainsi qu’une mobilisation sociale massive, italienne et internationale, ont contribué à cette condamnation. Plusieurs caractéristiques de la justice italienne ont été déterminantes. La stratégie de dissimulation délibérée des effets sanitaires de l’amiante pour faire obstacle à l’adoption de règles préventives, ayant entraîné cette « catastrophe environnementale », est au coeur de la condamnation des dirigeants d’Eternit. De même, le manquement aux règles de sécurité s’apparente à une mise en danger d’autrui, qui a pu conduire le même tribunal de Turin à condamner en avril 2011 un dirigeant allemand du groupe Thyssen, à la suite d’un accident ayant entraîné la mort de sept ouvriers turinois. Selon le procureur Guariniello, son dirigeant a « entrevu la possibilité, ni certaine, ni probable, que le fait se réalise comme conséquence de sa conduite ». Mais c’est surtout l’indépendance de la justice italienne vis-à-vis du pouvoir politique qui a été décisive pour l’issue du procès.
Cette qualification de « désastre ambiantale » s’appuie sur l’activité syndicale historique sur les conditions de travail menée dans les années 1970 dans le nord de l’Italie. Du bouillonnement de ces années, s’appuyant sur des groupes de travail réunissant ouvriers et intellectuels et sur une approche positive de la démarche de la part des syndicats de la métallurgie, est issue notamment une brochure pour un modèle syndical  pour aborder la santé au travail. Parmi les risques figurent justement cette ambiance de travail, intégrant gaz, pollution, fumées, vapeur… Le terme «ambiantale» joue ici le rôle de « passeur » : il regroupe environnement de travail pris au sens physique et organisationnel, et environnement de l’entreprise.

Dénoncer les effets des choix industriels sur la santé des salariés et des habitants conduit à reconsidérer la construction historique de cet objet social, la santé au travail. Alertés par des médecins hygiénistes, les pouvoirs publics ont dû adopter un certain nombre de lois. La pression ouvrière de la fin du XIXe siècle, siècle d’industrialisation, a conduit au début du XXe à un compromis cristallisé par les lois sur la reconnaissance des maladies professionnelles (1898) puis des accidents du travail (1919), liant reconnaissance et indemnisation des accidents et maladies professionnelles. La création de la médecine du travail, des Comités hygiène et sécurité, puis des CHSCT en a fait un objet interne aux entreprises, riche des capacités d’intervention ouvrière mais s’insérant dans un compromis global autour du travail. La santé au travail s’est ainsi longtemps isolée de la santé publique. En assimilant les décès des salariés à un « crime environnemental », ce procès est l’occasion de situer à nouveau la santé au travail comme dimension de la santé publique, obligeant le syndicalisme à situer son combat dans une dynamique sociétale.
•Conclusion
Cette rencontre entre syndicalisme et écologie se révèle fructueuse pour la mobilisation sociale face à des enjeux qui se multiplient. Évoquons ici par exemple les nanoparticules, objets de production pour les chercheurs et salariés, d’inquiétude pour les consommateurs ou de pollution par leur présence ensuite dans les déchets, qui doivent être envisagées autant comme enjeu de santé au travail que comme danger environnemental : la Confédération européenne des syndicats avance, les concernant, le principe de REACH – « Pas de données, pas de marché » – et demande des moyens supérieurs pour une investigation indépendante. De même la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD) a porté plainte suite à l’accident de septembre 2011 dans une centrale nucléaire qui a conduit au décès d’un salarié et à un « état grave » pour trois autres, pour « défaut de protection contre le risque d’explosion et le risque de dissémination des substances radioactives » en dénonçant une violation du code du travail.
Les évolutions souterraines du syndicalisme, exprimées par les actions locales, et leur traduction institutionnelle dans les missions légales du CHSCT se nourrissent mutuellement. Des interférences entre syndicalisme et mouvements sociaux ont pu se créer, à travers de nouveaux types de militants. Mais c’est surtout la capacité du mouvement syndical à se saisir dans son ensemble, et notamment sur le terrain des entreprises, de l’enjeu environnemental qui sera déterminante. À ce titre, notre étude met en relief trois évolutions nécessaires du syndicalisme. La catastrophe d’AZF a mis en relief la nécessité d’un débat social sur les choix de production associant syndicalisme et représentants de la « société civile ». À travers REACH, c’est à un « détour environnemental » que sont invitées les organisations syndicales pour poser la question de la santé au travail.
Enfin, cette ouverture trouve sens dans l’affirmation de ce domaine comme composante de la santé publique, comme le démontrent le procès d’Eternit et les mobilisations afférentes.
Ces transformations nécessaires du syndicalisme conduisent à envisager celui-ci dans un cadre autre que l’approche théorique des relations professionnelles ou qu’à partir de la seule défense d’intérêts particuliers.
Car cette ouverture sociétale du syndicalisme attend de celui-ci la capacité à élargir son approche de la santé au travail. Dans ce sens, ce renouvellement stratégique porte l’exigence pour le syndicalisme de se considérer comme un mouvement social, en défense de l’intérêt général et d’une autre conception des enjeux productifs.
La capacité du syndicalisme à s’ouvrir à des enjeux territoriaux et sociaux, tels que le représente l’enjeu écologique, relève de ce « double processus intérieur-extérieur aux espaces de production, permettant de donner aux travailleurs, par l’ouverture d’une conscience sur l’économie générale des rapports sociaux, la possibilité de se fonder en sujet et d’élaborer un projet de société porteur de finalités spécifiques». Cette démarche revient à situer le travail comme un enjeu de société par la configuration générale des rapports sociaux qu’il impose, à élargir ainsi le cadre et les enjeux de la conflictualité sociale. Dans ce sens, l’ouverture du champ de compétence des CHSCT aux questions environnementales engage une dynamique de subversion du cadre institutionnel du CHSCT.

 

 

Le travail contre nature ? Syndicats et environnement

Mouvements 2014/4 (n° 80).

Le_travail_contre_nature_n°80[1]

Aujourd’hui, la nécessité de réorienter les modes de production et de consommation est un objectif très largement partagé. La dernière conférence sur l’énergie en France, qui s’est tenue en 2013, a montré que les associations et les ONG se trouvent à l’avant-poste de la lutte dans ce domaine. Cet événement a également donné à voir des positions peu progressistes de la part des organisations syndicales, comme on pourra le constater à la lecture des documents reproduits dans le numéro ; la CGT, notamment, s’est quasiment alignée sur les propositions du Medef, en faveur du nucléaire et des gaz de schiste. Cette attitude s’est répétée en réaction à la loi sur la transition énergétique, portée par la ministre de l’Écologie Ségolène Royal. Comment expliquer cette position ? Qu’est devenu l’engagement de la CFDT des années 1970, très critique envers les « dégâts du progrès » ? N’a-t-elle été que superficielle ? N’a-t-elle représenté qu’une prise de position momentanée ? Et si c’est le cas, comment expliquer qu’à de nombreuses reprises, des organisations syndicales se trouvent aux côtés des défenseurs de l’environnement contre des industriels et des promoteurs accapareurs de nature, et ce malgré le chantage à l’emploi généralement exercé dans ces situations ? À travers ce numéro, il s’agit de dresser un état des lieux de la question, et notamment mettre en lumière les actions que les syndicats et plus largement les mouvements de travailleurs mettent en œuvre en faveur d’une production plus soutenable. L’enquête comporte un volet international fort, avec des articles sur le Canada, les États-Unis, l’Égypte, le Brésil, l’Argentine et l’Australie. Elle porte également sur différentes échelles (du local à l’international) et surtout différents secteurs économiques, tant les réalités de la construction ne sont pas celles des transports ou de l’industrie, et encore moins celles des services ou de l’agriculture.

C’est à notre connaissance la première fois qu’un numéro entier de revue est consacré aux liens entre syndicalisme et environnement[1], dans l’espace francophone. Les différents textes réunis dans ce numéro spécial problématisent et aident à comprendre cette relation. L’idée encore fort répandue selon laquelle les syndicats seraient nécessairement les soutiers d’une croissance économique excessive, apparemment insensibles aux conséquences écologiques des modes de vie et de production actuels, est mise à mal. C’est une caricature fort utile à celles et ceux qui tentent de diviser les différents mouvements sociaux émancipatoires et de fragmenter les fronts d’opposition à la domination capitaliste. On ne peut pas non plus sombrer dans un optimisme ou un volontarisme excessif, tel qu’on le trouve parfois chez les tenants de l’« éco-socialisme », pour lesquels les contradictions entre la politique écologique et l’action syndicale seraient secondaires. Les conceptions actuellement dominantes du syndicalisme et de la protection de l’environnement sont, pour le moins, en tension, sous des formes différentes d’ailleurs selon qu’on se trouve au Nord ou au Sud géopolitique. Le secteur d’activité se prête aussi plus ou moins facilement à des alliances. La question agricole trouve souvent un fort écho côté écolo, les figures de José Bové ou de Chico Mendès sont célèbres, pour cette raison d’ailleurs nous avons plutôt insisté sur d’autres domaines de l’activité. Cette tension, au cœur de notre réflexion, met en évidence les points de flexion qui permettent de tenter de la dépasser. Par-delà un fatalisme de mauvais aloi, nous avons privilégié quelques histoires fécondes témoignant de la possibilité de mener une action syndicale écologiste, malgré les nombreuses barrières qui subsistent.

Le dossier est organisé en trois grandes parties. Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux expériences produites dans différentes régions du monde ce qui permettra de nuancer l’idée que l’on peut se faire de syndicats productivistes. Verity Burgmann raconte comment les travailleurs de la construction ont pu se mobiliser pour faire échouer des projets qui auraient pourtant pu représenter pour eux des emplois, dans les années 1970 en Australie. Ils ont exigé que leur force de travail ne soit pas employée à des travaux néfastes, et ils ont réussi, en s’alliant aux écologistes et aux populations locales. Ces « green bans » (interdictions vertes) ont sauvé des quartiers anciens et des lieux remarquables. Clément Steuer montre de son côté que si l’écologisme semble a priori très peu implanté dans la société égyptienne, au niveau des organisations partisanes, ces questions ne sont pas absentes. Il donne l’exemple d’une mobilisation contre l’implantation d’une usine très polluante, impliquant syndicats, populations locales et composantes que l’on pourrait appeler écologistes. Comme souvent dans les pays du Sud, c’est par la préservation des ressources utiles que se développe la protection de la nature. Bruno Dobrusin enfin nous explique comment les syndicats se sont pour la plupart alignés, en Argentine et au Brésil, sur le modèle de développement extractiviste mis en place par les gouvernements de gauche qui sont arrivés au pouvoir ces dernières années. Cette économie politique particulière explique leur rejet des projets d’économie verte discutés à l’échelle internationale et notamment à Rio+20, vus comme une menace impérialiste sur la souveraineté et sur le mode de développement.

Le second temps est consacré au cas de la France. Renaud Bécot et Céline Pessis éclairent la problématique des liens entre écologistes et syndicalistes sous un angle original, celui des « rencontres improbables » qui ont eu lieu dans les années 1960 et 1970 à la faveur de l’effervescence générale. Si des rapprochements prennent place et de nombreuses actions sont menées de concert, le nucléaire focalise, au contraire, toutes les tensions jusqu’à aujourd’hui. Comme le confirme Bernard Saincy dans la table ronde en fin de numéro, le nucléaire est l’une des seules questions sur lesquelles en France écologistes et syndicats ne peuvent pas avancer, en tout cas en ce qui concerne la CGT. Dans les années 1970 l’impératif de modernisation et la défense de « la science » l’emportent sur tous les autres. La CFDT a une approche plus critique, allant même jusqu’à des collaborations occasionnelles avec les mouvements antinucléaires. La difficulté se retrouve aussi aux États-Unis ou au Canada, comme l’explique l’article de Larry Savage et Dennis Soron. Le nucléaire est un domaine où les syndicats défendent parfois mieux leur industrie que les patrons eux-mêmes. En France SUD est le seul syndicat qui se soit positionné pour une sortie du nucléaire, comme le rappelle Annick Coupé, son ancienne porte-parole, dans l’interview, sans cacher ce que cette décision a de difficile pour les rares travailleurs du nucléaire qui sont affiliés à ce syndicat. Mikaël Chambru montre lui aussi qu’il est plus facile d’unir les forces écologistes et syndicales dans le refus d’un projet que dans la réforme de l’existant. Un autre angle de convergence est celui de la santé au travail, c’est par là que les militants de SUD Rail réussissent à entraîner des salariés du ferroviaire vers des positions critiques sur le nucléaire, qui engendre un trafic incessant de wagons radioactifs sur le territoire, et au-delà. À ce titre le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) joue un rôle majeur, comme le confirme Bernard Saincy dans la table ronde. Louis-Marie Barnier rappelle l’ancienneté du dispositif, et l’utilité qu’il a déjà eue sur de nombreux sujets se situant à la croisée des conditions de travail et de la qualité de l’environnement, tels que l’amiante, l’usine AZF ou la réglementation REACH. Avec la montée en puissance de cette dernière question, plusieurs syndicats, dont la CGT, ont récemment voulu inscrire explicitement l’environnement parmi les compétences du dispositif des CHSCT.

La troisième partie rassemble des textes dont la portée est plus large, soit sur le plan géographique (monde) soit sur le plan conceptuel. Nora Räthzel et David Uzzell ont mené une enquête auprès de dirigeants syndicaux dans plusieurs pays, ils montrent que les positionnements par rapport à l’environnement sont variables, selon les situations, de la défense de l’outil de production à l’opposition à un projet. Ils sont en outre marqués par une divergence assez forte entre le Nord, riche et urbanisé, et le Sud, plus pauvre, plus agraire, mais qui se trouve en même temps aux premières loges en ce qui concerne la dégradation des ressources. Romain Felli et Dimitris Stevis présentent de leur côté la naissance de la stratégie syndicale en faveur d’une « transition juste », qui s’est largement imposée à l’échelle internationale. Un problème se pose de manière particulièrement aigu dans le cas du passage d’activités existantes, polluantes et non durables pour le dire vite, vers des activités plus en équilibre avec les échanges avec la nature. La « transition juste » est peu à peu adoptée par les syndicats nord-américains dans les années 1990, à la suite du Sommet de Rio. Si le mot d’ordre a l’avantage d’ouvrir une perspective et de s’inscrire dans la longue durée, la question des emplois (leur maintien et leur création) reste au centre des préoccupations. Brian Obach explique de son côté, en s’appuyant sur le cadre théorique proposé par Allan Schnaiberg que trois acteurs principaux ont intérêt à maintenir « l’engrenage de la production » dans lequel nous sommes pris, et qui détruit l’environnement. Le capital veut évidemment faire tourner la machine plus vite pour engranger des profits. Mais les responsables politiques dépendent aussi des généreux donateurs (aux États-Unis), tout comme l’État qui dépend de la croissance pour son budget. Enfin la majorité des syndicats, en particulier aux États-Unis, cherchent d’abord à obtenir des avantages matériels pour leurs mandants, sous la forme de hausses de salaires. Brian Obach estime toutefois que les organisations de travailleurs sont le maillon le plus faible de cette machine infernale. Les organisations rangées sous la bannière de la justice environnementale sont trop hétéroclites et trop locales. Seuls les syndicats ont réussi à infléchir réellement le cours des choses, au motif de la santé au travail, de la protection des communautés et de la wilderness, ou de la lutte contre la mécanisation. Comment aller plus loin ? Brian Obach semble conclure à la fertilité de la perspective de la transition juste.

Il ressort de ce numéro que l’ordre établi ne permet guère aux mouvements sociaux de porter des revendications qui soient d’emblée universalistes. Si les syndicats se trouvent souvent à défendre l’outil de production, c’est parce que les salariés en dépendent étroitement pour boucler leurs fins de mois, qui sont souvent bien maigres. Les capitalistes et les dominants disposent toujours de plusieurs cordes à leur arc, s’ils n’émargent pas ici, ils peuvent toujours facilement se recaser ailleurs, à la faveur de ce que l’on peut appeler, à la suite de Pierre Bourdieu, leur capital culturel et financier. À l’opposé les dépossédés sont pris dans de multiples obstacles, financiers, réglementaires, géographiques, linguistiques, ne disposant pas des ressources nécessaires pour s’en affranchir, et sont les premiers à subir les conséquences de la dégradation de l’environnement. L’engagement militant se fractionne alors en de multiples lieux qui ne sont pas toujours très cohérents les uns avec les autres, souvent mal ou pas articulés, au risque de faire le jeu de l’ordre établi. Pourtant ce sont en partie les mêmes qui s’activent chez Greenpeace et à la CGT ; le problème n’est pas entièrement celui des objectifs de la lutte. Lors du Grenelle de l’environnement en France (2007) par exemple de nombreuses idées reçues sont tombées, d’un côté comme de l’autre, et des moyens d’avancer en commun ont été trouvées. Le fait d’engager des actions ensemble, de faire primer le mouvement sur les objectifs, permet aussi de faire considérablement évoluer ces derniers. Les manifestations et mouvements de grève sont aussi des moments d’échange, et se trouver côte à côte contre des adversaires communs génère des sympathies et des solidarités. Enfin dans certains secteurs d’activité tels que le transport ou au niveau international on trouve des positions syndicales très écolo.

Peut-être faut-il pour cela se déprendre de l’association inextricablement réelle et imaginée entre le syndicalisme et la classe ouvrière industrielle, européenne, mâle et blanche. L’image du métallo trimant sous la férule du maître de forge ou prenant d’assaut le Palais d’hiver a été une source d’inspiration indéniable dans les grands combats d’émancipation au XXe siècle. Mais elle a également rendu invisible de nombreuses autres facettes de l’organisation et de la lutte syndicale. Si au sein d’une économie capitaliste le syndicalisme est la première ligne de défense de celles et ceux qui n’ont pas autre chose à vendre que leur force de travail, alors on ne peut réduire les syndicats aux grandes organisations industrielles. La classe ouvrière est en permanente recomposition dans ses dimensions géographiques, genrées, sectorielles ou politiques et les organisations syndicales, du Sud au Nord, reflètent cette diversité et cette recomposition. Une des grandes victoires syndicales internationales cette dernière décennie a probablement été la signature de la Convention n° 189 de l’OIT portant sur la reconnaissance et la protection du travail domestique, une cause portée à bout de bras par des syndicats de femmes issus de l’économie informelle dans les pays du Sud. De la même façon, le combat des associations et des ONG écologistes n’est pas réductible à la lutte contre l’énergie nucléaire. S’il est vrai qu’historiquement, la question de l’approvisionnement en énergie a été, en France, le catalyseur de l’action écologiste, les revendications qu’elle porte actuellement épousent un large spectre allant de la conservation des écosystèmes à la proposition de modèles de société qui prennent en considération l’emploi et les conditions de travail.

Il n’en demeure pas moins que c’est dans les grandes concentrations industrielles et minières, du fait d’une organisation spatiale et matérielle particulière, que les syndicats ont forgé leur plus grande puissance et ont contribué de façon décisive à la démocratisation du pouvoir politique au XXe siècle[2]. Cette puissance a été passablement absorbée, en particulier en Europe, au sein des États dits « providence » et dans la social-démocratie. Le compromis qui s’est forgé après-guerre entre capital et travail a largement abandonné à l’État l’organisation de la production et de la répartition économique. Au sein de cet arrangement, c’est la croissance permanente de la production qui a permis de fluidifier les « relations industrielles » en augmentant à chaque fois les parts du gâteau à se répartir. Cette orientation structurelle vers la croissance économique a peu à peu été intégrée par les appareils syndicaux qui, d’une stratégie particulière, en ont fait une raison d’être. Les buts de la production (que produire ? où ? en quelle quantité ? avec quelles ressources ?) ont été abandonnés au marché et à l’État et les luttes syndicales se sont souvent concentrées uniquement sur les conditions de production (salaires, horaires, etc.). Comme on peut l’observer au travers de notre dossier, la condition nécessaire pour briser cette orientation sur la croissance est de disposer d’une stratégie économique alternative qui pose explicitement les buts de la production. Abandonner ce questionnement au capital ou à l’État ne permettra pas de sortir de la logique de croissance infinie et de prendre en compte la nécessaire inscription de la production économique dans un monde biophysique qui a, en partie, un fonctionnement inassimilable aux logiques capitalistes. Les syndicats les plus à la pointe sur les questions écologiques sont aussi ceux qui font l’effort de proposer une alternative économique.

[1][1] Néanmoins signalons le colloque RIODD, qui s’est déroulé à l’université de Bordeaux du 1er au 3 octobre 2014, http://www.riodd.net/ et le numéro à venir d’Ecologie & Politique.

[2] Voir la thèse intéressante, même si parfois outrée, de T. Mitchell, Carbon Democracy. Le pouvoir politique à l’ère du pétrole, Paris, La Découverte, 2013.

Cinq défis pour le syndicalisme : suite

Nous reproduisons ci-dessous la chronique du livre : Syndicalisme, cinq défis à relever (voir sur ce blog notre propre commentaire, ainsi que sur le blog: entreleslignesetentrelesmots) parue dans l’Humanité du 16 janvier 2015. Par Paule Masson.

 

 

Accès direct : Critique Livre Syndicalisme     670px-L'Humanité.svg

Le mouvement syndical face aux défis du 21ème siècle

Une invitation à penser le renouveau du syndicalisme
Syndicalisme : cinq défis à relever, Jean-Claude Branchereau, Patrick Brody (coord.), Syllepse, 140 pages, 10€..

A l’heure où les syndicats semblent, comme rarement, divisés et en manque de résultats, voici un livre qui engage la réflexion sur son renouveau. Ecrit par des militants syndicaux, issus de la CGT pour beaucoup, mais aussi de la FSU, de l’Unsa, de la CFDT ou encore de la CFTC, l’ouvrage démontre en quoi la crise rebat les cartes stratégiques de tout le syndicalisme. « Aujourd’hui, le spectacle qu’offre le mouvement syndical est celui d’un éclatement illisible, qui donne le sentiment d’un spectaculaire retour en arrière », déplore Gérard Aschieri, ancien secrétaire général de la FSU, dans une des neuf contributions qui occupent la seconde partie du livre.
Partant de ce constat, les auteurs assurent pourtant, dans le texte commun qui ouvre la réflexion, que « la désespérance ne saurait être notre chemin ». Pour eux, le syndicalisme n’est pas statique. Mais sans réflexion urgente sur le champ revendicatif, du « quotidien à la transformation sociale », sur la nature de l’unité voire de l’unification syndicale, sur le fonctionnement démocratique qui réclame un « nouvel imaginaire », sur le rapport avec la politique qui doit se réinventer et sur l’échelle européenne devenue incontournable, « l’assèchement » menace. Outre, les analyses proposées sur les mutations à l’œuvre, dans le salariat notamment, le livre formule des propositions, allant de la création d’un « conseil syndical permanent du syndicalisme », au façonnage d’un mode d’organisation qui considère la « consultation des salariés comme un mode de vie permanente ».
La deuxième partie met en avant un certain nombre de contributions plus personnelles. Elles posent en général des questions aiguës, insuffisamment discutée, souvent non résolues pour penser un syndicalisme plus en phase avec les évolutions de la société. Ainsi, la tribune de Christophe Delecourt et Jean Dunois (CGT), qui appelle à dépasser la charte d’Amiens. Ce texte fondateur, datant de 1906, a théorisé (sacralisé?) la tâche « d’émancipation intégrale » que le syndicalisme doit mener en toute indépendance des partis politiques. Les auteurs pensent venus le temps d’engager un travail commun avec eux pour «prendre le pouvoir capitaliste en tenailles ». Ainsi encore, le texte de Patrick Brody et Gérard Billon (CGT), déplorant un syndicalisme qui se meurtrit dans l’institutionnalisation de sa fonction au détriment de la proximité avec les salariés. Ainsi enfin, les nouveaux défis qui frappent à la porte, comme celui qui relève de la lutte contre l’extrême-droite (Hervé Le Flibec, SNES-FSU) ou encore de la démocratie à l’épreuve des réseaux sociaux (Joël Le Coq, CFDT). Sans jamais asséner de conclusions hâtives et dans une réflexion qui reste ouverte, les auteurs n’essaient pas de tout réinventer mais ils invitent assurément le mouvement syndical à se pencher urgemment sur la question.
Paule Masson

Encore sur le livre Syndicalisme : cinq défis à relever, unissons-nous!

Nous avions commenté le livre coordonné par Jean-Claude Branchereau et Patrick Brody : Syndicalisme, cinq défis à relever Unissons-nous! Nous publions ici le commentaire de Didier Epsztajn, paru sur le blog : entreleslignesentrelesmots.wordpress.com

 

 

 

Le syndicalisme n’a pas à s’auto-limiter dans son projet

couvCet ouvrage collectif, coordonné par Jean-Claude Branchereau et Patrick Brody, avec la participation de Michel Angot, Gérard Billon, Alain Bonnet, Antoine Cathelineau, Gilles Desseigne, Elisabeth Labaye, Hervé le Fiblec, Thomas Petit, Jean-Marie Roux. Joel Le Coq, Pierre Héritier, Gérard Aschieri, Christophe Delecourt, Jean Dunois est divisé en deux parties. La première est consacrée aux « Cinq défis à relever » : revendicatif, unité, démocratie, indépendance, avenir ; la seconde regroupant des contributions plus individuelles.

J’indique que manque, à ce collectif, des syndicalistes de Solidaires et de Force Ouvrière et qu’une seule femme y contribue. Ces deux éléments expliquent probablement, en partie, des « creux » dans les analyses.

Le syndicalisme est un outil d’organisation permanent de toutes et tous les salarié-e-s. Il « répond » à la situation de subordination engendré dans/par le rapport salarial. J’indique, sans m’y étendre, que les formes de ce rapport salarial de même que celles empruntées par le syndicalisme ne sauraient être abordées hors de la construction des institutions étatiques, du marché du travail, des protections de « la liberté d’entreprise » et des droits obtenus par les luttes sociales et politiques..

Par ailleurs, le rapport salarial ne peut être approché hors de l’analyse de l’ensemble des rapports sociaux dans et hors du travail salarié (rapports sociaux de genre, travail domestique assigné aux unes, racialisation et stigmatisation des un-e-s et invisibilisation des pratiques des communautés majoritaires des autres, préférence nationale dominante dans la fonction publique, etc.)…

Qui dit rapport salarial dit aussi travail. Le travail concret et le travail comme rapport social. Et quitte à me répéter, sauf à négliger les conditions réelles des femmes, le travail salarié ne peut-être abordé en abstraction du travail domestique (Voir, par exemple Danielle Kergoat : Se battre disent-elles…, Travailleuse n’est pas le féminin de travailleur).

La même démarche s’impose pour les travailleurs et les travailleuses « immigré-e-s ». Les dimensions de stigmatisation/domination en tant immigré-e-s (ou considéré-e-s en tant que tel-les) ne sont pas neutres dans le rapport salarial. La situation est encore plus « tendue » pour les travailleurs et travailleuses sans-papier-e-s.

Plus généralement le travail doit être questionné, non seulement dans son organisation, mais aussi dans ses dimensions d’exploitation et de libération, « Travailler la question du travail » comme l’écrit un des contributeurs.

J’en reviens aux deux termes : la « permanence » de l’organisation des salarié-e-s, au delà des temporalités d’engagement individuel, des actions ou des situations ; la « totalité » car la fonction même du syndicalisme est de « représenter »/organiser l’ensemble des salarié-e-s. Ou, pour le dire autrement, le syndicalisme est une des formes d’auto-organisation des salarié-es pour défendre leurs intérêts individuels et collectifs et pour modifier le rapport salarial lui-même. Le syndicalisme pour faire sens doit donc entreprendre le présent et le futur, poser les questions de l’émancipation, des émancipations, « une vocation de transformation sociale et de défense quotidienne des salarié·». Ce qui implique, entre autres, de débattre et d’agir, au présent, dans le domaine de l’appropriation sociale.

Je n’aborde que certains points du livre.

La conception de la finance développée par les auteur-e-s sous-estime la fonctionnalité de celle-ci dans la valorisation et l’accumulation du capital (Voir par exemple, sur ce sujet : Michel Husson : Un pur capitalisme, la-crise-est-certaine-mais-la-catastrophe-ne-lest-pas/). La « financiarisation néolibérale » est une forme historique du mode de production capitaliste. Cela n’enlève rien à la nécessité que les actionnaires doivent rendre compte « Les détenteurs de capitaux doivent avoir, pour le moins, des obligations vis-à-vis des entreprises et groupes industriels ». Ni au fait que l’organisation des groupes implique de « développer des stratégies syndicales de groupes », groupe pris au sens le plus large, incluant les chaines de sous-traitants ou les organisations commerciales.

Les auteur-e-s soulignent la chaine « revendiquer, résister, proposer, agir, négocier », discutent de la place des revendications, de l’existence de compromis, des pratiques syndicales, « faire confiance aux salarié·s qui sont les experts de leur travail ».

Elle et ils développent sur l’unité nécessaire du mouvement syndical. Unité qui ne saurait se limiter à la conjonction de forces syndicales, divisées organiquement, ni à au mouvement syndical au sens strict, « Ainsi, construire des collectifs dans un cadre local, d’entreprise, sectoriel ou national intégrant syndicats et associations peut permettre de faire avancer des objectifs concrets locaux ou nationaux, accessibles à la compréhension du plus grand nombre. C’est un moyen de construire l’unité ». Construire l’unité en permanence nécessite à la fois de prendre en compte les divisons sociales et les dominations internes au salariat (voir plus haut), les orientations divergentes (la démocratie relève de la dispute et non du consensus), les temporalités en tension et les intérêts matériels contradictoires… Les exemples de Clip P dans le commerce, du collectif pour un pôle financier public, du collectif « pas de bébé à la consigne » sont révélateurs des possibles unitaires.

Unifier exige aussi de définir des formes d’organisation adéquates, un fédéralisme rénové et raisonnable (j’y reviendrai).

La question de la démocratie « ouvrière » et syndicale est donc centrale tant dans la « reconstruction du mouvement syndical » que dans son unification, que dans la capacité de mobilisation des salarié-e-s. Il convient donc de traiter cette double dimension de la démocratie.

Pour ce qu’il en est de la démocratie syndicale dont parlent les auteur-e-s, « La démocratie syndicale doit donner le pouvoir à un collectif dans lequel chacun·e exerce de façon éclairée son pouvoir d’appréciation et de décision », elle ne peut qu’être organisée, en garantissant à chaque collectif son « pouvoir d’appréciation et de décision », Ce qui pose le problème d’un fédéralisme rénové et raisonnable qui ne saurait être limité par la phrase très discutable « de discipline dans l’application des décisions ». Ce nouveau fédéralisme à construire ne résoudra pas toutes les tensions et les contradictions générées par les rapports sociaux, mais peut-être un gage de processus de démocratisation des décisions et des actions…

Et démocratie « ouvrière » car « les salarié·es se prononcent en dernier lieu ».

Se pose la question des formes d’organisations syndicales adéquates tant à cette dimension qu’aux cadres imposés par la structuration réelle du pouvoir dans les entreprises. Je rappelle que le mouvement syndical reste structuré en syndicat de métier, en syndicat d’entreprise, en syndicat de site, etc. Des débats incontournables…

Les auteur-e-s parlent de « subordination au politique, à l’Etat, à une Eglise », de « garder la maîtrise de sa réflexion et de son action ». Curieusement l’indépendance par rapport au patronat, à l’organisation des entreprises n’est pas soulevé, ni celui du patriotisme d’entreprise, ni celui de la préférence nationale (comme dans la fonction publique), ni de l’alignement de certain-e-s avec leur patronat dans la concurrence inter-entreprise… Comme écrit dans une contribution de la seconde partie du livre « C’est l’esprit initial du syndicalisme qui voulait qu’un syndicat défende tous les travailleurs et pas seulement ceux d’une entreprise ou d’un pays ».

Syndicalisme et politique, Charte d’Amiens, les débats méritent d’être approfondis. Si les retours sur l’histoire sont nécessaires, des apports du syndicalisme révolutionnaire, du mouvement féministe ou de l’histoire anti-coloniale méritent d’être pris en compte.

La première partie se termine sur les dimensions européennes.

Des contributions pour des débats à approfondir.

Lire une autre approche sur ce livre : Dominique Mezzi : https://syndicollectif.wordpress.com/2014/11/30/syndicalisme-debattons-cest-urgent/

En complément possible :

Les cahiers de l’émancipation. Dominique Mezzi (coordination) : Nouveau siècle – Nouveau syndicalisme, ne-pas-tracer-de-limites-a-priori-a-laction-syndicale/

Annick Coupé : Déclin du syndicalisme, impuissance des partis politiques et montée des populismes : quel débouché politique pour la contestation sociale ?, declin-du-syndicalisme-impuissance-des-partis-politiques-et-montee-des-populismes-quel-debouche-politique-pour-la-contestation-sociale/

Hélène Adam et Louis-Marie Barnier : La santé n’a pas de prix. Voyage au cœur des Comités Hygiène Sécurité et Conditions de Travail, retrouver-les-chemins-de-la-remise-en-cause-de-la-societe-entiere/

Travail, genre et sociétés : Genre, féminisme et syndicalisme, mettre-en-place-des-processus-sociaux-continus-pour-construire-legalite-entre-femmes-et-hommes/

David Camfield : La crise du syndicalisme au Canada et au Québec. Réinventer le mouvement ouvrier, laction-collective-donne-aux-salariees-la-perception-de-leur-pouvoir/

Fondation Copernic : Répression et discriminations syndicales, bien-que-legitime-par-le-droit-le-fait-syndical-est-remis-en-cause-dans-les-pratiques-et-devalorise-dans-les-discours/

Jean-Claude Branchereau, Patrick Brody (coord.) : 21e siècle. Syndicalisme : cinq défis à relever

Unissons-nous !

Editions Syllepse, Paris 2014, 140 pages, 10 euros

Didier Epsztajn

Entre les lignes entre les mots

couvCet ouvrage collectif, coordonné par Jean-Claude Branchereau et Patrick Brody, avec la participation de Michel Angot, Gérard Billon, Alain Bonnet, Antoine Cathelineau, Gilles Desseigne, Elisabeth Labaye, Hervé le Fiblec, Thomas Petit, Jean-Marie Roux. Joel Le Coq, Pierre Héritier, Gérard Aschieri, Christophe Delecourt, Jean Dunois est divisé en deux parties. La première est consacrée aux « Cinq défis à relever » : revendicatif, unité, démocratie, indépendance, avenir ; la seconde regroupant des contributions plus individuelles.

J’indique que manque, à ce collectif, des syndicalistes de Solidaires et de Force Ouvrière et qu’une seule femme y contribue. Ces deux éléments expliquent probablement, en partie, des « creux » dans les analyses.

Le syndicalisme est un outil d’organisation permanent de toutes et tous les salarié-e-s. Il « répond » à la situation de subordination engendré dans/par le rapport salarial. J’indique, sans m’y étendre, que les formes de ce rapport salarial de même que celles empruntées par le syndicalisme ne sauraient…

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