Débats

Séminaire appropriation sociale le samedi 14 novembre

Ci-dessous une nouvelle initiative qui peut intéresser des syndicalistes au-delà de l’Union syndicale Solidaires, sur l’appropriation sociale.

 Séminaire co-organisé par l’OMOS, Association Autogestion, Espaces Marx,Union Syndicale SOLIDAIRES.

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Qu’entendre par appropriation sociale ?

La période politique est marquée par un patronat qui est dans une offensive ouverte contre les acquis du salariat. Face à cela, le mouvement social et, à ce jour incapable d’amorcer une quelconque contre-offensive et reste sur le terrain de la défensive. Nous pensons qu’une des raisons de cette situation est l’absence de perspective d’un au-delà au capitalisme.
De nombreuses luttes sociales contemporaines portent « en creux » l’idée de propriété comme condition nécessaire de l’existence pour des entités économiques, souvent productives et industrielles, sacrifiées sur l’hôtel du profit. Ainsi, « les Goodyear », les Arcelor-Mittal », « les Fralib », « Les Pilpa » ou Hélio Corbeil, pour ne citer que les plus médiatisés, ont contesté, chacun à leur façon, le droit de propriété au nom du droit à l’activité. Certains réclamant la nationalisation, d’autres cherchant le moyen de s’engager dans la voie coopérative…
Des travaux du séminaire mené en commun sur l’appropriation sociale nous tirons notamment l’enseignement que les formes expérimentées, propriétés étatiques mais aussi mises en coopératives ont démontré leurs limites. L’étatisation ne débouche ni sur une appropriation réellement collective ni sur l’émancipation. Quant à la mise en coopérative, elle limite la plupart du temps son ambition à un « périmètre local » sans afficher une volonté de contribuer à la transformation globale de la société.
N’est-il pas temps de trouver les termes pour reposer, en l’affranchissant des écueils mis en évidence par l’histoire, la question de l’appropriation collective comme condition de l’émancipation humaine et de travailler à réunir les conditions à remplir pour en faire un thème idéologique récurent au sein de l’ensemble de la société ?
Nous vous proposons une séance de travail le samedi 14 Novembre qui sera un point d’étape dans le cadre d’un séminaire qui existe depuis 2013. Deux points à l’odre du jour :
1. Qu’est-ce que l’appropriation sociale et l’importance de cette question dans la vie sociale et politique ?
2. Quel est l’état de nos débats et quels sont les obstacles à l’appropriation sociale ?

Séminaire précédemment co-organisé par : ANECR, Association Autogestion, Cidefe, Espaces Marx, Fondation Copernic, Fondation Gabriel Péri, OMOS, Union syndicale Solidaires

Samedi 14 Novembre 2015 de 9h30 à 16h30 à l’Union Syndicale Solidaires, 144 Bd de la Villette, 75019 Paris
1er escalier gauche après le portail, 3e étage.

Pour prévoir le nombre de repas (à charge des participants mais prix raisonnable), merci de vous inscrire auprès de : infos@autogestion.asso.fr
Les auditions précédentes du séminaire :
– Sylvie Mayer et François Longérinas nous ont permis de dresser l’état des lieux en ce qui concerne la bataille législative sur le droit de préemption des salariés en cas de cession et sur l’Economie sociale et solidaire.
– Pierre Dardot est venu tracer la perspective politique que constitue le Commun, un ressource définitivement débarrassée de la notion de propriété, qu’elle soit publique ou privée, et gouvernée par les parties prenantes.
– Daniel Lescornet est venu interroger le concept d’Economie sociale et solidaire en tant qu’alternative au capitalisme et a regretté l’absence de stratégie des partis politiques de gauche à son égard.
– Bernard Friot a défendu son concept de Salaire universel dans lequel celui-ci ne sera plus que la seule rémunération possible, basée sur un système de grades attachés à la personne et indépendante du comportement de l’unité économique dans laquelle on travaille.
– Pierre-Yves Chanu, de la CGT, est venu parler des propositions de la CGT en termes d’outils financiers pour faciliter les reprises d’entreprises par les salariés. Il a notamment parlé d’une proposition de livret E et de mobilisation de l’épargne salariale.
– Paul Ariès est parti du constat actuel de crise de la démocratie pour y opposer les expériences actuelles qui tendent au contraire à rendre la parole aux citoyens. Il a brossé des pistes permettant d’envisager un renouveau de la démocratie dans un environnement d’égalité sociale et politique.
– Yves-Claude Lequin, Eric Schoonejans et Jacques Michelet sont intervenus lors d’une table ronde destinée à discuter des rapports possibles et réciproques entre la rechercher publique et l’Economie sociale et solidaire. Ils ont respectivement interrogé l’apport des citoyens dans l’orientation donnée aux programmes scientifiques, l’apport et les problèmes de l’agroécologie,
et l’incidence de la révolution informationnelle sur l’Economie sociale et solidaire.
– Jean-Numa Ducange, historien, a évoqué quelques expériences historiques d’appropriation sociale de 1789 à 1920. Il a choisi de traiter de la révolution française et la question de la propriété , de l’idée d’association dans la révolution de 1848, des relations entre partis, syndicats et mouvement coopératif et de l’émergence des conseils ouvriers en 1905 en
Russie.
– Catherine Samary a choisi d’interroger l’autogestion sur les enjeux de pouvoirs en cherchant à dépasser l’opposition traditionnelle entre droits individuels et approches d’ensemble. En partant d’une conception de l’autogestion comme droit de base accordé à tous ses citoyens, elle a mis l’accent sur la centralité d’une reformulation des luttes autogestionnaires à partir
des Communs.
Ce qui nous paraît essentiel est moins de définir dans le détail le fonctionnement d’entreprises hors sociétés de capitaux que de tracer la trajectoire que peut prendre des luttes idéologiques et sociales se situant délibérément dans la perspective d’un dépassement des règles du capitalisme.

 

 

Réflexions sur l’ogre numérique

Nous publions une réflexion de la FILPAC CGT sur le numérique.

Le titre du dossier s’intitule : Affaire en or pour quelques uns, choc social pour tous les autres.

Voici le chapeau du décryptage proposé :

Pourquoi cette agitation soudaine ? Voici Axelle Lemaire qui sollicite les avis des internautes sur son avant-projet de loi numérique, communiqué à minima, réduit aux têtes de chapitres. Et puis, Mettling, l’inspecteur des Finances DRH d’Orange, qui rend un rapport, « Transformation numérique et vie au travail », destiné à l’imminente loi Macron 2 concoctée pour transformer le salariat en « auto-entrepreneurs » et « travailleurs nomades ». Une accélération perceptible dans toutes les entreprises.

En savoir plus …Numérique,l’affaire en or

Construire le syndicalisme sur le terrain : une étude sociologique

 Le texte publié ci-dessous est une intervention faite dans un séminaire du groupe de recherche SYMETT (SYndicalisme, Méthodes, Théories, Terrains), unissant sociologues, politologues, etc. Charles Berthonneau, sociologue (Laboratoire d’Economie et  Sociologie du Travail-LEST) présente une étude de terrain sur les modalités de la construction syndicale dans des secteurs très peu syndicalisés, où le travail est surexploité et hyper surveillé (commerce notamment). La méthode sociologique est au départ explicitée dans son langage propre, mais l’enquête de « terrain » rend compte d’un savoir-faire syndical alternant conduites dites  « viriles » (braver la hiérarchie, affronter, oublier la peur) et conduites de « care » (prendre soin, aider, écouter, recherche des conduites « d’empathie » pour les collègues) devant les salarié-es, afin de produire une confiance, un collectif solidaire. Au bout du compte, quelques dizaines de syndiqué-es. On découvre que la présence humaine et la création d' »occasions favorables » pour déployer un début de syndicalisme est décisive, bien plus qu’une soit-disant perte  de « dispositions protestataires » dans le salariat. Leçons pour une syndicalisation de masse?

Accès au fichier : ST17-Berthonneau

Présentation du SYMETT :

 SYMETT SYndicalisme : Méthodes Théories Terrains

SYMETT est un groupe de recherche basé à Lyon qui vise à réunir des doctorants, des enseignants-chercheurs et des chercheurs (voir la liste des membres) partageant la préoccupation commune de mettre en œuvre une sociologie politique du syndicalisme. L’objectif consiste à questionner les outils conceptuels, ainsi que les démarches méthodologiques, qui sont mobilisés dans différents travaux portant sur le mouvement syndical. Il s’agit moins de faire le point sur l’état des travaux sur telle ou telle organisation que de proposer une démarche réflexive sur les façons d’étudier le syndicalisme dans ses différentes dimensions. SYMETT relève du Pôle « politisation et participation » du laboratoire CNRS Triangle, mais ses activités sont ouvertes à toutes les personnes intéressées.

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Section thématique n° 17
6e Congrès international des associations francophones de science politique
La sociologie politique à l’épreuve des relations professionnelles

 

Action syndicale et modes de politisation des classes populaires :
trajectoires et socialisations militantes de travailleurs précaires à la CGT

 

BERTHONNEAU Charles
charles.berthonneau@univ-amu.fr

Doctorant en Sociologie au LEST (Laboratoire d’Économie et Sociologie du Travail), 35 Avenue Jules Ferry, 13626 Aix-en-Provence, France.

Alors que les formes légitimes et instituées de participation politique ou de militantisme mobilisent avant tout les classes moyennes-supérieures fortement dotées en capital culturel, la CGT se distingue de par sa composition sociologique, dominée par une écrasante majorité d’employés et d’ouvriers. Il est vrai que l’essentiel de ses forces motrices sont implantées au sein de secteurs de l’emploi public ou anciennement nationalisés (transports ferroviaires, EDF etc) où travaillent les fractions stabilisées de classes populaires les plus proches des classes moyennes. Cependant, les travaux sociologiques récents sur les formes d’action collective à la marge de ces lieux d’implantation historique montrent l’investissement dans les structures syndicales de la CGT de fractions plus précaires de classes populaires travaillant dans des entreprises de services non-qualifiés (grande distribution, restauration rapide, services à la personne, propreté etc) . Il s’agit pour la plupart de membres de classes populaires plus largement dominés, invisibilisés, voire stigmatisés dans l’espace social (femmes, immigrés et enfants d’immigrés, habitants des cités populaires) qui ont tous en commun de s’être stabilisé dans des secteurs socioprofessionnels cumulant précarité de l’emploi (temps partiels, faibles rémunérations etc), du travail (mauvaises conditions de travail, problèmes de santé etc) et des droits sociaux (surreprésentation de petits et moyens établissements démunis d’institutions représentatives du personnel, faible taux de syndicalisation etc).

L’étude de ces formes d’action syndicale permet de rompre avec une vision manichéenne selon laquelle le militantisme à la CGT serait le domaine réservé de travailleurs à statut ou d’un monde ouvrier sur le déclin, exclusivement blanc et masculin. Ainsi, les formes d’engagement à la CGT apparaissent aussi comme une entrée privilégiée pour approcher les modes de politisation des groupes subalternes de classes populaires caractérisés par la fragilité des dispositions favorables à l’action collective (faiblesse de capital culturel, de capital militant, précarité économique, des collectifs de travail etc). Sur quel mode peut donc se constituer l’attachement de ces salariés à une organisation militante comme la CGT ? En quoi ces formes d’adhésion expriment-elles un sens politique du travail pour ces groupes subalternes ? L’objectif est ici de retracer les voies qui amènent des travailleurs non-qualifiés (caissière, manutentionnaire, aide-soignante, ouvrier etc) à se syndiquer à la CGT, voire à prendre des responsabilités militantes par le biais de l’activité de délégué syndical dans leur entreprise.

A travers l’exploration de ces problématiques, nous voulons montrer en quoi l’entrée par les relations professionnelles et le syndicalisme peut être féconde pour combler un angle mort de la sociologie politique qui peine à sortir d’une « approche légitimiste du politique » pour prendre en compte les formes de rapport ordinaire à la politique parmi les classes populaires . En effet, il s’agit ici, par l’enquête ethnographique, de « réencastrer la politisation dans des formes « réelles » d’échanges sociaux », à savoir dans ce cas précis dans les relations de travail quotidiennes propres au monde de l’emploi non-qualifié, mais aussi dans celles qui se constituent à travers l’accomplissement du travail militant . Pour cela, nous mobilisons les outils conceptuels de l’interactionnisme symbolique qui ont participé au renouvellement de la sociologie politique française des mouvement sociaux (carrière militante, dimension processuelle de l’engagement, façonnage organisationnel, effets de l’engagement etc) , – renouveau au sein duquel le syndicalisme demeure quelque peu délaissé -, en recourant à une méthode faite d’entretiens biographiques et d’observation participante dans les Unions locales CGT (structures chargées de coordonner l’activité syndicale au niveau interprofessionnel, à l’échelle d’un territoire). Il s’agira ainsi de faire remarquer en quoi ce cadre méthodologique peut participer à renouveler l’étude des relations professionnelles qui tend parfois à réduire le syndicalisme à une activité institutionnalisée et déconnectée des rapports sociaux produisant le sens de l’engagement syndical

En appréhendant le syndicalisme à travers les aspects pratiques et relationnels du travail militant, nous expliquerons dans un premier temps en quoi la spécificité de l’offre militante de la CGT, en tant que sens pratique mobilisé dans les rapport de domination au travail favorise l’adhésion de travailleurs précaires distants des modes de politisation à dominante scolaire propres aux membres de classes supérieures. Ensuite, nous montrerons en quoi les dispositions acquises par les usages de la virilité et du caring en milieu populaire fournissent des support de l’engagement et de la politisation par le syndicalisme pour ces salariés. Enfin, il s’agira de questionner le rapport que ces syndiqués entretiennent avec l’ensemble des tâches militantes propres au syndicalisme visant à construire l’action collective et représenter les salariés au sein des institutions représentatives du personnel. Nous analyserons en quoi le caractère technique de l’activité de délégué et la discrimination anti-syndicale viennent entraver les trajectoires militantes de salariés démunis des ressources nécessaires pour véritablement s’imposer comme délégué.

Expérience du travail subalterne et syndicalisation : « ne pas rester seul » pour « ne pas se laisser faire »
Si le monde de l’emploi non-qualifié est très hétérogène en termes de professions, celles-ci ont toutes en commun de reposer sur un travail d’exécution contraint, fortement dépendant de la hiérarchie et pour lequel il n’existe presque aucune possibilité d’évolution . Surtout, les salariés travaillant dans ces secteurs faiblement syndicalisés sont plus exposés aux différentes formes d’abus patronaux (non-paiement d’heures supplémentaires, congés non respectées, rupture abusive de contrat etc) et de sanctions disciplinaires (avertissement, mise-à-pied voire licenciement) , pour des motifs propres à l’évaluation du travail, mais qui peuvent aussi servir à évincer les salariés se montrant trop contestataires, ou qui entendent se rapprocher d’un syndicat. Cette violence des rapports sociaux au travail est façonnée par les rapports de domination sexués et racisés propres à ces secteurs ; en plus d’être cantonnés à un travail non qualifié et faiblement rémunéré, les salariés doivent aussi se confronter à un encadrement blanc et masculin pouvant se livrer à des humiliations ou marques de mépris à caractère raciste ou sexiste, renforçant leur assignation à un statut subalterne.

Le sentiment d’injustice naît de l »ensemble de ces rapports sociaux et fournit un terreau propice à la syndicalisation. Mais les formes de résistances que peuvent emprunter les salariés sont largement bridées par les rapports de dominations dans lesquels ils sont pris. D’une part, en raison de l’organisation du travail qui fragilise la constitution de collectifs autonomes, les salariés sont démunis de conditions propices à l’impulsion de conflits collectifs. L’entrée à la CGT n’a donc que peu de chances de se réaliser dans la dynamique de la participation à une action collective. Elle prend plutôt son sens dans le quotidien des relations de travail où les salariés tentent de faire valoir leurs droits face à l’encadrement et la direction. Dans ces relations, les formes de résistances s’expriment par l’adoption d’un sens pratique qui démontre qu’on est prêt à « ne pas se laisser faire » : refuser de faire des heures supplémentaires, de venir travailler le dimanche alors qu’on est prévenu au dernier moment, de faire des tâches qui ne sont pas prévues dans sa fiche de poste etc Toutes ces pratiques nécessitent d’une part, une certaines connaissance du droit du travail, mais aussi un certain niveau de capital culturel pour renverser la violence symbolique imposée par la hiérarchie. En effet, « ne pas se laisser faire », c’est savoir « trouver les bon mots » pour défendre son cas face à l’encadrement, ou encore par exemple savoir écrire une lettre pour contester un avertissement.

Dès lors, si ces salariés se tournent vers la CGT, ce n’est pas parce que l’organisation leur propose une offre de participation reconnue comme « politique », mais bien plutôt parce qu’elle dispose de militants « compétents » à qui on peut s’en remettre pour se défendre au travail, que ce soit dans les relations informelles face à l’encadrement, ou au sein des institutions représentatives du personnel face à l’employeur. On recourt ainsi à un délégué pour « ne pas rester seul », comme lorsqu’il s’agit de se faire accompagner dans le bureau du directeur suite à une convocation, ou pour servir d’intermédiaire face à un membre de l’encadrement qui harcèle ses subordonnés, pour se faire aider à écrire une lettre à la direction pour contester un avertissement, ou encore par exemple pour se faire aider à lire sa fiche de paie. « Ne pas rester seul » en se syndiquant à la CGT relève donc d’un sens pratique d’autodéfense et de résistance dans des rapports de domination au travail qui assignent ces salariés à un statut subalterne.

Il convient de distinguer deux modes d’adhésion à la CGT : dans les cas où le syndicat est présent sur le lieu de travail, « prendre la carte » représente une reconnaissance du travail de soutien apporté par le délégué. Lorsque le syndicat est absent, se tourner vers la CGT représente une nécessité pratique pour se protéger et lutter contre les abus de la direction (licenciement abusifs, non respect du code du travail etc). C’est ici que les Unions locales de la CGT jouent un rôle décisif puisqu’elles constituent le premier contact avec l’organisation pour ces salariés isolés. Ils y trouvent des militants expérimentés qui viennent assurer des permanences sur leurs temps libre (l’UL fait ainsi partie des lieux de reconversion pour des militants à la retraite) ou grâce aux heures de délégation obtenues par un mandat dans leur entreprise. Ces militants apportent ainsi les ressources nécessaires (en temps et en capital militant) pour résister à l’employeur, en accompagnant ces nouveaux délégués isolés dans l’exercice de leur mandat (veiller à l’application de la convention collective, s’assurer du bon fonctionnement des institutions représentatives de personnel, protéger les délégués contre les tentatives de répression anti-syndicale etc). Ces cas de syndicalisation demeurent limités au niveau quantitatif et apparaissent dans les configurations socio-professionnelles les moins défavorables à la rencontre entre salariés et acteur syndical. Il s’agit ainsi d’établissement de taille moyenne (supérieure à 20 salariés) appartenant à des grands groupes au sein desquels il est possible de consolider une implantation militante en s’appuyant sur les moyens conférés par les institutions représentatives du personnel (hypermarché de grande distribution, établissement de maison de retraite, usines sous-traitantes, entrepôts de distribution etc) .

Selon la logique de l’économie des pratiques de ces adhérents, la CGT est donc moins reconnue comme une offre militante (c’est-à-dire une opportunité d’entamer une nouvelle « carrière » en s’investissant dans des tâches plus valorisantes) que comme une structure faisant partie du champ des dispositifs institutionnels susceptible d’être mobilisé pour « défendre ses droits » (conseillère juridique, écrivain public, assistante sociale, inspection ou médecine du travail etc). En d’autres termes, la CGT n’entre pas ici en concurrence avec d’autres organisations militantes (on choisit de s’investir dans un syndicat plutôt que dans une association ou dans un parti, pour défendre une cause de son choix) mais avec ces autres types de dispositifs institutionnels auquel on se rend pour obtenir de l’aide (on se rend à la CGT plutôt que d’aller voir une conseillère juridique). Mais si pour ces salariés, l’adhésion à la CGT n’est pas reconnue comme un acte « politique » en tant que tel, elle est tout de même sous-tendue par une vision politisée des relations sociales en entreprise dans le sens où celle-ci repose sur une opposition entre employeur et salariés ; derrière le besoin de se protéger, de se défendre, il y a l’idée qu’on ne peut pas faire confiance à la direction, que celle-ci dispose du pouvoir dans l’entreprise et qu’elle n’hésitera pas à en profiter pour servir ses intérêts contre ceux des salariés : « ils font trop les malins, mais quand t’es syndiqué, tu réponds dans le droit, c’est tout » nous expliquait un jeune manutentionnaire syndiqué depuis cette année. Dans le cadre de cette opposition, le rapport de délégation (« se faire accompagner ») se voit mobilisé pour contrer les effets des rapports de domination qui s’expriment par les difficultés à faire soi-même valoir ses droits au travail.

Cette logique de l’adhésion à la CGT est soutenue par des représentations opposant les « petits » contre les « gros » qui renvoient à un modèle classique de subjectivation parmi les classes populaires au contact des classes supérieures : « c’est toujours les faibles qui prennent et eux de leur côté, de toutes façons ils disent que la direction a toujours raison » déclarait ainsi une caissière lorsqu’elle se trouvait à l’UL pour demander à un militant de lui écrire une lettre afin de contester sa mise-à-pied. Selon ces représentations, l’image combative que renvoie la CGT la range du côté de ceux qui prennent partie pour les « faibles ». On peut comprendre aussi à la lumière de ces explications le rôle décisif des garanties que confère l’institutionnalisation de la CGT pour ces salariés exposés à l’arbitraire de leur employeur ; se syndiquer à la CGT répond aussi à une volonté de se rapprocher d’une organisation (que l’on pense) capable de contraindre l’employeur à respecter le droit. Le délégué syndical d’un hypermarché où la CGT est fortement implantée défendait cet aspect pratique auquel répond la syndicalisation : « les gens adhèrent parce qu’ils savent que ça leur sert !», ce qui illustre une manière de concevoir l’action militante bien différente de celle des catégories plus fortement dotées en capital culturel qui avanceront et défendront quant à eux une approche désintéressée. On peut remarquer ainsi en quoi ces logiques de l’adhésion exprimant un rapport populaire au militantisme et au politique permettent à la CGT de capter des salariés que rien ne disposaient à entrer dans une organisation militante. Ces liens pratiques de solidarité constituent la bases des relations sur lesquelles peuvent se construire des engagements plus actifs à travers l’activité de délégué.
Se faire délégué en milieu précaire : oser s’affirmer et parler pour les autres
Les structures de la CGT se donnent pour objectif de politiser ce sens pratique de résistance au travail en lui imprimant une dynamique d’action collective censée être impulsée par les délégués dans l’entreprise. Dans cette perspective, la grève représente en quelque sorte un idéal mais qui est loin d’être considéré comme incontournable ou indispensable. En raison de l’institutionnalisation du dialogue social en entreprise, ce rapport de force peut être largement entretenu par des moyens légaux et techniques conférés par les institutions représentatives du personnel (IRP) qui permettent parfois d’obtenir des acquis sans passer par le conflit ouvert. Cependant, il est indéniable que la professionnalisation des relations sociales en entreprise n’empêche pas la volonté de promouvoir un militantisme d’action collective selon lequel le travail de délégué doit être au service de la construction d’un rapport de force cherchant à investir les salariés pour s’opposer à l’employeur. Cette approche est imprégnée d’un ethos militant fortement marqué par les usages agonistiques de la virilité en milieu populaire. Ce registre agonistique de l’action syndicale promu à la CGT passe en effet par la valorisation de tout en ensemble de pratiques démontrant que les délégués sont prêt à « taper du poing sur le table » ; cela signifie autant assumer fermement une opposition frontale face à la direction au sein des IRP que de savoir s’imposer dans les collectif de travail, avec les collègues, face à l’encadrement. Les qualités que procurent la virilité (le « franc-parler », le sens du défi etc) trouvent dans le syndicalisme un terrain pour se reconvertir en compétences militantes très prisées à la CGT, permettant de s’imposer comme délégué (« avoir le sens de la bagarre »)

Par conséquent, les salariés les plus proches des valeurs de virilité trouvent dans la CGT une offre militante ajustée à leur manière de se concevoir le rôle d’un délégué. S’il n’est pas surprenant de les rencontrer dans les univers ouvriers et masculins de la métallurgie ou du bâtiment, nous avons observé que ces profils militants apparaissent aussi clairement dans des secteurs féminins comme la santé, les services à la personne, le nettoyage ou le commerce, incarnés par des femmes partageant exactement les mêmes dispositions et trajectoires que celles que rencontre Christelle Avril au cours d’une enquête ethnographique dans une association d’aide à domicile . Elle remarque ainsi la présence de femmes partageant en commun des manières viriles de construire un sens à leur travail, c’est-à-dire en valorisant les tâches physique, l’endurance, en n’hésitant pas à « gueuler » pour s’imposer dans les relations de travail (notamment face à la direction de l’association). Elle remarque d’ailleurs que c’est parmi ce groupe d’aide à domicile qu’on l’on trouve logiquement celles qui seront sollicitées pour se présenter sur la liste CGT des déléguées de personnel. Avec une entrée différente (le syndicat, et non le travail), nos observations corroborent ces analyses qui montrent comment cette « virilité au féminin » fournit des ressources dans lesquelles on va puiser pour contre-balancer l’absence de capital culturel et ainsi oser s’opposer à la direction.

Mais étudier l’action syndicale dans ces secteurs professionnels où cette logique de rapport de force promue à la CGT est difficile à impulser permet de mettre en lumière d’autres dimensions culturelles qui soutiennent ces formes d’engagement syndical et de politisation. En effet, comme nous l’avons déjà souligné, en raison de la fragilité économique et de la faiblesse de capital culturel des salariés dans ces secteurs, la prise de parole est difficile. La violence symbolique des rapports de domination et l’encadrement répressif condamne généralement à vivre l’injustice dans le silence. Dès lors, les salariés qui obtiennent une certaine légitimité en tant que délégué dans les collectifs de travail ne sont pas seulement ceux qui « tapent du poing sur la table » quand le besoin s’en fait ressentir mais aussi ceux qui savent montrer qu’ils prêtent attention à leur collègues et incarner une personne de confiance à qui ils peuvent confier leurs « problèmes ». En effet, la grande majorité du travail syndical de délégué ne consiste pas à organiser des actions collectives mais bien plutôt à prendre en compte les soucis que rencontrent les salariés au travail et à agir pour eux, à leur place, en les représentant face à la direction. Par conséquent, ce travail suppose des qualités qui renvoient plutôt à un pôle féminin de pratiques de caring comme prise en charge de personnes « dépendantes » (dans ce cas précis, concernant la capacité à défendre ses droits au travail).

Cette forme de capital culturel propre aux femmes de classes populaires représente un ressort de l’engagement et de la politisation par l’activité de déléguée. C’est notamment le cas dans un secteur presque exclusivement féminin comme celui des maisons de retraite. Amina a 47 ans et travaille depuis la fin des années 1990 en maison de retraite comme agent de service hospitalier (ASH). Elle évolue depuis 2007 dans le même établissement de plus d’une cinquantaine de salariées où elle est déléguée du personnel. Avant de travailler en maison de retraite et de se syndiquer à la CGT, Amina avait déjà milité dans le secteur associatif. Dans sa cité, elle a longtemps été bénévole à la Confédération Syndicale des Familles, structure chargée d’aider les locataires à défendre leurs droits face aux bailleurs. Elle s’est aussi engagée à la FCPE quand ses filles étaient à l’école, et elle a participé à une autre association pour aider les jeunes de la cité à trouver des emplois, partir en vacances etc : « Moi je suis une battante, je supporte pas l’injustice. J’ai toujours fait du bénévolat, je me suis toujours investie par rapport aux autres ». Ses différents engagements se construisent ainsi à partir d’une position où elle se charge d’aider des personnes en situation de fragilité économique et sociale (les locataires en difficultés de sa cité, les enfants de l’école, les jeunes du quartier sans qualification etc).

Les dispositions qu’elle a acquises dans ces activités lui sont très utiles dans le secteur des maisons de retraite qui embauche massivement une main d’œuvre précaire, majoritairement constituée par des femmes immigrées et/ou non-qualifiées. La CGT était présente dans la première maison de retraite et elle intègre l’organisation au moment où les déléguées viennent la voir pour lui proposer de se présenter sur les listes aux élections professionnelles. Au cours de cette première expérience syndicale dans cette maison de retraite où elle restera travailler pendant dix ans, Amina n’a participé à aucun conflit collectif. Elle retient surtout le travail qu’elle faisait pour aider « les salariés en situation de faiblesse » (notamment le personnel immigré qui « se laissait faire » par la direction) : « on avait toujours une surcharge de travail, elle (la directrice) enlevait aux uns, elle en mettait à nous, ceci, cela. Bon moi je me battais toujours avec elle parce que je lui disais : non, la vaisselle c’est pas à nous de le faire, c’est le plongeur. Et je travaillais avec beaucoup de comoriennes, elles avaient peur, je leur disais : « n’ayez pas peur, ayez confiance ; vous leur dites : c’est Amina qui a dit qu’on faisait pas la vaisselle », et on a réussi à obtenir des choses comme ça ! ».

Je rencontre Amina la première fois à l’UL de son secteur ; elle est venu accompagner quatre de ses collègues qui sont (ou ont été) victimes de harcèlement depuis l’arrivée d’un nouveau directeur l’année dernière. Trois de ces collègues sont en arrêt de travail, dont deux suite à une dépression liée au harcèlement qu’ils subissent (avertissements, mise-à-pied) ; le dernier a fini par démissionner suite aux pressions de la direction. Amina les a amené à l’UL pour rencontrer Céline, une militante à la retraite expérimentée qui a fait toute sa carrière dans l’action sociale. L’objectif est de voir avec la CGT ce qui serait possible de faire pour protéger ses collègues et faire cesser le harcèlement (les réponses apportées consisteront dans un premier temps à alerter l’inspection du travail et à solliciter un rendez-vous avec la direction). Lors d’un entretien quelque jour après cette rencontre, Amina me raconte comment elle en est venue à solliciter l’aide de Céline :

« Moi je les voyais, je voyais leur mal-être. Je voyais Christine (sa collègue) dans l’état qu’elle était : elle venait au travail avec la boule au ventre, elle pleurait, je me suis dit : (ton grave) « je peux pas laisser passer ça, j’y arrive pas (…) Je lui ai dit : (prenant un ton posé et grave) Christine, je vais t’aider, mais faut pas que tu aies peur, ne t’inquiète pas. Faut pas que tu aies peur hein ! Je suis là, je vais morfler, mais ça fait rien. On appelle la CGT et on fonce. Elle m’a dit : « mais tu vas morfler », je lui ai répondu : (ton ferme), « c’est pas grave. Ils (la direction) me font pas peur. Ils me regardent de travers, je les regarde de travers. S’ils m’embêtent trop, il y a des journalistes et tout. Moi ils me font pas peur ». Et heureusement qu’il y a un groupe d’aide-soignante qui est avec moi, parce que je les ai aidé. Elles me disent : « on est avec toi, ne t’inquiète pas. On est avec toi parce que même nous ils nous harcèlent, même si c’est d’une autre manière. On sait que si tu agis pour eux, tu agiras pour nous »

Dans sa manière d’expliquer cette action militante qui consiste à accompagner ses collègues à l’UL, il est intéressant de remarquer comment la posture oppositionnelle – voire sacrificielle – de Amina (défendre ses collègues sans se laisser intimider par le fait que cela suppose de se confronter à la direction) se voit motivée par l’empathie qu’elle entretient pour ses collègues. Le travail de Amina consiste autant à « aller au front » que de rassurer ses collègues les plus démunis lorsqu’il s’agit de se défendre ou simplement s’exprimer. Au cours de l’entretien avec Céline, Christine ne décrochera presque pas un mot, visiblement assommée par la situation (elle prend des médicaments à cause de sa dépression), et c’est Amina qui devra parler à sa place pour expliquer ce qu’elle endure. Tout au long de la réunion, Amina tâchera de mettre en confiance ses collègues, en se tournant vers eux avec un sourire pour les inviter à parler, tout en prenant le soin d’adopter un ton calme et posé : « allez vas-y, raconte ton histoire toi aussi ». Ainsi, au-delà la nécessité de répondre à une situation d’urgence, Amina a aussi convoqué cette réunion pour offrir un cadre plus favorable et protecteur à ses collègues afin qu’ils puissent s’exprimer sur ce qui les touche personnellement. Cette initiative est appréciée par ses collègues ; une d’entre elles lance au cours de la réunion : « c’est clair, quand on est tout seul, on ose pas parler, dire ce qui va pas. Mais là, dès qu’on est à plusieurs, c’est plus facile, ça fait du bien ».

Si les valeurs de virilité peuvent être des ressorts de l’engagement à la CGT, l’observation de l’activité syndicale dans ces secteurs précaires et féminins fait ressortir une autre facette du répertoire d’action propre à la CGT, plutôt motivé par le soucis d’aider ses collègues, de s’occuper de leurs problèmes. Dans ces secteurs où il est difficile d’impulser l’action collective, l’attention aux autres (montrer qu’on est là pour les collègues), le souci de les mettre en confiance deviennent des ressources fondamentales pour construire des liens de solidarité sur lesquels peut s’appuyer l’action syndicale. Le caring peut ainsi être reconverti comme capital militant et nourrit des valeurs à partir desquelles s’opère la politisation, comme un prisme à travers lequel est saisi l’injustice et l’arbitraire des relations de travail (« je peux pas laisser passer ça, j’y arrive pas »).
Des engagements bridés : répression anti-syndicale et fragilité du capital militant
Nous avons jusqu’ici expliqué quelles sont les dimensions culturelles fondamentales qui servent de matrice de l’engagement et de la politisation pour ces travailleurs précaires. Cependant, les conditions pratiques dans lesquelles doit se développer l’action syndicale dans ces secteurs ont pour effet de brider leur engagement. La CGT, en tant qu’organisation militante désireuse de développer l’action collective sur les lieux de travail, invite ses nouveaux adhérents à sans cesse entretenir le liens entre délégués, syndiqués et salariés, afin d’investir le maximum de salariés dans les enjeux propres aux négociations avec la direction. Un militant chargé de la formation syndicale dans son UL répondait ainsi à un délégué récemment élu et soucieux de savoir comment « convaincre » la direction en réunion : « Ce qui est important, c’est pas la prestation du délégué ! Le délégué, c’est une vitre. Le patron quand il te parle, il regarde pas la vitre, il regarde ce qu’il y a derrière ; et si derrière, il voit personne, tu peux parler pendant longtemps, ça changera pas grand chose. Par contre, si derrière la vitre, il voit des salariés qui sont prêts à bouger, t’inquiète pas que là, il va t’écouter ! ». Mais cette volonté de faire de l’action syndicale un outil au service de la participation des salariés doit se heurter à la discrimination anti-syndicale qui touche particulièrement ces secteurs de l’emploi privé démunis d’implantation syndicale historique.

En effet, tandis qu’au sein des grands établissements où la légitimité des syndicats est bien assise, les relations professionnelles sont plus formalisées et protectrices, les salariés travaillant dans le monde de l’emploi non-qualifié désireux de se syndiquer à la CGT sont plus exposés aux représailles de la direction (harcèlement, sanction, licenciement etc). Par conséquent, le travail de délégué visant à développer l’action syndicale doit se heurter à la « peur » des salariés de s’investir dans un registre d’action collective, ou tout simplement de se rapprocher des délégués CGT. L’observation du travail syndical montre bien en quoi ce paramètre contraint fortement le champ de possibles militants pour les délégués travaillant dans ces établissements. Cela apparaît clairement dans ces notes prises au cours d’une réunion pour préparer les négociations annuelles obligatoires (NAO) dans un hypermarché de 200 salariés appartenant à un des groupes leaders de la grande distribution. Cette réunion se tient à l’UL, entre deux déléguées travaillant dans le magasin (Delphine et Allison) et un militant cheminot à la retraite (Alain) qui représente en quelque sorte leur « référent » à la CGT pour les accompagner dans l’exercice de leur mandat. En effet, la CGT n’existe que depuis l’année dernière dans le magasin et les déléguées élues n’ont aucune expérience syndicale antérieure. Delphine et Allison sont venues pour demander de l’aide à Alain afin d’écrire un tract pour prévenir les salariés de la tenue des NAO. Le but est de les inviter à se rapprocher des déléguées CGT pour donner leur avis sur les revendications à donner :

Notes de terrain, réunion de préparation des NAO du magasin Hypermag, à l’Union locale de X., décembre 2014 :
A partir des discussions, Alain se charge d’écrire rapidement le tract en reprenant un modèle déjà existant pour répondre à ce genre de situation (prévenir les salariés des NAO). Il le sort à l’imprimante et le fait relire à Delphine et Allison qui se montrent satisfaites et n’ont rien à redire. Mais comme le tract conclut en invitant les salariés à exprimer leurs revendications aux déléguées (« Les militantes CGT vont venir à votre rencontre dans les jours qui viennent. Prenez toute votre place dans la construction de votre avenir, donnez votre avis sur les revendications que présentera la CGT’ »), se pose la question cruciale du procédé à mettre en place pour susciter la participation des salariés dans cette négociation. Alain leur propose de recevoir les salariés dans le local syndical mais Delphine lui rappelle que la direction ne leur a toujours pas donné de salle réservée à cet effet. Elle demande s’il ne serait pas possible de mettre une boite au lettre pour permettre au salariés d’écrire anonymement leurs revendications pour leur garantir une certaine sécurité. Je demande naïvement s’il ne serait pas possible d’organiser une réunion ouverte à tout le personnel pour parler de ces sujets. Delphine me rit un peu au nez : « non mais personne ne voudra venir ! Il y aura forcément des chefs, personne n’osera être vu à une réunion qu’on organise ». Alain demande si en salle de pause, ce n’est pas possible de pouvoir entretenir des échanges mais là encore, Delphine mentionne qu’il y a toujours de chefs présents, ce qui dissuade les salariés de parler. Rien que pour simplement récolter l’avis des salariés (on ne parle même pas de l’éventualité d’organiser un débrayage visant à mettre la pression sur la direction dans la négociation) c’est déjà la croix et la bannière ! Cette situation agace clairement Alain : « non mais attends, il y a un moment, il va falloir que ça cesse ces histoires, il est temps de sortir de la clandestinité ! ». Finalement, il sera retenu, dans un premier temps, de créer une adresse mail destinée spécialement aux NAO, à laquelle les salariés pourront envoyer leurs revendications.

On voit bien ici comment la discrimination anti-syndicale (ou du moins son appréhension) vient entraver le travail des délégués en les amenant à évoluer dans une situations de quasi-clandestinité. Dans ce magasin, malgré ce climat de « peur », la CGT a tout de même réussi à obtenir de bon résultats aux élections qui lui permettent d’être en mesure de mandater une déléguée syndical. La section syndicale compte un peu moins de 10 adhérents, mais hormis les deux déléguées, les salariés tiennent à ce que personne (et surtout pas la direction) ne sachent qu’ils sont à la CGT. Dans un autre magasin de grande distribution rattaché à cette UL, un délégué récemment élu et confronté exactement aux mêmes problèmes nous résumait la situation en ces termes :« Les gens ils ont peur ! Tu peux pas sortir comme ça à plein, avec les drapeaux…non il faut que ça reste en cachette !». Les salariés qui assument le rôle de délégué dans ces établissements se retrouvent donc bien souvent isolés, condamnées à devoir défendre des collègues (« morfler à leur place », pour reprendre les termes de Amina) sachant très bien que ceux-ci ne s’aventureront pas à franchir le pas de la syndicalisation, ou alors seulement « en cachette ». La discrimination anti-syndicale tient à distance les salariés de l’engagement et limite donc les chances de se familiariser à l’organisation d’actions collectives.

Les effets démobilisateurs que produisent la répression et l’isolement sur les délégués sont redoublés par la fragilité du capital culturel et militant sur lesquels ils peuvent compter. Les tâches militantes visant à organiser l’action collective nécessite en effet l’acquisition d’un ensemble de savoir-faire à dominante scolaire, notamment en raison de l’institutionnalisation des relations professionnelles en entreprise. Ainsi, donner du contenu au « travail de terrain » auprès des salariés afin de les investir dans une démarche revendicative s’appuie sur un usage avisé des moyens que procurent les IRP et par conséquent, un recours systématique à l’écrit : faire remonter les problèmes des salariés en réunion des délégués du personnel et leur faire le compte-rendu des réponses de la direction, obtenir par le biais du CE des données sur le chiffre d’affaire pour motiver une revendication d’augmentation de salaires, se familiariser avec la convention collective de sa branche pour contrôler et s’opposer aux abus de la direction etc. En devenant délégué, il faut donc se confronter au monde de l’écrit et affronter des représentants de classes supérieures qui maîtrisent parfaitement le travail oral d’argumentation. Si cette forme de promotion par le militantisme a toujours représenté un ressort fondamental de l’engagement syndical chez les classes populaires, il peut au contraire exercer un effet repoussoir pour des salariés démunis des moyens de s’approprier ces nouvelles responsabilités : « des fois on se sent bête !», nous confiait une aide-soignante malienne non-diplômée, au sujet de ses échanges face au directeur pendant les réunions de délégués, « on l’écoute parler, on voit qu’il nous mène en bateau, mais on sait pas quoi répondre »

Par conséquent, en dépit de la progression de l’implantation syndicale dans ces secteurs de l’emploi privé et non-qualifié, les délégués animant ces nouvelles bases sont largement démunis des moyens pour entretenir une véritable activité militante sur leur lieu de travail. Même si la CGT organise des stages de formation adressés à tous ces adhérents, l’apprentissage de ces savoir-faire suppose une certain niveau de capital scolaire afin d’être en mesure de se former « sur le tas », de manière autonome, comme par exemple en allant chercher soi-même sur Internet les textes du code du travail ou de la convention collective qui permettront de contrer la direction. Par conséquent, l’appui que sollicitent ces nouveaux délégués aux militants de l’UL chargés de les accompagner consiste essentiellement à leur demander de faire pour eux ce travail à caractère scolaire. Cependant, en-dehors des « moments chauds » (NAO, élections professionnelles, plan de licenciement etc), rares sont les occasions d’entretenir ces relations de travail militant. Pour ces nouveaux délégués, l’UL peine à représenter un lieu quotidien et familier de socialisation militante. Il s’agit plutôt d’un lieu où se rend lorsqu’on rencontre un problème ; on y va pour s’adresser au militant que l’on connaît, qui fait office de manière informelle de « référent » (comme c’est le cas de Alain pour l’hypermarché où travaillent Delphine et Allison) et on repart aussitôt le problème pris en charge par l’UL, ce qui rapproche plus l’échange d’une relation de guichet que d’une relation militante. La dynamique de ces relations est entretenue par la nature inégalitaire du rapport que ces délégués entretiennent avec les militants aguerris de l’UL, qui quant à eux, sont fortement dotés en capital militant. Ces inégalités favorisent des processus de délégation qui voient ces nouveaux syndiqués s’en remettre totalement aux militants expérimentés concernant l’aspect technique de l’activité syndicale, ce qui limite clairement la capacité d’auto-organisation des bases qui émergent dans ces secteurs professionnels.
Conclusion
Aborder l’étude de l’action syndicale par le biais d’une approche ethnographique recourant aux outils conceptuels de la sociologie politique offre donc une autre compréhension de l’état des relations professionnelles dans le monde de l’emploi non-qualifié. On peut ainsi donner d’autres élément d’explication au faible taux de syndicalisation et de conflictualité dans ces secteurs : la fragilité du capital militant, la « peur » de la discrimination et de la répression anti-syndicale sont des éléments indispensables à prendre en compte si on veut comprendre les difficultés à impulser des actions collectives. Mais nous pouvons aussi affirmer dans le même temps qu’un faible niveau de conflictualité et de syndicalisation ne signifie pas pour autant absence d’activité syndicale. Dans ces secteurs, la CGT n’existe pas tant en raison de son pouvoir d’impulser l’action collective mais plutôt par sa capacité à construire des liens de solidarité qui permettent à certains de « ne pas se laisser faire », de tenir au travail ; il s’agit en quelque sorte de liens qui peuvent être activés quand le besoin s’en fait ressentir, comme cela peut être le cas à l’occasion du harcèlement d’un salarié.

Enfin, l’étude des conditions pratiques à travers lesquelles s’opèrent l’entrée dans le syndicalisme pour ces salariés permet de réinvestir les recherches sur la politisation des fractions précaires de classes populaires. Si ces groupes sociaux restent marginalisés au sein des organisations clairement étiquetées comme « politiques », nous avons vu qu’il sont pourtant loin d’être démunis des grilles de lectures et de dispositions favorables à l’engagement. Celles-ci peuvent trouver à s’exprimer dans l’action syndicale telle qu’elle est proposée à la CGT. À ce titre, on peut souligner ici le rôle classique du syndicalisme comme structure pouvant « contribuer à la socialisation et à l‘autorisation politiques de [ses] membres et compenser, pour certains d‘entre eux, les effets d‘exclusion des processus de politisation à dominante scolaire ». Cette relative efficacité du travail de politisation remet en question certains préjugés du sens commun militant (voire sociologique) qui expliquent le faible niveau d’action collective par la montée de l’individualisme ou la disparition de la «conscience de classe ». En réalité, si la CGT mobilise aussi peu ces franges du salariat, c’est moins en raison de leur absence de rapport politisé au travail ou de leur refus de se voir assigner à une identité de classe, mais bien plutôt à cause de l’incapacité de l’organisation à créer les occasions favorables à la rencontre entre ses structures et les dispositions protestataires des travailleurs précaires.
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Les 120 ans de la CGT : un dialogue entre Maryse Dumas et Sophie Béroud

A l’occasion des 120 ans de la CGT (1895-2015), l’Humanité publie un numéro hors-série, disponible dans les kiosques (7 euros). Y figure entre autre une interview croisée de Maryse Dumas, responsable du programme des manifestations que la CGT organisera tout au long de cette année, et de Sophie Béroud, maitre de conférence en sciences politiques à Lyon 2, spécialiste du syndicalisme.  Au cours de cet échange, Maryse Dumas revient sur quelques questions-clefs actuelles : l’émancipation du salariat (« qui sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes« ), utopie fondatrice de la CGT,  les grands mouvements sociaux producteurs de droits, les problèmes contradictoires de l’institutionnalisation,  la portée transformatrice du travail, le rapport du syndicalisme à la politique (« …ce sont toujours les syndicats que l’on interroge sur leur rapport au politique... »). Nous remercions Maryse Dumas de nous avoir transmis cet échange très intéressant.

 

Nouveau hors-série de l’Humanité sur les 120 ans de la CGT

 

 

 

Entretien croisé Maryse Dumas et Sophie Béroud

En quoi les ambitions portées par la CGT dès sa création sont-elles encore d’actualité ?
Maryse Dumas : Les questions que la CGT se pose aujourd’hui ne sont pas très différentes de celles qu’elle se posait aux origines. Le contexte a changé, le salariat,  le droit syndical, les moyens de l’action syndicale ont changé, mais l’idée que le syndicat sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, reste toujours actuelle. Tout comme me paraît d’une criante actualité l’idée de la « double besogne » assignée au syndicalisme par la charte d’Amiens de 1906 : à la fois répondre aux préoccupations quotidiennes et construire un projet d’émancipation du salariat, Aujourd’hui, un actif sur cinq est dans une situation de chômage ou de sous-emploi, d’autres sont contraints de travailler dans une situation illégale, et sont totalement invisibles. Les salariés sont considérés comme des variables d’ajustements, ravalés au rang de chiffres. Cette mission sous-jacente qu’a eue le syndicalisme des origines, de permettre à des catégories, mises au banc de la société, de se connaître, de se reconnaître et de se faire reconnaître, reste plus que jamais à l’ordre du jour.
Sophie Beroud. Il est fort intéressant de se replonger dans les débats de l’époque, afin de voir comment est construit un outil qui permette de rassembler tout le monde. Le salariat a changé mais les enjeux restent les mêmes : comment on retrouve un groupe, un collectif, des revendications qui vont permettre de mobiliser les salariés. Dans l’histoire de la CGT, il y a plein de discontinuités mais il y a aussi une certaine continuité sur cette mission de rechercher un projet d’émancipation collective pour faire changer la vie des travailleuses et des travailleurs, un projet plus global, un projet d’ensemble qui ne se cantonne pas simplement à la défense des intérêts immédiats des salariés. Il y a à la CGT, une envie de conquête, une recherche de dignité, d’affirmation d’une place dans la société.

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Le mouvement syndical apparait aujourd’hui affaibli. Pour certains, il se serait trop institutionnalisé. L’implication dans les multiples lieux de négociation aurait pris le pas sur la lutte, la construction du rapport de forces …
Maryse Dumas : Obtenir des droits est dans la logique de l’action syndicale. C’est dans les grands mouvements sociaux qu’on gagne aussi des droits pour les syndicats, rarement en dehors. Une fois ces droits obtenus, faut-il les utiliser ? Évidemment, oui. A la CGT, nous sommes conscients de deux risques permanents : le risque d’institutionnalisation, le risque de marginalisation. Si, au prétexte du risque de s’institutionnaliser, nous refusons d’utiliser les droits de représentation acquis par les luttes, alors nous serons marginalisés. Ce n’est pas une trop grande présence de la CGT dans les instances de représentation qui nourrit le risque d’institutionnalisation, c’est surtout le fait qu’elle n’est pas assise sur une syndicalisation et une vie syndicale suffisamment importantes. Historiquement, le mouvement progressiste a été porté par les acquis obtenus dans les grandes entreprises et les services publics où les syndicats étaient forts, en nombre de syndiqués et en vie syndicale démocratique. La désindustrialisation et les privatisations ont considérablement affaibli cette force de frappe et la CGT elle-même car elle y avait ses bases syndicales les plus importantes. Aujourd’hui, le rapport de forces est inversé, c’est le moins-disant social qui l’emporte en s’alignant à la baisse sur les petites boîtes où le syndicat est très peu présent, mais où travaillent une majorité de salariés.
Sophie Béroud. Il ne faut pas opposer institutionnalisation et contre-pouvoir. C’est une vision schématique. Il n’y a pas de mauvaise institution, ce sont les usages que l’on en fait. Il y a même un défaut aujourd’hui d’institution, de droit syndical. Il n’existe pas de droit syndical interprofessionnel, pour organiser entre eux des salariés isolés, de droits syndicaux dans les petites entreprises, de protections pour les militants et les syndiqués, vis-à-vis de toutes les formes de discrimination et de pression pour ceux qui acceptent de prendre des responsabilités. Tout comme il n’y a pas en France de reconnaissance du syndicalisme, de l’activité syndicale comme faisant partie de la citoyenneté. C’est important aussi parce que c’est souvent, dans le discours dominant, un procès que l’on fait aux syndicats d’être trop institutionnalisés et du coup d’avoir perdu le contact avec les salariés.
Parmi les points de faiblesse, on constate un décalage, grandissant semble-t-il, entre l’implantation de la CGT et le salariat d’aujourd’hui. Bien que le diagnostic soit fait dans les congrès, les choses ne semblent guère bouger sur ce plan. Pourquoi ?
Sophie Béroud. C’est très compliqué de représenter les classes populaires, mais la CGT a joué ce rôle et continue de le jouer, même avec difficulté. Il y a toujours eu des enjeux sur les catégories que le syndicalisme atteint le moins. La CGT a toujours eu ce souci d’être en prise avec l’appareil productif. Mais bouger les structures, c’est aussi repenser les champs interprofessionnels, le niveau du pouvoir politique. Là encore, la mise en mouvement de l’organisation existe même si cela ne va pas assez vite. Lorsqu’il y a un syndicalisme catégoriel, il est difficile de passer à une base plus large. Car cela nécessite de faire des actions communes, de poser les enjeux, d’élaborer des revendications qui permettent de construire un outil, une fédération plus large. C’est compliqué aussi parce que les pratiques militantes sont différentes, mais aussi parce qu’il y a des enjeux financiers. Dans des secteurs avec un très faible taux de syndicalisation, où se trouvent beaucoup de syndiqués isolés, le rôle des unions locales et départementales, la dimension interprofessionnelle, sont décisifs. C’est le lieu où peut se créer un cadre collectif, un lieu pour se réunir, mais il y a là aussi des difficultés. En raison de la faiblesse du nombre de militants, déjà très accaparés. Des choix doivent être faits pour enclencher cette dynamique.
Maryse Dumas : L’idée que la structuration doit bouger est largement partagée dans l’organisation. Le problème est surtout sur : vers où aller et comment ? La structuration actuelle écarte celles et ceux qu’il faudrait prioriser : parmi les syndiqués dits « isolés », c’est à dire sans lien avec un syndicat de base, on voit une surreprésentation des jeunes, des femmes, des salariés en précarité. Or, elles et ils sont la figure montante du salariat, celle qui est la plus exploitée et a le plus besoin de s’organiser. Notre fonctionnement actuel ne le permet pas. Même dans les entreprises où la CGT est présente, cela se résume trop souvent à un fonctionnement autour des seuls élus. Il y a aussi des mandats (de délégués, de responsables syndicaux) qui durent trop longtemps, ne permettant pas de renouveler les pratiques, de féminiser et rajeunir les collectifs. Cela tient pour une part à des insuffisances du droit syndical sur les parcours militants. Lorsqu’un militant a un trou de 10 ans dans son CV du fait d’une activité permanente à la CGT, comment retrouver du travail ? De même, il n’y a pas de reconnaissance du syndicalisme interprofessionnel notamment au plan local. De ce fait, les présences militantes au service de l’ensemble des salariés sont pompées sur les heures de délégations obtenues dans telle ou telle entreprises. Cela  complique aussi l’évolution de la structuration. Ne nous cachons pas non plus que des visions différentes des missions de l’organisation conduisent à des visions différentes de la structuration : si elle n’a pour seule fonction que l’application du droit, alors des permanences juridiques suffisent au niveau local. Si elle a un rôle d’émancipation et d’éducation populaire, il faut des syndiqués actifs et une vie syndicale au plus près des gens. Si elle vise l’action, la négociation, et la conquête, alors il faut constituer des forces face aux employeurs. De même si on pense le changement de société à partir de la transformation du travail, plutôt que par le seul changement de gouvernement.
N’y a-t-il pas également des raisons d’efficacité ?
Maryse Dumas : La CGT s’est construite autour du syndicat d’entreprise. Mais quel est aujourd’hui le périmètre de l’entreprise : la maison mère ? Les filiales, les sous- traitants ? Comment prendre en compte les mobilités des salariés, les alternances entre plusieurs employeurs ?… Nous avons essayé d’élargir les périmètres, par exemple dans les centres commerciaux, en créant des syndicats de site. Sauf que nous n’arrivons pas à avoir un interlocuteur patronal interprofessionnel du centre commercial avec lequel on puisse discuter des horaires d’ouvertures, de la sécurité, des toilettes… Et c’est objectivement un obstacle à un syndicalisme efficace.
La question du rapport à la politique revient également très fortement dans les débats de la CGT…
Maryse Dumas. La CGT ambitionne de transformer la société par la transformation du travail. Parmi nos propositions, un statut des salariés qui permette à chacun, de l’entrée dans la vie active jusqu’à la retraite, de disposer de droits que les employeurs devraient respecter. Nous pensons qu’en transformant le travail, en permettant aux salariés d’être maîtres d’œuvre de son contenu, sa finalité, son utilité sociale, de l’organisation de leur travail, on fait reculer la notion même de marché, et on avance sur les préoccupations humaines et environnementales. Sur la base de ce projet, la CGT est prête à débattre avec tous ceux qui le souhaitent, autres syndicats, partis politiques, associations. Je remarque que ce sont toujours les syndicats que l’on interroge sur leur rapport au politique, qu’on réduit souvent aux rapports aux partis politiques, voire même à tels ou tels partis politiques. C’est la vieille maladie de la gauche en France que de considérer l’action syndicale comme seconde, voire subalterne de l’action politique. Les partis politiques de gauche, singulièrement le parti majoritaire, continuent de croire qu’ils parlent au nom de tout le monde, y compris au nom des travailleurs, au nom des syndicats, alors qu’ils n’acceptent pas ou peu de se confronter à eux. Or c’est de confrontations et d’échanges, mais véritablement réciproques, qu’il y a besoin. Depuis les années 70, les partis politiques de gauche ont délaissé les questions du travail et les ont déléguées aux syndicats, alors même que le travail est identitaire de la construction de la gauche en France. Beaucoup de questions se posent aujourd’hui sur l’équilibre véritable de cette démocratie qui se vit avec un suffrage redevenu quasiment censitaire plutôt qu’universel, dans la mesure où ce sont systématiquement les catégories populaires, les ouvriers et employés qui font le gros des abstentionnistes. Lorsqu’ on veut le changement de société, on doit veiller à l’indépendance des syndicats, parce que travailler à l’indépendance, c’est se dire qu’une fois arrivés au pouvoir, les luttes syndicales nous aideront à pousser les feux vers les revendications du travail au détriment du capital. L’indépendance des syndicats détermine la sincérité d’un projet qui vise à faire reculer le capitalisme et à faire émerger les revendications du travail.
Sophie béroud. Sur les rapports au politique, la CGT a eu des phases très intéressantes dans les années 1990/2000. Il y a eu une séquence de distanciation avec le Parti communiste, et même presque la crainte de parler politique. Avec la volonté de marquer les frontières. Puis, il y a eu une évolution. Une fois la distanciation acquise, la CGT a pu recommencer à dialoguer avec différents types d’organisations, en estimant être porteuse d’un certain nombre d’éléments et d’idées sur ce qui se joue dans le travail. Même si toutes les organisations de la CGT ne vont pas à la même vitesse. Il y a par moment, en fonction du contexte et de la situation, des tentations de revenir à des liens plus étroits avec des organisations politiques, de revenir vers les schémas historiques.
Maryse Dumas. La période de distanciation a aussi permis de réfléchir non seulement à l’indépendance, mais surtout à la spécificité de la démarche syndicale. Un parti politique vise le pouvoir, le gouvernement ; l’objectif du syndicat est de gagner sur les revendications quel que soit le pouvoir en place et la couleur politique du gouvernement, en usant de tous les moyens possibles pour créer les rapports de forces.
Dans ce rapport de forces, l’unité syndicale reste-t-elle une des clés ?
Maryse Dumas. La division syndicale offre au patronat une possibilité d’avancer dans ses objectifs antisociaux. L’unité d’action des syndicats crée une dynamique favorable à l’entrée en action de nombre de salariés qui ne le feraient pas autrement. C’est donc une question clé. Dans le paysage actuel, dès qu’il y a négociation, on pense institutionnalisation, on dit signature et on dit CFDT. Pour nous, il existe une autre façon de négocier, une façon CGT qui prend en compte les revendications des salariés, qui veut définir avec eux l’enjeu de la négociation, trouver les moyens de créer un environnement favorable à la satisfaction des revendications, par l’action, l’unité d’action et la consultation des salariés à toutes les étapes.
Que révèle la crise de direction qui vient de frapper la CGT ?
Maryse Dumas : Le principe à la CGT c’est que la base décide et fait remonter ses attentes. Le niveau national confédéral n’a de pertinence qu’en réponse à ces attentes-là. S’il n’y répond pas, c’est l’idée même de confédération qui est fragilisée. Au tout début, avant la guerre de 1914, le rôle assigné à la confédération par ses fondateurs était de parvenir à la grève générale. Devant les échecs répétés, un certain partage des tâches entre les différents niveaux, fédérations professionnelles, organisations interprofessionnelles territoriales et confédération, s’est structuré. Il reposait, surtout après la Libération, sur des syndicats nombreux et forts dans des grandes entreprises et services publics qui donnaient le « la ». Or, dans une société où le particularisme l’emporte sur les solidarités, où la force de frappe syndicale dans les entreprises s’affaiblit, où le syndicat de base voit le nombre de ses syndiqués réduit à la portion congrue, nous arrivons au bout de cette vision. On demande à la direction confédérale nationale de suppléer les défaillances sans pour autant lui donner les moyens de véritablement impulser une stratégie de développement. C’est donc le rôle d’une confédération dans le salariat et l’état des forces syndicales actuels qui est aujourd’hui posé.
Sophie Béroud. Il est un peu tôt pour analyser cette crise. Les difficultés semblent être liées à un apprentissage de la démocratie interne. Aujourd’hui, la CGT trouve en elle-même ses propres référents démocratiques. Depuis les années 1990, la CGT se construit en cherchant sa propre démarche pour renouveler sa démocratie. Il n’y a pas eu assez de discussions, il n’y a pas eu le temps de la discussion. Les militants d’aujourd’hui sont pris dans une exigence démocratique très forte, mais s’il n’y a pas le temps pour cela, alors il peut y avoir des hiatus. C’est ce que perçoivent les militants à la base.
Maryse Dumas : Nous avons trop peu débattu en particulier du rôle de la confédération. Or celui du bureau confédéral et du secrétaire général en découlent. Si on ne discute du secrétaire général qu’en terme nominatif, il n’y a pas de solution. Quelle que soit la personne, même très performante, elle ne peut incarner toute la diversité de la CGT. Il y a aussi à innover en matière de démocratie interne. Les syndiqués actuels n’ont, souvent, pas d’autres expériences démocratiques que la CGT. Or la démocratie syndicale est une forme tout à fait particulière de démocratie qui reste méconnue. Mais la cause principale se trouve dans la non-clarification, voire la mise en cause des évolutions de la CGT de ces dernières années. Reste la question fondamentale : comment construire l’émancipation du salariat, le changement de société sans une confédération faisant converger toutes les professions sur ces objectifs ? La crise confédérale peut être une chance si elle conduit à de nouvelles innovations démocratiques.
Sophie Béroud. La crise peut s’expliquer aussi parce qu’il y a des choses qui ont bougé dans la CGT et qu’il n’y a plus adéquation entre le haut et le bas. Il n’y a pas que du négatif, les réponses se trouvent aussi dans ce qui a bougé. Et ce n’est pas, comme certains voudraient le laisser penser, un effondrement de l’organisation.
Entretien réalisé par Clotilde Mathieu

 

  • Vu sur le site de la CGT  : 12 mois pour 120 ans

1895 : Limoges : La Confédération générale du travail se constitue et le mouvement syndical s’unifie. 2015 : La CGT veut marquer ses 120 ans par des initiatives au plus près du terrain, avec celles et ceux qui ont fait, font et feront la CGT d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Chaque mois de l’année sera l’occasion de réfléchir, agir et construire ensemble, sur différentes dimensions de l’activité syndicale, à travers une multitude d’initiatives aux formats divers : expositions, colloques, conférences, initiatives revendicatives, sportives, culturelles… partout en France. Les rendez-vous seront tournés vers la jeunesse et l’avenir, en s’appuyant sur l’histoire.

Trois temps forts jalonneront l’année : l’ouverture des initiatives « 120 ans » et l’inauguration de l’exposition « La CGT a 120 ans » le 4 mars à Montreuil, un colloque à Limoges à l’occasion de la date anniversaire du congrès fondateur et une soirée festive, en décembre, qui clôturera les célébrations.


FÉVRIER

La CGT et les droits d’intervention des salariés

Quel rôle a tenu la CGT pour que les comités d’entreprise soient mis au service des droits d’intervention des salariés sur les stratégies de gestion des entreprises ? Au service aussi de l’accès du plus grand nombre à des activités culturelles, de loisirs, de sports, de vacances de grande qualité, à des tarifs accessibles ? À l’occasion des différents salons des CE, retour sera fait sur le 70e anniversaire de la création des comités d’entreprise, sur le rôle majeur de la CGT pour développer et accroître ces droits.


MARS

La CGT et la féminisation du salariat

Le 8 mars est depuis 1910 la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. La CGT interrogera son rapport à l’engagement syndical des femmes, à leur prise de responsabilité et traitera plus généralement des questions féministes et d’égalité, avec notamment une rencontre nationale à Montreuil le 5 mars.

La CGT et le développement économique

La semaine de l’industrie sera l’occasion de faire connaître les ambitions de la CGT pour faire de la France une nation industrielle, respectueuse des préoccupations de développement durable.

La région Aquitaine viendra construire un chalet, du 30 mars au 3 avril, pour démontrer tout l’intérêt du développement d’une filière nationale du bois. Cette initiative articulera luttes, revendications et créations artistiques avec la compagnie de B. Lubat, R. Bohringer, C. Gibault, le Paris Mozart Orchestra, etc. D’autres filières, comme la métallurgie ou les cheminots, profiteront de cette semaine pour organiser des initiatives. Un forum régional sur la mer devrait se tenir en Bretagne.

L’union départementale du Vaucluse avec l’IHS et les cheminots inaugureront le 14 mars la gare SNCF de Carpentras pour la réouverture de la ligne après une bataille revendicative de la CGT de quarante ans.

La fédération des Cheminots et son collectif Dom Tom organiseront le 19 mars une journée consacrée à la départementalisation des DOM, qui aura bientôt 70 ans, avec exposition et animation musicale.


AVRIL

La CGT et les évolutions du travail

Le travail sera au cœur des initiatives du mois d’avril 2015 : ses évolutions multiples et les exigences de réponses syndicales nouvelles qu’elles appellent.

Un colloque de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens mettra l’accent sur le travail qualifié tandis que d’autres initiatives porteront l’attention sur le travail ouvrier ; l’occasion de faire le point sur les apports de la CGT pour transformer le travail et l’émanciper.


MAI

La CGT et la solidarité internationale

Les manifestations du 1er mai 2015 donneront une résonance particulière au combat historique de la CGT pour la paix, la solidarité entre tous les travailleurs du monde et pour l’unité. Une initiative au Creusot en présence de Bernard Thibault, membre du conseil d’administration du Bureau international du travail devrait en donner une illustration particulière.

Diverses initiatives illustreront les combats de la Résistance pour parvenir le 8 mai 1945 à la capitulation des armées nazies. Elles seront l’occasion de mettre en évidence les valeurs d’égalité, de solidarité et de respect des libertés fondamentales de tout être humain dont notre époque a cruellement besoin.

L’union départementale de l’Hérault organise le 23 mai un forum international des syndicats de la Méditerranée sur la transition énergétique et les politiques d’austérité avec film, débat, repas, concert, etc.

Du 13 au 14 mai, le Festival de Cannes, dont la CGT est cofondatrice, sera l’occasion de mettre en exergue la part d’histoire commune du cinéma et de la CGT et l’actualité des enjeux qui les traversent. Une exposition et une soirée spéciale sera organisée au Festival international du Film à Cannes par l’union départementale des Alpes maritimes, l’union locale de Cannes, la FNSAC et l’ANCAV-TT.

L’Avenir social organise deux initiatives dédiées à la solidarité. L’une sera de faire participer aux manifestations du 1er mai, deux femmes ayant collaboré à la création de la première classe d’alphabétisation au Sénégal. L’autre de permettre à des personnes précaires, sans emploi ou sans papiers, d’aller et de participer au Festival de Cannes, voire de fouler le tapis rouge.


JUIN

La CGT en territoires

Le 5 juin, l’union départementale de Loire-Atlantique engagera un débat sur les interactions entre l’art et le monde du travail. Comment une pièce de théâtre peut permettre à des syndicalistes de prendre de la hauteur sur leur activité, de mieux cerner les préoccupations des salariés, de faire émerger des perspectives nouvelles…

La Bourse du travail de Saint-Denis propose, le 11 juin, une projection-débat « Plaine de Vies » sur les enjeux syndicaux liés aux mutations sociales et économiques et industrielles notamment celles de l’industrie audiovisuelle et cinématographique.

Le 13 juin, la question des Services publics sera sur le devant de la scène à partir d’initiatives unitaires dans la Creuse. L’accent sera mis sur le syndicalisme en milieu rural à partir notamment, d’une initiative organisée les 20 et 21 juin dans le Gers.

En juin, le centre Benoît Frachon propose une journée d’étude sur l’action de la CGT en matière de formation syndicale, de culture et d’éducation populaire. Une salle « Marius Bertou » sera inaugurée et suivie d’un spectacle vivant autour du théâtre et de la poésie.


JUILLET/AOUT

La CGT et la vie hors travail

À l’occasion du Tour de France et des festivals de l’été, la CGT interrogera son rapport au sport, à la culture, aux loisirs. Elle reviendra sur ses batailles pour la RTT et pour obtenir « le temps de vivre ». La question des différentes formes d’emplois saisonniers, précaires, intermittents, ne sera pas oubliée, pas plus que les luttes de la CGT pour les droits collectifs et individuels des salariés.

Au Festival d’Avignon exposition et spectacles seront proposés par l’union locale CGT d’Avignon, l’union départementale du Vaucluse et la fédération du Spectacle, de l’Audiovisuel, du Cinéma et de l’Action culturelle.

Au Festival également, la région Rhône Alpes amarre une péniche comme lieu de rencontres et propose un débat le 11 juillet sur les 70 ans des CE et notamment les activités culturelles, les liens entre les CE et le monde de la culture.


SEPTEMBRE

La CGT et l’unité des syndicats

Comme tous les ans, le Forum social de la fête de l’Humanité proposera des débats. Ceux-ci porteront la dimension des 120 ans.

Le festival de la marionnette du 18 au 27 septembre à Charleville Mézières pourrait être l’occasion d’une présence syndicale originale, dans une forme d’art et de spectacle très populaire.

Un ouvrage collectif sera réalisé par des camarades de l’union départementale de l’Ain avec une lecture scénarisée lors d’une initiative organisée le 25 septembre avec expositions et spectacles vivants.

Le 26 septembre, l’union départementale du Gard clôturera sa série d’initiatives par des conférences avec le grand public sur leurs attentes vis-à-vis du syndicalisme en général et de la CGT en particulier. Des concerts alterneront ces débats.

Le congrès de la Confédération européenne des syndicats à Paris, du 28 septembre au 2 octobre, sera l’occasion de présenter les spécificités et l’histoire du syndicalisme français aux délégués des syndicats européens.


OCTOBRE

La CGT, le choix d’être une confédération pour les solidarités entre salariés

La commémoration de l’acte fondateur de la CGT en 1895 sera l’occasion d’organiser le 15 octobre à Limoges une initiative culturelle populaire et grand public avec l’organisation d’une journée de réflexion militante sur la portée actuelle du choix d’un syndicalisme confédéré, de ses principes de fonctionnement et de structuration et des réponses nouvelles à imaginer au service d’un salariat en pleine évolution. La mémoire ouvrière de la ville sera saluée au travers l’inauguration d’une rue à la mémoire de Marguerite Saderne. Et enfin, le Club omnisports de la CGT organisera une randonnée cyclotouriste de 120 kms à Limoges.

C’est en octobre aussi que seront célébrés les 70 ans de la création de la Sécurité sociale. Composante essentielle de notre modèle social, elle est au coeur d’enjeux de société fondamentaux, qui appellent à la plus extrême vigilance et à la mobilisation.

C’est sur ce thème en lien avec notre démarche revendicative d’une Sécurité sociale professionnelle que l’union départementale d’Indre-et-Loire propose un débat public avec animations culturelles le 5 novembre.

L’union départementale de Saône-et-Loire organise trois jours de festivité avec des interventions, des expositions, animations culturelles, musicales et théâtrales, etc., sur la spécificité du régime minier en tant que modèle pour la Sécurité sociale du futur.


NOVEMBRE

La CGT et les moyens d’être efficace au service des salariés

L’union départementale de Gironde construit une initiative sur sa bourse du travail à Bordeaux, lieu chargé d’histoire, de culture, de trésors d’art mais aussi de luttes et de résistance.
D’autres comme celles de Rochefort, de Rennes, l’union locale de Cholet ou encore l’union locale de Corbeil qui fête ses 110 ans, seront à l’honneur, leur histoire, mais aussi leur utilité actuelle au service des salariés et de l’éducation populaire. Certaines viennent d’être rénovées, d’autres seront inaugurées comme celle de Roissy Charles de Gaulle, d’autres ont besoin de l’élan collectif pour être sauvées.

Partout l’activité CGT en territoires sera mise en exergue avec l’exigence de locaux syndicaux dignes de notre temps et des besoins des salariés.

Le 5 novembre, la bataille des idées et la presse syndicale feront l’objet d’une rencontre sous l’égide de Vie Nouvelle et de l’Union confédérale des retraités, en collaboration avec les autres publications de la CGT.

La conférence Paris Climat 2015, à partir du 30 novembre, donnera lieu à de multiples initiatives et débats lancés par la CGT pour créer les conditions d’un développement humain durable, démocratique et porteur de progrès.


DÉCEMBRE

La CGT et les privés d’emplois

Comment la CGT combat-elle toutes les formes d’exclusion de l’emploi ? Comment s’est-elle organisée pour permettre aux salariés privés d’emplois de lutter pour leurs droits et leur proposer des formes de syndicalisation qui correspondent à leurs attentes et possibilités ? Les manifestations du 5 décembre seront l’occasion de mettre en lumière l’activité des comités CGT des privés d’emplois

La CGT et les jeunes

Un événement festif clôturera l’année. Il donnera une grande place à la jeunesse et permettra à la CGT de se tourner avec confiance vers les échéances futures.

Des organisations comme l’union départementale de l’Ariège proposent tout au long de l’année des initiatives (forums, débats, expositions, animations culturelles, etc.) en y associant des syndicats, des unions locales, des fédérations.

Plusieurs fédérations et unions départementale, qui tiendront leur congrès en 2015, en profiteront pour mettre les 120 ans de syndicalisme CGT à l’honneur au travers d’initiatives multiples à l’égard de leurs délégués.

Un remerciement tout particulier à la FNSAC (fédération du Spectacle, de l’Audiovisuel, du Cinéma et de l’Action culturelle) qui participe et apporte sa connaissance dans le domaine artistique à une multitude d’initiatives.

Bilan élections fonction publique : tentative de synthèse CGT

Concernant les résultats des élections dans la fonction publique de décembre 2014, nous avions déjà publié une analyse détaillée faite par Baptiste Talbot, sur la fonction publique territoriale. L’article ci-dessous est paru dans Fonction publique, publication de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires (UGFF) CGT (les articles ne sont pas signés dans cette publication). Il tente une synthèse plus générale, et sans faux fuyant sur les résultats (« un signal adressé par les électeurs« ),  sur les trois versants de la fonction publique : Etat, territoires, hôpitaux.

 

1-Logo-UGFFL’HEURE DES BILANS

Les résultats nationaux des élections générales dans la Fonction publique sont maintenant connus et le temps est venu des premiers bilans.
En se penchant sur les résultats globaux, outre les évolutions de l’abstention et des bulletins nuls déjà notées dans le dernier numéro de FP, quelques grandes tendances peuvent d’ores et déjà être relevées. Faute de place, nous n’aborderons ici que deux questions qui sont d’évidence posées par ces résultats : la représentativité syndicale et le score de la CGT.

  •  REPRÉSENTATIVITÉ SYNDICALE, DES CRITÈRES A REVOIR

Pour l’ensemble de la Fonction publique, les 3 confédérations CGT, CFDT et FO totalisent 61 % des voix (62% en 2011, 57,7% en 2008) soit 7,5 point de moins que dans le secteur privé. Si on ajoute les scores de l’UNSA (10,4%), de la FSU (7,9%) et de SOLIDAIRE (6,8%), 6 organisations syndicales cumulent plus de 86% des suffrages. Cependant, du fait du mode de composition du Conseil Commun, 3 organisations syndicales (CFTC, CGC, FAFP) dont le score avoisine les 3%, conservent leur représentativité. Seul le syndicat autonome des directeurs d’hôpitaux (moins de 0,3% en 2011) perd son siège au Conseil Commun. Dans le secteur privé, où le seuil de représentativité est fixé à 8%, il n’y a que 5 organisations (CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC) qui peuvent participer à des négociations au niveau national. Par ailleurs, le paysage syndical est nettement contrasté suivant les versants de la Fonction publique. A l’Hospitalière, les 3 grandes confédérations totalisent 80% et il ne reste que 5 organisations représentatives (CGT, CFDT, FO, SOLIDAIRE et l’UNSA). Dans la Territoriale, la situation est très comparable puisque ces 3 Confédérations totalisent 70% et qu’il y a également 5 organisations représentatives (CGT, CFDT, FO, UNSA et FAFP).
Dans la Fonction publique de l’Etat, les confédérations CGT, CFDT et FO cumulent moins de 45% de voix et 5 organisations (FO, FSU, UNSA, CFDT et CGT) se situent entre 13 et 17%. Avec SOLIDAIRE (9%) et la CGC (5,5%) il y a aujourd’hui 7 organisations syndicales représentatives dans la FPE puisque la CFTC perd son siège au CSFPE. Cependant, si on examine la situation dans le détail, on relève que seules la CFDT, la CGT et l’UNSA sont effectivement représentées dans la quasi-totalité des ministères. De plus, certaines organisations, dont le score est inférieur à 5%, ne doivent leur présence dans un CTM que par le truchement de listes communes à 2 ou 3 syndicats.
Si l’on constate ainsi que la loi de juillet 2010 n’a eu que des conséquences marginales sur la représentativité dans la Fonction publique, il n’y a pas lieu de s’en réjouir. L’émiettement syndical ne profite en rien aux agents et, dans le passé y compris récent, les autorités gouvernementales ont su habilement jouer des dissensions syndicales pour faire passer leurs projets. Ainsi, dans la dernière mandature, il n’a jamais été possible de réunir un vote « unanimement contre » des représentants du personnel au Conseil Commun alors même que les accords de Bercy obligent, dans ce cas de figure, le Gouvernement à organiser une nouvelle délibération.
D’évidence, il faut revoir les textes d’application des accords de Bercy pour réviser les critères permettant à une organisation syndicale d’être représentative dans la Fonction publique.

  • LE SCORE DE LA CGT : UN SIGNAL ADRESSE PAR LES ELECTEURS
  • Comme les observateurs l’ont souligné le fait marquant du scrutin du 4 décembre c’est le recul enregistré par la CGT dans pratiquement tous les secteurs.
    Si nous devons regarder lucidement ces résultats, il ne s’agit pas non plus de tomber dans le catastrophisme.
    Au niveau du Conseil commun, la CGT, avec 23,08% des voix et 8 sièges sur 30, demeure la première force syndicale dans la Fonction publique devant la CFDT (19,27% ; 6 sièges) et Force Ouvrière (18,59%, 6 sièges). Si la CGT recule de 2,36 points et perd un siège par rapport à 2011, elle obtient un score légèrement amélioré (+0,4) par rapport aux élections de 2008.
    Dans la FPT et la FPH, la CGT demeure première organisation syndicale largement devant ses suivantes. Dans la Fonction publique de l’Etat, la situation semble plus problématique puisqu’à 13,43%, la CGT rétrograde en 5ème position, notre recul étant de -2,4 point par rapport à 2011 et de -1,8 point par rapport à 2008.
    Toutefois, ces données brutes ne reflètent pas parfaitement l’évolution de notre audience. Sur les 6 dernières années le corps électoral de la FPE a été profondément modifié avec des suppressions massives d’emploi notamment à la Poste et France Télécom (-85000), la prise en compte nouvelle des agents de l’Enseignement privé sous contrat (141 000 électeurs) et une nouvelle vague de transferts (50 000) des agents d’exploitation du ministère de l’équipement vers les collectivités territoriales. Si on exclut ces trois secteurs des comparaisons, le score de la CGT est en baisse de 2,2 point par rapport à 2011 mais en progression de 1,4 point par rapport à 2008.
    Si recul il y a, ce n’est donc pas un effondrement de l’audience de la CGT parmi les agents de la Fonction publique.
    Ce revers constitue néanmoins un sévère avertissement qui nous est adressé par les électeurs et il conviendra de prendre le temps, dans toutes nos organisations, pour en analyser les causes qui sont sans doute plurielles.
    Si on écarte l’effet des « affaires Lepaon », en voie de règlement, il nous faut d’abord nous interroger sur notre capacité à être à l’écoute des salariés et sur les moyens que nous mettons en œuvre pour répondre à leurs revendications. Sur la dernière période la CGT, dans la Fonction publique, comme dans le reste du monde du travail, n’a pas su susciter des mobilisations d’un niveau suffisant pour faire barrage aux politiques d’austérité et pour imposer d’autre choix. Courant 2013 et 2014, les appels réitérés à des journées de grèves, dans des périmètres unitaires variables, n’ont pas été suivis massivement par les personnels ce qui nous questionne sur la lisibilité de notre stratégie et de nos modalités d’action.
    Ce constat, qui traduit notre difficulté à emporter la conviction des agents, nous force à réfléchir sur nos modes d’expression et de communication. Il nous interroge sur nos modes d’organisation et de fonctionnement ; à titre d’exemple, le score de la CGT dans les Directions Départementales Interministérielles (-0,4%, -7,3 point par rapport à 2011) montre que dans ce secteur notre outil syndical, éclaté entre 12 syndicats nationaux, n’est plus adapté aux réalités d’aujourd’hui. Plus profondément, se pose à nous la question des rapports entre syndicalisme et politique, singulièrement lorsque ce ne sont pas des partis de droite qui sont au pouvoir.
    Ce travail d’analyse, que nous devons mener dans les prochaines semaines et les prochains mois, doit nous permettre de redresser la barre pour, d’ici 4 ans, retrouver la confiance d’un maximum de nos collègues de travail.

Un bulletin syndical interprofessionnel vivant : l’UD CGT Haute Loire

Le bulletin de l’Union départementale CGT de Haute Loire (Solidaires) est chaque mois un modèle de vie syndicale concrète, avec des exemples d’actions, des arguments, des résultats, et de la fête aussi. Pas étonnant qu’elle soit une de celles qui (relativement à la taille du département) recrute le plus à la CGT! Ci-dessous le lien vers le numéro de février, et le lien vers un argumentaire sur la loi Macron. Ainsi qu’un article montrant une lutte gagnante contre le travail du dimanche.

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lien vers le bulletin : Février 2015

Argumentaire loi Macron 4-pages-loi-macron

E C H O  D E S  S Y N D I C A T S
Travail du dimanche, la lutte paye !
Suite à une réunion publique et répondant à l’appel de l’Union Départementale et du syndicat Commerce CGT 43, de nombreux salariés s’étaient donné rendez-vous sur la zone commerciale, devant le parking d’Intermarché Langeac, le dimanche 15 février, exprimant ainsi leur refus de se voir imposer le travail du dimanche. En effet, les directions de plusieurs grandes surfaces ont décidé de mettre en place le travail dominical, contre l’avis largement majoritaire des employés.
Le syndicat rappelle que cette mesure est économiquement absurde et socialement injuste. Le pouvoir d’achat des ménages n’étant pas extensible au nombre de jours d’ouvertures, le chiffre d’affaires ne ferait que se répartir autrement sur la semaine, sans pour autant augmenter.
Les conséquences sur la vie privée des salariés seraient graves. Le dimanche est bien souvent le seul jour de la semaine où ceux-ci peuvent se reposer, profiter pleinement de leurs proches ou se
consacrer à des activités culturelles, sportives, associatives.
Ce secteur d’activité connaît déjà une précarité et des conditions de travail difficiles, aussi nous ne saurions accepter aucun recul social.
Tolérer le travail du dimanche, c’est préparer une société où celui-ci serait généralisé à tous et toutes, encore au détriment des travailleurs.
La forte mobilisation des salariés a payé. En effet, les supermarchés Langeadois resteront fermés les dimanches. Une négociation s’engage concernant la période estivale et les jours fériés.
Jean-Yves DERIGON – Alain TALON

 

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Le droit du travail en Grèce, un article de Michel Miné

A la suite de nos articles sur le syndicalisme grec, nous avons reçu un message de Michel Miné, juriste en droit du travail (et collaborateur sur ce plan de la CGT), qui nous alerte sur un article publié dans Médiapart sur le droit du travail en Grèce. Où l’on découvre que la troïka est allée bien plus loin que ce qu’elle était en droit d’imposer en application des traités, notamment des baisses du salaire minimum qui ne font absolument pas partie des compétences de l’Union. Ainsi que des violations du droit de la négociation collective.

 

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Renforcer le droit du travail en Grèce

Le gouvernement grec doit respecter les engagements européens et internationaux souscrits par la République hellénique. Et pour ce faire, il lui appartient de réformer le droit du travail et ainsi de réviser des réformes qui ont été imposées par « la Troïka » en application de Mémorandums successifs.

Les institutions européennes ont imposé à l’État grec des réformes législatives du droit du travail. Ce faisant, ces institutions (la Commission, le Conseil et la Banque centrale européenne) sont ici allées au-delà de leurs prérogatives sur plusieurs points.

En effet, la politique sociale et en particulier le droit du travail relève de la compétence des États. L’Union a ici une compétence subsidiaire : elle ne peut que soutenir et compléter l’action des États et ce dans certains domaines limitativement indiqués et uniquement au regard de certains objectifs.

Les domaines sont en droit du travail : l’amélioration, en particulier, du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs; les conditions de travail; la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail; l’information et la consultation des travailleurs; la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs; les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l’Union; l’égalité entre les femmes et les hommes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail.

Les objectifs des actions menées par l’Union avec les États sont la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions.

Concernant l’intervention des institutions européennes dans la réforme du droit du travail en Grèce, deux sujets retiennent spécialement l’attention : les rémunérations et le droit de la négociation collective.

En matière de rémunérations, l’Union européenne n’est pas juridiquement compétente pour adopter des mesures s’imposant à un État membre. Cette question des rémunérations est explicitement exclue de la compétence européenne en vertu du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 153 § 5). Par conséquent, l’Union à travers ses Décisions du Conseil n’était pas habilitée à imposer une réduction du salaire minimum (de 22 %) et en particulier une réduction aggravée pour les jeunes travailleurs de moins de 25 ans (de 32 %).

En matière de négociation collective, les institutions européennes peuvent uniquement intervenir pour soutenir et compléter l’action des États afin de développer le dialogue social. Or ces institutions ont imposé une transformation du droit de la négociation collective prévoyant la priorité à la négociation d’accords d’entreprises moins favorables que les accords de secteurs, la possibilité de négociation dans les entreprises avec des « associations de personnes » en dehors des syndicats, la réduction de la durée des conventions de secteurs, etc.

Ces réformes mises en œuvre par l’État grec ont été contestées devant les instances de contrôle de l’Organisation internationale du travail et du Conseil de l’Europe de Strasbourg. La Grèce comme les autres États membres de l’Union européenne a ratifié des Conventions de l’O.I.T. et la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe.

En matière de rémunération, au regard du droit à un salaire équitable prévu par la Charte sociale européenne, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe a relevé la violation par l’État grec de la Charte sur de nombreux points concernant notamment les jeunes. Une illustration emblématique : le salaire minimum des jeunes de moins de 25 ans est inférieur au seuil de pauvreté. Le Comité a conclu à la violation de la Charte sur de nombreux points par l’État grec. Pour le Comité, « la crise économique ne doit pas se traduire par une baisse de la protection des droits reconnus par la Charte. Les gouvernements se doivent dès lors de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que ces droits soient effectivement garantis au moment où le besoin de protection se fait le plus sentir » (Décisions du Comité de 2012). Le précédent gouvernement grec avait reconnu ses multiples et graves défaillances mais n’avait formulé aucun engagement pour y mettre fin.

En matière de droit de la négociation collective, dans les branches et les entreprises, le Comité d’expert de l’Organisation internationale du travail « constate (…) la présence de nombreuses et sérieuses atteintes à la liberté de négociation collective et au principe de l’inviolabilité des conventions collectives librement conclues (…) ». Pour l’OIT, « le recours répété à des restrictions législatives de la négociation collective ne peut, à long terme, qu’avoir un effet néfaste et déstabilisant sur le climat des relations professionnelles, compte tenu que de telles mesures privent les travailleurs d’un droit fondamental et d’un moyen de promouvoir leurs intérêts économiques et sociaux » (Rapport du Comité de la liberté syndicale de 2012). L’OIT admet des réformes législatives liées à une situation de crise grave mais exige que les règles fondamentales demeurent respectées : en premier lieu, la libre négociation.

L’O.I.T. a formulé une Recommandation au gouvernement : « les autorités publiques devraient promouvoir la libre négociation collective et ne pas empêcher l’application des accords collectifs librement conclus », les partenaires sociaux devant être « pleinement associés » « à toute modification future touchant les aspects fondamentaux des droits de l’homme, de la liberté syndicale et de la négociation collective qui constituent l’essence même de la démocratie et de la paix sociale ».

Ainsi, le gouvernement grec d’hier en appliquant les réformes imposées par les institutions européennes en est arrivé à ne plus respecter ses engagements internationaux en matière de droits de l’Homme dans le travail.

Par conséquent, pour respecter la légalité internationale, le nouveau gouvernement doit réformer le droit du travail appliqué en Grèce pour le mettre en conformité avec ses engagements et répondre ainsi favorablement aux demandes de l’Organisation internationale du travail et du Conseil de l’Europe.

Les institutions de l’Union européenne (la Commission, le Conseil et par conséquent les États membres) doivent se montrer respectueux de la lettre et de l’esprit des Traités de l’Union européenne en matière de droits de l’Homme dans les domaines économiques et sociaux ainsi que des traités internationaux ratifiés par ces États.

L’ensemble des acteurs pourraient utilement relire la Déclaration de Philadelphie, de l’O.I.T., rédigée en 1944 au lendemain de la seconde guerre mondiale : la « paix ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale », « il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger, et (…) il est urgent d’améliorer ces conditions (…) ».

Les droits de l’Homme doivent être garantis par les États en particulier au moment où les personnes sont le plus en difficulté. Les droits de l’Homme ne sont pas un luxe pour les périodes de prospérité.

Bien entendu, des réformes sont nécessaires en Grèce, notamment pour que ce beau pays se dote d’un État plus efficace dans de nombreux domaines (fiscalité, éducation, santé, etc.). Ces réformes nécessaires doivent être élaborées et conduites dans le respect des engagements internationaux et européens de la Grèce.

Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des Arts et Métiers, Le droit social international et européen en pratique, 2013, 2ème éd., Eyrolles, et « Brefs propos concernant la situation de la République hellénique », Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, n° 2014/1.

 

Rencontre des mouvements sociaux

Samedi 28 février 2015, à la Bourse du travail de Saint-Denis, s’est tenue une « Rencontre » ou « Forum des mouvements sociaux« . Il s’agissait de croiser les expériences et les débats entre acteurs-trices syndicaux et associatifs de toute nature. L’Union syndicale Solidaires y a joué un rôle moteur et nous reproduisons plus loin ci-dessous un article de son journal Expressions solidaires N° 69 de février 2015, qui présente sa vision de ce projet. Etaient sollicitées ou présentes les organisations suivantes : ATTAC, CNT-SO, FASTI, MNCP, Les Amis de la Terre, AC !, MOC, CIP, Collectif Roosevelt, DAL, AITEC/IPAM, Confédération Paysanne, fondation Copernic, Marche mondiale des femmes, CNDF, Réseau féministe rupture, des Décroissants, réseau COP 21, collectifs Alternatiba… La FSU avait été sollicitée, mais n’a pas donné suite. Pour la CGT, seules des organisations particulières ont été sollicitées (présence d’une militante de l’UD CGT de Paris, sur la lutte des sans-papiers).   LogoDaltiendas_fastimncp-logologo_attac     Nous commençons par rendre compte de notre propre regard (partiel), de cette journée à la fois riche en interrogations sur les réalités militantes et sur les mots qui les désignent, riche en témoignages sur ce que signifie lutter aujourd’hui,  dans divers lieux syndicaux ou associatifs. La conclusion de la journée et les engagements pris en commun semblent en-deçà de ce qui était attendu, car là comme ailleurs, tout avance lentement. Notre « regard » est le résultat de la participation à une commission sur « les formes de luttes aujourd’hui » et d’une autre dont le thème était commun à quatre groupes : « Quelles convergences, quelles constructions communes, quels élargissements possibles?« . Nous notons seulement quelques « croquis » ou préoccupations significatives relevées  au hasard des échanges. Tranches de débats par Dominique Mezzi :

  • « Grève sociale 1 » : Vanessa (du site italien:  http://www.dinamopress.it) raconte la propagation de cette notion en Italie dans les derniers mois, accompagnant la lutte contre la loi jobs act imposée par le premier ministre M. Renzi en septembre 2014 pour faciliter les licenciements et précariser le travail, notamment dans les contrats d’embauche. Les syndicats italiens ont été à l’initiative d’une riposte traduite par une grande grève (un million de personnes à Rome en décembre dernier). Mais l’originalité du concept de « grève sociale » est de chercher à mobiliser celles et ceux qui ne peuvent pas faire grève pour quantités de raisons. L’idée est de s’appuyer sur la grève annoncée des salarié-es pour construire un mouvement parallèle avec les précaires, les occupants de maisons et d’immeubles (actions très nombreuses en Italie), en s’adressant  à toutes les personnes non directement impliquées dans l’action syndicale (chômeurs, jeunes précaires, étudiants-es, occupants de maisons…) pour qu’elles trouvent elles-mêmes des formes d’action appropriées. La date choisie fut le vendredi 14 novembre (voir ci-dessous l’affiche d’appel let’s strike). Les initiateurs de cette forme d’action ont été les premiers surpris de sa « propagation virale » (comme le dit Vanessa), d’une ville à l’autre, d’un mouvement à l’autre, certains mouvements s’appropriant l’idée, le logo commun, et les traduisant à leur façon. Au total, 40 villes furent concernées. Un meeting à Rome a eu lieu également. Des sortes de « laboratoires locaux » d’action se mettent en place. Les syndicalistes de base, les COBAS, la confédération CUB, et la fédération de la métallurgie (FIOM) de la Confédération générale italienne du travail (CGIL) ont soutenu l’initiative (mais pas la CGIL ni les autres confédérations). Ont émergé des exigences autour du salaire minimum, d’un revenu de base commun, et du refus du travail gratuit. Selon Vanessa, qui décrit une Italie où les luttes sociales, comme en France, sont depuis quelques années plutôt sur le déclin, « il ne s’agit pas ou plus de trouver une vision du monde commune, car c’est impossible« . En somme, chaque secteur exprime son désir de participer à sa façon et il s’en dégage des convergences.sciopero-sociale-logo-2
  • Grève sociale 2.  La notion de « grève sociale » était déjà présente dans le grand mouvement des étudiants québéquois de 2012 dont nous reproduisons ici un extrait d’appel : « …Et puis il y a cette idée que la grève n’est pas nécessairement uniquement le fait de salariéEs. Elle peut être beaucoup plus large, même jusqu’à être sociale! La société au sens large peut décider de prendre son avenir en main de faire grève et de lutter pour RÉDUIRE ou FAIRE CESSER définitivement l’exploitation ou l’oppression. Donc, c’est quoi une grève? Pour être concis nous nous proposons de la définir ainsi :Actions collectives d’un groupe d’oppriméEs cessant temporairement (et potentiellement définitivement) de perpétuer leur propre oppression« .
  • Grève sociale 3.  Le site du Collectif des intermittents et précaires d’Ile de France (CIP-IDF)  explique sa vision du mouvement italien :  » La grève sociale a connu un véritable succès en Italie : plus de 100 000 personnes se sont mobilisées dans vingt-cinq villes. Les médias traditionnels qui, depuis des semaines, ne mentionnaient les critiques du Jobs Act que lorsqu’elles émanaient des confédérations syndicales, ont été obligés d’admettre la réussite des manifestations des précaires et des chômeurs. Mais la grève sociale a été bien plus : une grève des syndicats de base (Cobas, Ubs, etc.), des occupations en chaîne dans les lycées et dans les facs, des blocages des transports de marchandises de la part des travailleurs, des actions contre les entreprises qui exploitent les précaires et les empêchent d’exercer leur droit de grève, des blitz informatiques contre les sites Web du gouvernement. Pour la première fois, le monde du travail intermittent s’est identifié à la grève, s’est exprimé, a occupé l’espace des médias et les réseaux du Web, et a partagé les mêmes pratiques de lutte. Ce mouvement existe depuis deux mois, il a été organisé par les réseaux militants des centres sociaux, avec les syndicats de base, avec de simples employés, des travailleurs précaires, des chômeurs. Depuis, des laboratoires de la grève sociale ont fleuri dans de nombreuses villes, du Nord au Sud de l’Italie. Ils veulent tous donner suite à cette mobilisation. La journée du 14 novembre n’a pas été seulement une étape pour un nouveau syndicalisme social, dans et hors emploi, en lutte contre le Jobs Act en Italie, il a une plus grande ambition : donner la parole à la production sociale diffuse et sans garantie dans l’Europe entière » (Interluttants,  N° 34, décembre 2014).
  • Zadisme Un zadiste témoigne dans la commission « formes d’action »  : « Dans une ZAD, les personnes ne rentrent pas chez elles le soir. Leur vie est là. C’est une micro-société. On ne cherche pas à renverser le pouvoir d’en haut, on le fait descendre (la police notamment). C’est différent des « politiques », car on expérimente à la base. C’est différent de la « grève », car nous agissons sur les conditions de la vie humaine. Il n’y a pas de succès, mais pas d’échec non plus. Nous cherchons à habiter le monde, pas à le surplomber. Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend. Il faut apprendre à ne pas respecter la loi, la propriété privée, les machines. Nous ne savons pas définir ce qu’est un « zadiste » par une sorte de regard extérieur. La convergence part d’une vision d’en haut. La non convergence, c’est la vie. La non convergence, c’est salutaire ».
  • classes moyennes, classes populaires.  Annie P:  « L’idée de formes d’action n’est pas la bonne question. Le problème est le contenu de l’action, le sens commun. Les indignations les plus fortes ne sont pas exprimées par le mouvement, mais par Marine Le Pen. Nous en sommes responsables. Nos mouvements défendent les classes moyennes. Ils sont en rupture avec les classes populaires ».
  • Solidarité en Europe, mais par l’enracinement local? « A Ivry sur Seine, nous avons un Forum social local depuis dix ans. En liaison avec le Forum social mondial. La solidarité, par exemple avec la Grèce, c’est quoi? La question prioritaire est la recherche d’un enracinement local. La question est la relation du « local » avec le mondial, avec  l’Europe. L’enjeu est bien la Grèce, qui ouvre une brèche. On la laisse tomber? Non. C’est un enjeu majeur. Et nous ne sommes pas à la hauteur. Mais le 18 mars à Francfort (Blockupy Francfort contre BCE), s’il faut bien sûr en être, ne peut répondre totalement.  Il faut y répondre en restant dans nos quartiers. Il faut discuter de deux ou trois exigences partout en Europe. Comme ce qui a été dit sur l’Italie : salaire minimum, revenu de base, pas de travail gratuit, droits des migrants. Pourquoi pas le même jour dans toute l’Europe une action dans nos quartiers:  « Tous des grecs » entre 11h et 12h par exemple? ».
  • Ne pas parler à la place de…Il s’agit donc des chômeurs. « Depuis janvier, nous faisons une action en fin de mois sur une place symbolique quand sont connus les chiffres du chômage. Mais nous ne reprenons pas « leurs » chiffres.  Nous avons d’autres chiffres, par exemple combien de morts dans la rue. Il ne faut plus parler à la place des chômeurs, même dans nos associations de chômeurs.  Il faut les impliquer. En mars, nous ferons notre action devant l’Assemblée nationale. L’Europe? La Grèce? Oui, mais dans nos associations, l’Europe est loin. Tu me parles de la Grèce, mais moi je crève ici. C’est très difficile de parler le même langage entre nous ».
  • Migrants. En Grèce, ils ferment les centres de rétention!
  • Valeurs. Roger : « Distinguer le prioritaire du secondaire. D’abord se mettre d’accord sur nos valeurs. Il faut former des collectifs associatifs partout dans nos quartiers et villages et se coordonner. Peut-être avec les mouvements politiques, mais pas derrière ».
  • Social, sociétal. Jean-Baptiste : « Aller dans les quartiers populaires, cela n’a pas de sens en soi. Sauf pour y faire une action concrète et précise : s’opposer aux expulsions ou aux démolitions d’immeubles. Nous ne parlons pas assez des richesses accumulées et de la paupérisation. Les questions sociétales prennent trop le dessus sur les questions sociales ».
  • Vie décente, bonne vie. Parler du salaire minimum, du revenu de base, du refus du travail gratuit, des droits des migrants, c’est en fait parler de « vie décente ». Ne pas séparer emploi et revenu. Parler d’abord revenu. Parler droit au salaire. Parler du travail. La commission européenne parle d’emploi. Parlons du travail. La vie décente? Cela fait un peu court. Parlons de la « bonne vie ».
  •  Visibilité: un moment commun de visibilité à définir autour de la grève du 9 avril (annonce CGT, FO, Solidaires) et de la fin de trêve hivernale le 21 mars. Répartir les richesses pour une vie décente pour tous. Un rendez-vous mensuel avec les chômeurs-euses et précaires à chaque fin de mois, en ciblant la Banque de France, qui a des succursales partout sur le territoire, et qui est maillon du système européen et de la BCE.

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 Comment l’Union syndicale Solidaires s’exprime pour la préparation du Forum des mouvements sociaux:

Numéro 69, février 2015, d’Expressions Solidaires.

Au-delà de l’urgence des mobilisations sociales sur les multiples terrains que les acteurs/trices du mouvement social occupent ensemble ou séparément, il y a nécessité de réfléchir de manière autonome et en profondeur sur le rôle des mouvements sociaux dans l’organisation sociale d’aujourd’hui et de demain , leur capacité ou non à mettre en mouvement les couches populaires, au-delà des rangs militants eux-mêmes effrités, et d’articuler les revendications avec une conception et une pratique de démocratie sociale dépassant les cadres institutionnels délégataires et étriqués.
La revendication diffuse, confuse, de «démocratie réelle » exprimée par plusieurs mouvements sociaux dans différents pays européens, les expériences et pratiques coopératives, autogestionnaires, dans les entreprises, les quartiers, révèlent cette recherche renouvelée de démocratie sociale et politique dans les choix et l’organisation de la cité.
Le bilan des expériences passées de convergences des mouvements sociaux, celles de 1998/99, de 2006, est nécessaire pour comprendre les erreurs et difficultés à les inscrire dans la durée.
Quelques questions se posent. Comment est-on passé de la pratique de contre pouvoir à celle d’expertise ? Pourquoi nos convergences se limitent à des campagnes sur telle ou telle thématique ? Comment s’est opéré un certain repli «identitaire » des mouvements sociaux sur leur champ d’activités ? Comment éviter le leurre qu’une seule forme organisationnelle peut enfermer la pluralité des mouvements sociaux et leurs bases sociales ?
Comment répondre à la dépolitisation sur les enjeux fondamentaux de société ?
Dans le contexte actuel économique et social, nous sommes confrontés à un décalage entre l’attentisme d’une partie des mouvements sociaux et une nouvelle phase de radicalisation de certains d’entre eux (ZAD) et d’émergence de nouveau militant-es (les alternatiba…).
Face à cette réalité, comment faire convergence et quelles alliances nouer, pour dépasser ce décalage ?
L’Union syndicale Solidaires avec plusieurs organisations du mouvement social (CNT-SO, FASTI, MNCP, Les Amis de la Terre, AC !, MOC, CIP, Collectif Roosevelt, DAL, AITEC/IPAM, Confédération Paysanne, fondation Copernic, ATTAC…) ont décidé d’organiser un Forum de débats et tourné vers l’action, le 28 février à la Bourse du travail de St-Denis (93).
Nous aborderons plusieurs thèmes comme les expériences et les luttes gagnantes ou en marche en questionnant directement les personnes dans l’action (lutte logement, lutte des femmes salarié-es dans les secteurs précaires, la lutte des sans-papiers) ; les alternatives écologiques, les questions migratoires, les formes d’action…
Au-delà de nos exigences fondamentales communes contre la précarisation généralisée (chômage, emplois précaires, accès à l’énergie, au logement, aux transports collectifs, à la santé, à la protection sociale, à l’éducation et à la culture…), l’objectif est de redonner sens à l’action collective en fédérant nos énergies dans la réflexion et dans l’action ; redonner l’envie de lutter, d’agir collectivement, prendre en compte de nouvelles formes de lutte notamment chez les jeunes sans opposer alternative et luttes frontales.
Cette journée permettra de rendre visible cet engagement et de définir des perspectives d’actions au plus près du terrain. Ce type d’initiative peut se décliner en région avec la réalité des forces locales.
Adresse de contact: convergencemvtsociaux@lists.riseup.net

Syndicalisme: cinq défis à relever, vu par Le Monde

 Michel Noblecourt, journaliste au Monde, chargé notamment de la rubrique « vie syndicale », nous a communiqué son article de commentaire sur le livre : Syndicalisme : cinq défis à relever, paru dans Le Monde du 17 février 2015. Nous l’en remercions. 

130201-logo-le-monde« Syndicalisme : cinq défis à relever. Unissons-nous ! » Ouvrage collectif coordonné par Jean-Claude Branchereau et Patrick Brody, Editions Syllepse, 140 p., 10 euros

Ils sont onze syndicalistes d’horizons divers – CGT, CFDT, CFTC, FSU, UNSA – qui ont au cœur une même préoccupation : le syndicalisme se délite et apparaît « de moins en moins crédible ». Se disant à la fois « radicaux » – « nous œuvrons pour un changement où le travail prendrait le pouvoir sur le capital » – et « réformistes » – ils cherchent à « changer en mieux, obtenir des améliorations » –, ils ont choisi, dans une démarche inédite, de s’exprimer ensemble, sous la houlette de deux militants cégétistes, Jean-Claude Branchereau (banque) et Patrick Brody (commerce) pour changer le syndicalisme. Ce livre n’est pas un cri de détresse. Il ne brise pas tous les tabous. Mais il avance des propositions décapantes.

Ce « syndicollectif » identifie cinq défis à relever d’urgence. Le premier, c’est la revendication « en lien avec les salariés ». Plus radicaux que réformistes, les auteurs défendent « un syndicalisme offensif de résistance et de progrès ». Critiques sur l’accord de 2013 sur l’emploi, signé par la CFDT, ils invitent à « bien distinguer compromis, avancées partielles et reculs ».

Sur le défi de l’unité, ils jugent que les raisons historiques de la division syndicale sont« pour certaines obsolètes » et ironisent sur ces forces qui agissent ensemble à la Confédération européenne des syndicats et à la Confédération syndicale internationale et se battent entre elles en France. Leur idée de créer un « conseil national permanent du syndicalisme » ne manque ni d’audace ni d’utopie…

« Changement de paradigme »

Le troisième défi est celui de la démocratie qui doit être « réellement participative », ce qui suppose que « les syndiqués doivent pouvoir décider, être consultés », d’abord dans l’entreprise. Sur la sacro-sainte indépendance, ils préconisent un « dialogue ouvert au grand jour » afin de réinventer les liens entre syndicalisme et politique : « Ni subordination, ni instrumentalisation, ni indifférence, c’est un rapport d’égal à égal qu’il convient de construire. » Enfin – cinquième défi –, ils plaident pour un « changement de paradigme », en intégrant la dimension européenne « depuis l’élaboration des revendications jusqu’à la négociation en passant par la définition des modes d’action ».

Pour Pierre Héritier, ancien secrétaire national de la CFDT, à son aile gauche, le syndicalisme « est menacé d’assèchement. Il doit retrouver sa place là où sont les salarié(e)s ». Gérard Aschiéri, ancien secrétaire général de la FSU, juge « mortifère »le clivage entre réformistes et radicaux : « Le syndicalisme qui se réclame de la transformation sociale a aussi besoin d’efficacité à court terme et de victoires partielles, tandis que le syndicalisme qui se dit réformiste se trouve vite bloqué par des marges qui ne font que se rétrécir s’il se contente de s’y inscrire. » Ce manuel est souvent discutable. Mais il est utile à méditer pour qui veut redonner de la crédibilité au syndicalisme.

Michel Noblecourt

Situation post 7, 9, 11 janvier et travail syndical : un exemple à la ville de Paris

Les journées de janvier 2015 ont bousculé les réflexions sur le lien entre droits sociaux et droits démocratiques, discriminations et vivre ensemble, ville et quartiers populaires, citoyenneté et signification concrète de la République.  Le syndicalisme est un des acteurs qui doit réfléchir à la nouvelle situation.  Ci-dessous un tract-document de réflexion et d’interpellation du syndicat CGT des cadres et techniciens qui travaillent dans ce qui est nommé « service politique de la ville », c’est-à-dire le ou les services en liens directs avec les populations.

Cliquez : tractpovilleparis ou : http://www.us-cgt.spp.org

 

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Suite aux attentats,
Premiers échos de la CGT
« Service Politique de la ville »
Pour plus de services publics et plus de droits
dans les quartiers populaires parisiens !

Après les attentats, les premières mesures :

Suite aux terribles attentats des 7, 8 et 9 janvier à Paris, la CGT a participé à l’ensemble des manifestations spontanées qui ont eu lieu en l’hommage des victimes. Malheureusement, on constate dans la foulée de cet élan de solidarité, que se développe ici ou là des regards souvent suspicieux envers les « quartiers populaires », « les jeunes »..
Travaillant en tant qu’agents de la ville dans les quartiers populaires, la CGT service politique de la ville souhaite alerter sur les risques d’amalgame et d’une stigmatisation déjà à l’oeuvre. La CGT se bat avant tout contre tous les racismes et pour la lutte contre toutes les discriminations.
Les premières mesures gouvernementales sont majoritairement axées sur la «sécurité et la réduction des libertés », ou sur des actions dites de «prévention précoce de la radicalisation» et de défense de la laïcité sans définir les termes.
Dans un flash interne à la Ville, la Mairie de Paris, annonce qu’elle va développer des actions de citoyenneté, de « vivre ensemble » … Pourquoi pas, mais malheureusement jamais la ville de Paris ne
l’acte par des budgets supplémentaires. Ce sera donc des budgets en substitution à d’autres par ailleurs nécessaires. Idem pour le nouveau volet du contrat de ville intitulé : « Valeurs de la république et citoyenneté » qui vient tout juste d’être décidé par la Ministre !

Actions citoyennes oui, mais couplées à une citoyenneté économique et sociale !

Dans le contexte actuel, en tant que professionnels, nous nous posont de nombreuses questions :
Comment clamer des valeurs de citoyenneté alors que de nombreux habitants sont régulièrement discriminés et n’ont pas accès aux droits élémentaires à l’emploi, à la santé, à un parcours éducatif égalitaire, au vote ? Comment ne pas devenir schizophrène quand d’un côté les travailleurs sociaux et associations ont de moins en moins de solutions à proposer dans l’accès aux droits aux habitant-es et notamment aux jeunes filles et garçons des quartiers populaires, et de l’autre on leur demande « d’exiger des publics » avec lesquels ils travaillent de respecter les « valeurs de la France » ? La réalité vécue est tout autre que la citoyenneté clamée tout à coup et à grands fracas !
La meilleure façon de faire vivre le «vivre ensemble», ne serait-ce pas comme le propose la CGT, une meilleure répartition des richesses, des droits effectifs, l’égalité et la solidarité, la lutte contre tous les racismes ?
Pour nous, les actions de citoyenneté réussiront d’autant mieux que des évolutions concrètes dans l’accès à la citoyenneté économique et sociale se réaliseront sans attendre.

Décryptage des propositions d’HIDALGO sur les quartiers populaires :

Dans ses voeux du 21 Janvier, Madame Anne Hidalgo a notamment exprimé :
1. Un appel au «volontariat des adultes». Elle entend ouvrir le samedi matin «les écoles, les collèges et les centres d’animation, notamment dans les quartiers populaires» pour que des bénévoles puissent offrir du soutien scolaire à des enfants ou pour que se tiennent des «forums citoyens » organisés par des associations.
Mais comment compte-elle faire alors que les associations sont au bord du gouffre ? Pour rappel, les pouvoirs publics imposent un plan d’austérité aux associations : selon le collectif des associations citoyennes, c’est 1,5 MDS de restrictions budgétaires en 2015 jusqu’à 13,5 en 2017 soit des disparitions d’associations et un vaste plan social (264 900 emplois menacés en 4 ans) !

2. Elle a également décrété une « mobilisation sans précédent » pour que les « entreprises, les artisans, les associations » aident les jeunes des familles les «plus précaires » à trouver un stage ou un emploi.
Mais comment compte-t-elle faire alors que les budgets de l’Etat vers l’action sociale se réduisent – application de la loi Maptam et du pacte de responsabilité ( soit 11 milliards d’économies dans les collectivités territoriales)- et que la ville de Paris mutualise des services en réduisant ainsi l’accès à un service public de proximité ? Dans son budget 2015, Madame la Maire propose un plan de refonte des dispositifs (Maison Des entreprises et de l’emploi, le PLIE, la Maison de l’Emploi de Paris, Mission Locale, Ecole de la 2ème chance..) intégrant des mesures innovantes (guichet unique de l’emploi)… !

3. Enfin, Madame la Maire souligne qu’elle investit dans les quartiers de manière prioritaire :
Mais comment compte-t-elle faire alors que la délégation chargée d’animer une politique locale sur les quartiers populaires (DPVI) a disparu ? Elle est devenue un simple bureau « mission politique de la ville » dans la direction de la démocratie des citoyens et des territoires. Elle est en souseffectif chronique, sans compter des postes vacants sur des durées allant jusqu’à 15 mois !
« Cerise sur le gâteau », depuis 3 mois, les Non titulaires en CDD de 3 ans, se voient raccourcir à 2n ans le renouvellement de leur CDD ! Les collègues en contrats aidés – sans lesquels le service ne pourrait pas fonctionner – ne sont pas remplacés dans les services administratifs et accueil ! Surcharge de travail, développement des risques psychosociaux, empechement du travail bien fait, sont autant de signes de souffrance au travail qui restent toujours sans réponse. Le service Politique de la ville est en train d’être démantelé silencieusement ! Quant aux rumeurs concernant une « mutualisation de locaux » engendrant notamment l’abandon du site 6, rue du département, elles se développent sans démenti.
Sans compter que les budgets sont les mêmes alors que les territoires s’agrandissent ! Il y aura donc davantage d’habitants concernés par la Politique de la ville en 2015 et des associations fragilisées ! Car quoi qu’en dise la ville qui est fière d’avoir « sanctuarisée» les financements sur les quartiers à Paris, il n’y aura pas d’effort supplémentaire pour les habitants des anciens et des nouveaux quartiers
populaires.
Alors que la crise s’aggrave, le contrat de ville présenté au conseil de Paris de Mars ne sera pas, une nouvelle fois à la hauteur des besoins. Quant à nous dire qu’il y aura un effort sans précédent du droit
commun de la ville de Paris ou de l‘Etat, comment le croire étant donné que le droit commun a toujours été une « illusion d’optique » de la Politique de la Ville et qu’aujourd’hui le droit commun est rabougri ? Comment par exemple, demander plus à la DASES alors que ses services réduisent leurs moyens ?

Est-ce avec ces injonctions paradoxales dans le travail quotidien que l’on arrivera à porter des services publics de qualité dans les quartiers populaires ?

On pourrait continuer à lister les incohérences actuelles comme :
Alors que les inégalités scolaires ne cessent de progresser, la géographie prioritaire est loin de prendre en compte tous les besoins des enfants des écoles ! …
Alors que l’on parle de l’accès au droit égalitaire, de sérieuses inquiétudes pèsent sur l’arrêt du subventionnement par l’Etat d’ici 1 an de l’apprentissage du français pour les immigrés de plus de 5 ans, y compris dans les ateliers socio linguistiques !
Alors qu’on déclare sans cesse la jeunesse comme une priorité, le CIDJ de Paris vit un plan social. La CGT a pourtant porté des propositions pour un meilleur service d’information auprès du ministère de la Ville, de la ville de Paris et de la région Île-de-France ! Aucune réponse positive à ce jour (signez la pétition en ligne : http://www.cyberacteurs.org/cyberactions/liste_sign.php?id=901) !

Est-ce avec ce double langage que l’on pourra reconstruire de l’espoir ?

Une mobilisation sans précédent dans les quartiers populaires ?Chiche !

Le milieu associatif/les travailleurs sociaux/les agents de la ville alertent depuis longtemps sur le manque de moyens pour réellement combattre les inégalités. Ils ne sont pas entendus et subissent des coupes budgétaires, des réductions de subventions. N’est-ce pas le moment pour réinvestir dans le social ?

Le gouvernement compte-t-il alors stopper son pacte de responsabilité et ses baisses rapides des dépenses publiques programmées ? Et la Ville de Paris, compte-t-elle geler son plan d’austérité qui impactera nécessairement les services public de proximité notamment ?
Pour la CGT, la première réponse serait de stopper ces politiques d’austérité.

NOS PREMIERES PROPOSITIONS

Tout en veillant à ne pas alimenter la stigmatisation des quartiers et de la politique de la ville alors que les problèmes sont les résultats de politiques globales et d’une absence de perspective en matière d’emploi, de logement, d’égalité, la CGT demande des moyens à la hauteur des besoins, dans les quartiers populaires pour :
-­‐ Les jeunesses, l’éducation populaire,
-­‐ D’autres emplois utiles socialement et stables pour lutter contre le chômage et la précarité
-­‐ Une lutte exemplaire contre les discriminations, une égalité de traitement contre tous les racismes et la prise en compte des réalités multiples de toutes les religions ou de l’athéisme de manière égalitaire
-­‐ Un accès efficient aux droits, avec un service public renforcé et de proximité, des services forts et réellement ambitieux, en commençant par des perspectives et de l’emploi dans les services Politique de la ville, Sociaux et Jeunesse …de la ville de Paris !
-­‐ Des conditions de travail sécurisantes et de qualité, la reconnaissance du travail des agents au contact d’une population en difficulté, notamment pour les services qui ont en charge des quartiers « politique de la ville » sur leur périmètre d’intervention.
-­‐ Une participation des habitant-es effective.

Et maintenant ?

Madame Colombe Brossel, élue en charge de la Politique de la ville a reçu de nombreuses associations suite aux événements tragiques de ce début d’année.
La CGT est disponible pour la rencontrer ou Madame Hidalgo afin de lui faire part de ses analyses et de ses propositions concrètes.
La CGT vous informera des suites et vous invite à la rejoindre pour porter d’autres services publics et des emplois, maintenant !
Pour nous contacter: SYNDICAT-­‐CGT-­‐Cadres@paris.fr