Histoire

La revue Collectif : une histoire syndicale (1987-1991)

Merci à Louis-Marie Barnier de nous avoir transmis l’accès à onze numéros de la revue intersyndicale  Collectif (qui inspire le nom de ce blog Syndicollectif), à partir du numéro 1 du printemps 1987, après le grand mouvement étudiant de 1986-87 et la grève des cheminots de l’hiver 1986, dont ce numéro tire les enseignements.

Le directeur de publication  de la revue était Léon Dion (voir photo ci-dessous), militant CFDT textile du nord de la France. Le comité de rédaction comprenait des militant-es CFDT (surtout), CGT, FEN (dont le courant Ecole Emancipée), et des chercheurs (dont Serge Volkoff, Robert Linhart…). L’Union syndicale Solidaires n’existait pas encore, mais Gérard Gourguechon, porte-parole du Groupe des dix, y fut interviewé sur le rôle et les limites de « l’autonomie« .

Louis-Marie Barnier est sociologue, ancien secrétaire (CGT) du CHSCT d’Air France.  Avec Hélène Adam, du CHSCT de France Télécom, militante SUD PTT, il a co-publié La santé n’a pas de prix (voyage au coeur des Comités d’Hygiène Sécurité et Conditions de Travail), Syllepse, 2013, 18 euros.

Composition du Comité de rédaction de Collectif  : Patrick Akhimoff, Michel Angot, Jean-Pierre Anselme, Danielle Banneyx, Louis-Marie Barnier, Laurent Batsch, Henti Benoîts, Jean Boquet, Dominique Boury, Henri Célié, Isabelle Chauvenet, Philippe Cornelis, Marie Costas, Jeanne Couderc, Pierre Cours-Salies, Claude Debons, Michel Demars, Léon Dion, Marcel Donati, Alain Filou, Didier Gelot, Jean-Claude Genet, Dominique Guilbert, Jean-Luc Heller, Charles Huard, Annette Jobert, Dominique Jussienne, Jean-Pierre Lemaire, Robert Linhart, Daniel Lisembard, Jean-Michel Longchal, Jean-Pierre Martin, Bruno Negroni, Pierre-Yves Rebérioux, Daniel Richter, Danièle Riva, Chantal Rogerat, Serge Roux, René Seibel, Serge Seninsky, Jean-Philippe Sennac, Jacky Toublet, Marie-Françoise Vabre, Yorgos Vlandas, Serge Volkoff, Philippe Zarifian.

 

 

 

  • Numéro 1

Collectif-N1-p1-17

Collectif-N1-p18-23

Collectif-N1-p24-26-immigres-Billancourt

Collectif-N1-p27-31

Collectif-N1-p32-56_dossier greves 1987

Collectif-N1-p57-64

  • Numéro 2

Collectif-N2-p1-13 sécurité sociale

Collectif-N2-p14-31

Collectif-N2-p32-51-dossier unité syndicale

Collectif-N2-p52-64

  • Numéro 3

Collectif-N3-p1-12

Collectif-N3-p13-21

Collectif-N3-p22-31

Collectif-N3-p32-51 dossier chomage-precarite

Collectif-N3-p52-64

  • Numéro 6

Collectif-N6-p1-9-Apostolo-independance-syndicale

Collectif-N6-p10-26

Collectif-N6-p27-34

  • Numéro 7

Collectif-N7-p1-13-greve-infirmieres

Collectif-N7-p14-30-congres-CFDT

Collectif-N7-p31-34

  • Numéro 8

Collectif-N8-p1-11

Collectif-N8-p12-24-Descamps

Collectif-N8-p25-34

  • Numéro 9

Collectif-N9-p1-5

Collectif-N9-p6-18-greve-Peugeot

Collectif-N9-p19-34

  • Numéro 10

Collectif-N10-p1-9

Collectif-N10-p10-18

Collectif-N10-p19-34

  • Numéro 11

Collectif-N11-p1-7-Descamps

Collectif-N11-p8-17-grand-entretien-precarite

Collectif-N11-p18-34-CSG-maladies-professionnelles

 

220-leon-dionLéon Dion

 

 

Les 120 ans de la CGT : un dialogue entre Maryse Dumas et Sophie Béroud

A l’occasion des 120 ans de la CGT (1895-2015), l’Humanité publie un numéro hors-série, disponible dans les kiosques (7 euros). Y figure entre autre une interview croisée de Maryse Dumas, responsable du programme des manifestations que la CGT organisera tout au long de cette année, et de Sophie Béroud, maitre de conférence en sciences politiques à Lyon 2, spécialiste du syndicalisme.  Au cours de cet échange, Maryse Dumas revient sur quelques questions-clefs actuelles : l’émancipation du salariat (« qui sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes« ), utopie fondatrice de la CGT,  les grands mouvements sociaux producteurs de droits, les problèmes contradictoires de l’institutionnalisation,  la portée transformatrice du travail, le rapport du syndicalisme à la politique (« …ce sont toujours les syndicats que l’on interroge sur leur rapport au politique... »). Nous remercions Maryse Dumas de nous avoir transmis cet échange très intéressant.

 

Nouveau hors-série de l’Humanité sur les 120 ans de la CGT

 

 

 

Entretien croisé Maryse Dumas et Sophie Béroud

En quoi les ambitions portées par la CGT dès sa création sont-elles encore d’actualité ?
Maryse Dumas : Les questions que la CGT se pose aujourd’hui ne sont pas très différentes de celles qu’elle se posait aux origines. Le contexte a changé, le salariat,  le droit syndical, les moyens de l’action syndicale ont changé, mais l’idée que le syndicat sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, reste toujours actuelle. Tout comme me paraît d’une criante actualité l’idée de la « double besogne » assignée au syndicalisme par la charte d’Amiens de 1906 : à la fois répondre aux préoccupations quotidiennes et construire un projet d’émancipation du salariat, Aujourd’hui, un actif sur cinq est dans une situation de chômage ou de sous-emploi, d’autres sont contraints de travailler dans une situation illégale, et sont totalement invisibles. Les salariés sont considérés comme des variables d’ajustements, ravalés au rang de chiffres. Cette mission sous-jacente qu’a eue le syndicalisme des origines, de permettre à des catégories, mises au banc de la société, de se connaître, de se reconnaître et de se faire reconnaître, reste plus que jamais à l’ordre du jour.
Sophie Beroud. Il est fort intéressant de se replonger dans les débats de l’époque, afin de voir comment est construit un outil qui permette de rassembler tout le monde. Le salariat a changé mais les enjeux restent les mêmes : comment on retrouve un groupe, un collectif, des revendications qui vont permettre de mobiliser les salariés. Dans l’histoire de la CGT, il y a plein de discontinuités mais il y a aussi une certaine continuité sur cette mission de rechercher un projet d’émancipation collective pour faire changer la vie des travailleuses et des travailleurs, un projet plus global, un projet d’ensemble qui ne se cantonne pas simplement à la défense des intérêts immédiats des salariés. Il y a à la CGT, une envie de conquête, une recherche de dignité, d’affirmation d’une place dans la société.

arton42452

Le mouvement syndical apparait aujourd’hui affaibli. Pour certains, il se serait trop institutionnalisé. L’implication dans les multiples lieux de négociation aurait pris le pas sur la lutte, la construction du rapport de forces …
Maryse Dumas : Obtenir des droits est dans la logique de l’action syndicale. C’est dans les grands mouvements sociaux qu’on gagne aussi des droits pour les syndicats, rarement en dehors. Une fois ces droits obtenus, faut-il les utiliser ? Évidemment, oui. A la CGT, nous sommes conscients de deux risques permanents : le risque d’institutionnalisation, le risque de marginalisation. Si, au prétexte du risque de s’institutionnaliser, nous refusons d’utiliser les droits de représentation acquis par les luttes, alors nous serons marginalisés. Ce n’est pas une trop grande présence de la CGT dans les instances de représentation qui nourrit le risque d’institutionnalisation, c’est surtout le fait qu’elle n’est pas assise sur une syndicalisation et une vie syndicale suffisamment importantes. Historiquement, le mouvement progressiste a été porté par les acquis obtenus dans les grandes entreprises et les services publics où les syndicats étaient forts, en nombre de syndiqués et en vie syndicale démocratique. La désindustrialisation et les privatisations ont considérablement affaibli cette force de frappe et la CGT elle-même car elle y avait ses bases syndicales les plus importantes. Aujourd’hui, le rapport de forces est inversé, c’est le moins-disant social qui l’emporte en s’alignant à la baisse sur les petites boîtes où le syndicat est très peu présent, mais où travaillent une majorité de salariés.
Sophie Béroud. Il ne faut pas opposer institutionnalisation et contre-pouvoir. C’est une vision schématique. Il n’y a pas de mauvaise institution, ce sont les usages que l’on en fait. Il y a même un défaut aujourd’hui d’institution, de droit syndical. Il n’existe pas de droit syndical interprofessionnel, pour organiser entre eux des salariés isolés, de droits syndicaux dans les petites entreprises, de protections pour les militants et les syndiqués, vis-à-vis de toutes les formes de discrimination et de pression pour ceux qui acceptent de prendre des responsabilités. Tout comme il n’y a pas en France de reconnaissance du syndicalisme, de l’activité syndicale comme faisant partie de la citoyenneté. C’est important aussi parce que c’est souvent, dans le discours dominant, un procès que l’on fait aux syndicats d’être trop institutionnalisés et du coup d’avoir perdu le contact avec les salariés.
Parmi les points de faiblesse, on constate un décalage, grandissant semble-t-il, entre l’implantation de la CGT et le salariat d’aujourd’hui. Bien que le diagnostic soit fait dans les congrès, les choses ne semblent guère bouger sur ce plan. Pourquoi ?
Sophie Béroud. C’est très compliqué de représenter les classes populaires, mais la CGT a joué ce rôle et continue de le jouer, même avec difficulté. Il y a toujours eu des enjeux sur les catégories que le syndicalisme atteint le moins. La CGT a toujours eu ce souci d’être en prise avec l’appareil productif. Mais bouger les structures, c’est aussi repenser les champs interprofessionnels, le niveau du pouvoir politique. Là encore, la mise en mouvement de l’organisation existe même si cela ne va pas assez vite. Lorsqu’il y a un syndicalisme catégoriel, il est difficile de passer à une base plus large. Car cela nécessite de faire des actions communes, de poser les enjeux, d’élaborer des revendications qui permettent de construire un outil, une fédération plus large. C’est compliqué aussi parce que les pratiques militantes sont différentes, mais aussi parce qu’il y a des enjeux financiers. Dans des secteurs avec un très faible taux de syndicalisation, où se trouvent beaucoup de syndiqués isolés, le rôle des unions locales et départementales, la dimension interprofessionnelle, sont décisifs. C’est le lieu où peut se créer un cadre collectif, un lieu pour se réunir, mais il y a là aussi des difficultés. En raison de la faiblesse du nombre de militants, déjà très accaparés. Des choix doivent être faits pour enclencher cette dynamique.
Maryse Dumas : L’idée que la structuration doit bouger est largement partagée dans l’organisation. Le problème est surtout sur : vers où aller et comment ? La structuration actuelle écarte celles et ceux qu’il faudrait prioriser : parmi les syndiqués dits « isolés », c’est à dire sans lien avec un syndicat de base, on voit une surreprésentation des jeunes, des femmes, des salariés en précarité. Or, elles et ils sont la figure montante du salariat, celle qui est la plus exploitée et a le plus besoin de s’organiser. Notre fonctionnement actuel ne le permet pas. Même dans les entreprises où la CGT est présente, cela se résume trop souvent à un fonctionnement autour des seuls élus. Il y a aussi des mandats (de délégués, de responsables syndicaux) qui durent trop longtemps, ne permettant pas de renouveler les pratiques, de féminiser et rajeunir les collectifs. Cela tient pour une part à des insuffisances du droit syndical sur les parcours militants. Lorsqu’un militant a un trou de 10 ans dans son CV du fait d’une activité permanente à la CGT, comment retrouver du travail ? De même, il n’y a pas de reconnaissance du syndicalisme interprofessionnel notamment au plan local. De ce fait, les présences militantes au service de l’ensemble des salariés sont pompées sur les heures de délégations obtenues dans telle ou telle entreprises. Cela  complique aussi l’évolution de la structuration. Ne nous cachons pas non plus que des visions différentes des missions de l’organisation conduisent à des visions différentes de la structuration : si elle n’a pour seule fonction que l’application du droit, alors des permanences juridiques suffisent au niveau local. Si elle a un rôle d’émancipation et d’éducation populaire, il faut des syndiqués actifs et une vie syndicale au plus près des gens. Si elle vise l’action, la négociation, et la conquête, alors il faut constituer des forces face aux employeurs. De même si on pense le changement de société à partir de la transformation du travail, plutôt que par le seul changement de gouvernement.
N’y a-t-il pas également des raisons d’efficacité ?
Maryse Dumas : La CGT s’est construite autour du syndicat d’entreprise. Mais quel est aujourd’hui le périmètre de l’entreprise : la maison mère ? Les filiales, les sous- traitants ? Comment prendre en compte les mobilités des salariés, les alternances entre plusieurs employeurs ?… Nous avons essayé d’élargir les périmètres, par exemple dans les centres commerciaux, en créant des syndicats de site. Sauf que nous n’arrivons pas à avoir un interlocuteur patronal interprofessionnel du centre commercial avec lequel on puisse discuter des horaires d’ouvertures, de la sécurité, des toilettes… Et c’est objectivement un obstacle à un syndicalisme efficace.
La question du rapport à la politique revient également très fortement dans les débats de la CGT…
Maryse Dumas. La CGT ambitionne de transformer la société par la transformation du travail. Parmi nos propositions, un statut des salariés qui permette à chacun, de l’entrée dans la vie active jusqu’à la retraite, de disposer de droits que les employeurs devraient respecter. Nous pensons qu’en transformant le travail, en permettant aux salariés d’être maîtres d’œuvre de son contenu, sa finalité, son utilité sociale, de l’organisation de leur travail, on fait reculer la notion même de marché, et on avance sur les préoccupations humaines et environnementales. Sur la base de ce projet, la CGT est prête à débattre avec tous ceux qui le souhaitent, autres syndicats, partis politiques, associations. Je remarque que ce sont toujours les syndicats que l’on interroge sur leur rapport au politique, qu’on réduit souvent aux rapports aux partis politiques, voire même à tels ou tels partis politiques. C’est la vieille maladie de la gauche en France que de considérer l’action syndicale comme seconde, voire subalterne de l’action politique. Les partis politiques de gauche, singulièrement le parti majoritaire, continuent de croire qu’ils parlent au nom de tout le monde, y compris au nom des travailleurs, au nom des syndicats, alors qu’ils n’acceptent pas ou peu de se confronter à eux. Or c’est de confrontations et d’échanges, mais véritablement réciproques, qu’il y a besoin. Depuis les années 70, les partis politiques de gauche ont délaissé les questions du travail et les ont déléguées aux syndicats, alors même que le travail est identitaire de la construction de la gauche en France. Beaucoup de questions se posent aujourd’hui sur l’équilibre véritable de cette démocratie qui se vit avec un suffrage redevenu quasiment censitaire plutôt qu’universel, dans la mesure où ce sont systématiquement les catégories populaires, les ouvriers et employés qui font le gros des abstentionnistes. Lorsqu’ on veut le changement de société, on doit veiller à l’indépendance des syndicats, parce que travailler à l’indépendance, c’est se dire qu’une fois arrivés au pouvoir, les luttes syndicales nous aideront à pousser les feux vers les revendications du travail au détriment du capital. L’indépendance des syndicats détermine la sincérité d’un projet qui vise à faire reculer le capitalisme et à faire émerger les revendications du travail.
Sophie béroud. Sur les rapports au politique, la CGT a eu des phases très intéressantes dans les années 1990/2000. Il y a eu une séquence de distanciation avec le Parti communiste, et même presque la crainte de parler politique. Avec la volonté de marquer les frontières. Puis, il y a eu une évolution. Une fois la distanciation acquise, la CGT a pu recommencer à dialoguer avec différents types d’organisations, en estimant être porteuse d’un certain nombre d’éléments et d’idées sur ce qui se joue dans le travail. Même si toutes les organisations de la CGT ne vont pas à la même vitesse. Il y a par moment, en fonction du contexte et de la situation, des tentations de revenir à des liens plus étroits avec des organisations politiques, de revenir vers les schémas historiques.
Maryse Dumas. La période de distanciation a aussi permis de réfléchir non seulement à l’indépendance, mais surtout à la spécificité de la démarche syndicale. Un parti politique vise le pouvoir, le gouvernement ; l’objectif du syndicat est de gagner sur les revendications quel que soit le pouvoir en place et la couleur politique du gouvernement, en usant de tous les moyens possibles pour créer les rapports de forces.
Dans ce rapport de forces, l’unité syndicale reste-t-elle une des clés ?
Maryse Dumas. La division syndicale offre au patronat une possibilité d’avancer dans ses objectifs antisociaux. L’unité d’action des syndicats crée une dynamique favorable à l’entrée en action de nombre de salariés qui ne le feraient pas autrement. C’est donc une question clé. Dans le paysage actuel, dès qu’il y a négociation, on pense institutionnalisation, on dit signature et on dit CFDT. Pour nous, il existe une autre façon de négocier, une façon CGT qui prend en compte les revendications des salariés, qui veut définir avec eux l’enjeu de la négociation, trouver les moyens de créer un environnement favorable à la satisfaction des revendications, par l’action, l’unité d’action et la consultation des salariés à toutes les étapes.
Que révèle la crise de direction qui vient de frapper la CGT ?
Maryse Dumas : Le principe à la CGT c’est que la base décide et fait remonter ses attentes. Le niveau national confédéral n’a de pertinence qu’en réponse à ces attentes-là. S’il n’y répond pas, c’est l’idée même de confédération qui est fragilisée. Au tout début, avant la guerre de 1914, le rôle assigné à la confédération par ses fondateurs était de parvenir à la grève générale. Devant les échecs répétés, un certain partage des tâches entre les différents niveaux, fédérations professionnelles, organisations interprofessionnelles territoriales et confédération, s’est structuré. Il reposait, surtout après la Libération, sur des syndicats nombreux et forts dans des grandes entreprises et services publics qui donnaient le « la ». Or, dans une société où le particularisme l’emporte sur les solidarités, où la force de frappe syndicale dans les entreprises s’affaiblit, où le syndicat de base voit le nombre de ses syndiqués réduit à la portion congrue, nous arrivons au bout de cette vision. On demande à la direction confédérale nationale de suppléer les défaillances sans pour autant lui donner les moyens de véritablement impulser une stratégie de développement. C’est donc le rôle d’une confédération dans le salariat et l’état des forces syndicales actuels qui est aujourd’hui posé.
Sophie Béroud. Il est un peu tôt pour analyser cette crise. Les difficultés semblent être liées à un apprentissage de la démocratie interne. Aujourd’hui, la CGT trouve en elle-même ses propres référents démocratiques. Depuis les années 1990, la CGT se construit en cherchant sa propre démarche pour renouveler sa démocratie. Il n’y a pas eu assez de discussions, il n’y a pas eu le temps de la discussion. Les militants d’aujourd’hui sont pris dans une exigence démocratique très forte, mais s’il n’y a pas le temps pour cela, alors il peut y avoir des hiatus. C’est ce que perçoivent les militants à la base.
Maryse Dumas : Nous avons trop peu débattu en particulier du rôle de la confédération. Or celui du bureau confédéral et du secrétaire général en découlent. Si on ne discute du secrétaire général qu’en terme nominatif, il n’y a pas de solution. Quelle que soit la personne, même très performante, elle ne peut incarner toute la diversité de la CGT. Il y a aussi à innover en matière de démocratie interne. Les syndiqués actuels n’ont, souvent, pas d’autres expériences démocratiques que la CGT. Or la démocratie syndicale est une forme tout à fait particulière de démocratie qui reste méconnue. Mais la cause principale se trouve dans la non-clarification, voire la mise en cause des évolutions de la CGT de ces dernières années. Reste la question fondamentale : comment construire l’émancipation du salariat, le changement de société sans une confédération faisant converger toutes les professions sur ces objectifs ? La crise confédérale peut être une chance si elle conduit à de nouvelles innovations démocratiques.
Sophie Béroud. La crise peut s’expliquer aussi parce qu’il y a des choses qui ont bougé dans la CGT et qu’il n’y a plus adéquation entre le haut et le bas. Il n’y a pas que du négatif, les réponses se trouvent aussi dans ce qui a bougé. Et ce n’est pas, comme certains voudraient le laisser penser, un effondrement de l’organisation.
Entretien réalisé par Clotilde Mathieu

 

  • Vu sur le site de la CGT  : 12 mois pour 120 ans

1895 : Limoges : La Confédération générale du travail se constitue et le mouvement syndical s’unifie. 2015 : La CGT veut marquer ses 120 ans par des initiatives au plus près du terrain, avec celles et ceux qui ont fait, font et feront la CGT d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Chaque mois de l’année sera l’occasion de réfléchir, agir et construire ensemble, sur différentes dimensions de l’activité syndicale, à travers une multitude d’initiatives aux formats divers : expositions, colloques, conférences, initiatives revendicatives, sportives, culturelles… partout en France. Les rendez-vous seront tournés vers la jeunesse et l’avenir, en s’appuyant sur l’histoire.

Trois temps forts jalonneront l’année : l’ouverture des initiatives « 120 ans » et l’inauguration de l’exposition « La CGT a 120 ans » le 4 mars à Montreuil, un colloque à Limoges à l’occasion de la date anniversaire du congrès fondateur et une soirée festive, en décembre, qui clôturera les célébrations.


FÉVRIER

La CGT et les droits d’intervention des salariés

Quel rôle a tenu la CGT pour que les comités d’entreprise soient mis au service des droits d’intervention des salariés sur les stratégies de gestion des entreprises ? Au service aussi de l’accès du plus grand nombre à des activités culturelles, de loisirs, de sports, de vacances de grande qualité, à des tarifs accessibles ? À l’occasion des différents salons des CE, retour sera fait sur le 70e anniversaire de la création des comités d’entreprise, sur le rôle majeur de la CGT pour développer et accroître ces droits.


MARS

La CGT et la féminisation du salariat

Le 8 mars est depuis 1910 la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. La CGT interrogera son rapport à l’engagement syndical des femmes, à leur prise de responsabilité et traitera plus généralement des questions féministes et d’égalité, avec notamment une rencontre nationale à Montreuil le 5 mars.

La CGT et le développement économique

La semaine de l’industrie sera l’occasion de faire connaître les ambitions de la CGT pour faire de la France une nation industrielle, respectueuse des préoccupations de développement durable.

La région Aquitaine viendra construire un chalet, du 30 mars au 3 avril, pour démontrer tout l’intérêt du développement d’une filière nationale du bois. Cette initiative articulera luttes, revendications et créations artistiques avec la compagnie de B. Lubat, R. Bohringer, C. Gibault, le Paris Mozart Orchestra, etc. D’autres filières, comme la métallurgie ou les cheminots, profiteront de cette semaine pour organiser des initiatives. Un forum régional sur la mer devrait se tenir en Bretagne.

L’union départementale du Vaucluse avec l’IHS et les cheminots inaugureront le 14 mars la gare SNCF de Carpentras pour la réouverture de la ligne après une bataille revendicative de la CGT de quarante ans.

La fédération des Cheminots et son collectif Dom Tom organiseront le 19 mars une journée consacrée à la départementalisation des DOM, qui aura bientôt 70 ans, avec exposition et animation musicale.


AVRIL

La CGT et les évolutions du travail

Le travail sera au cœur des initiatives du mois d’avril 2015 : ses évolutions multiples et les exigences de réponses syndicales nouvelles qu’elles appellent.

Un colloque de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens mettra l’accent sur le travail qualifié tandis que d’autres initiatives porteront l’attention sur le travail ouvrier ; l’occasion de faire le point sur les apports de la CGT pour transformer le travail et l’émanciper.


MAI

La CGT et la solidarité internationale

Les manifestations du 1er mai 2015 donneront une résonance particulière au combat historique de la CGT pour la paix, la solidarité entre tous les travailleurs du monde et pour l’unité. Une initiative au Creusot en présence de Bernard Thibault, membre du conseil d’administration du Bureau international du travail devrait en donner une illustration particulière.

Diverses initiatives illustreront les combats de la Résistance pour parvenir le 8 mai 1945 à la capitulation des armées nazies. Elles seront l’occasion de mettre en évidence les valeurs d’égalité, de solidarité et de respect des libertés fondamentales de tout être humain dont notre époque a cruellement besoin.

L’union départementale de l’Hérault organise le 23 mai un forum international des syndicats de la Méditerranée sur la transition énergétique et les politiques d’austérité avec film, débat, repas, concert, etc.

Du 13 au 14 mai, le Festival de Cannes, dont la CGT est cofondatrice, sera l’occasion de mettre en exergue la part d’histoire commune du cinéma et de la CGT et l’actualité des enjeux qui les traversent. Une exposition et une soirée spéciale sera organisée au Festival international du Film à Cannes par l’union départementale des Alpes maritimes, l’union locale de Cannes, la FNSAC et l’ANCAV-TT.

L’Avenir social organise deux initiatives dédiées à la solidarité. L’une sera de faire participer aux manifestations du 1er mai, deux femmes ayant collaboré à la création de la première classe d’alphabétisation au Sénégal. L’autre de permettre à des personnes précaires, sans emploi ou sans papiers, d’aller et de participer au Festival de Cannes, voire de fouler le tapis rouge.


JUIN

La CGT en territoires

Le 5 juin, l’union départementale de Loire-Atlantique engagera un débat sur les interactions entre l’art et le monde du travail. Comment une pièce de théâtre peut permettre à des syndicalistes de prendre de la hauteur sur leur activité, de mieux cerner les préoccupations des salariés, de faire émerger des perspectives nouvelles…

La Bourse du travail de Saint-Denis propose, le 11 juin, une projection-débat « Plaine de Vies » sur les enjeux syndicaux liés aux mutations sociales et économiques et industrielles notamment celles de l’industrie audiovisuelle et cinématographique.

Le 13 juin, la question des Services publics sera sur le devant de la scène à partir d’initiatives unitaires dans la Creuse. L’accent sera mis sur le syndicalisme en milieu rural à partir notamment, d’une initiative organisée les 20 et 21 juin dans le Gers.

En juin, le centre Benoît Frachon propose une journée d’étude sur l’action de la CGT en matière de formation syndicale, de culture et d’éducation populaire. Une salle « Marius Bertou » sera inaugurée et suivie d’un spectacle vivant autour du théâtre et de la poésie.


JUILLET/AOUT

La CGT et la vie hors travail

À l’occasion du Tour de France et des festivals de l’été, la CGT interrogera son rapport au sport, à la culture, aux loisirs. Elle reviendra sur ses batailles pour la RTT et pour obtenir « le temps de vivre ». La question des différentes formes d’emplois saisonniers, précaires, intermittents, ne sera pas oubliée, pas plus que les luttes de la CGT pour les droits collectifs et individuels des salariés.

Au Festival d’Avignon exposition et spectacles seront proposés par l’union locale CGT d’Avignon, l’union départementale du Vaucluse et la fédération du Spectacle, de l’Audiovisuel, du Cinéma et de l’Action culturelle.

Au Festival également, la région Rhône Alpes amarre une péniche comme lieu de rencontres et propose un débat le 11 juillet sur les 70 ans des CE et notamment les activités culturelles, les liens entre les CE et le monde de la culture.


SEPTEMBRE

La CGT et l’unité des syndicats

Comme tous les ans, le Forum social de la fête de l’Humanité proposera des débats. Ceux-ci porteront la dimension des 120 ans.

Le festival de la marionnette du 18 au 27 septembre à Charleville Mézières pourrait être l’occasion d’une présence syndicale originale, dans une forme d’art et de spectacle très populaire.

Un ouvrage collectif sera réalisé par des camarades de l’union départementale de l’Ain avec une lecture scénarisée lors d’une initiative organisée le 25 septembre avec expositions et spectacles vivants.

Le 26 septembre, l’union départementale du Gard clôturera sa série d’initiatives par des conférences avec le grand public sur leurs attentes vis-à-vis du syndicalisme en général et de la CGT en particulier. Des concerts alterneront ces débats.

Le congrès de la Confédération européenne des syndicats à Paris, du 28 septembre au 2 octobre, sera l’occasion de présenter les spécificités et l’histoire du syndicalisme français aux délégués des syndicats européens.


OCTOBRE

La CGT, le choix d’être une confédération pour les solidarités entre salariés

La commémoration de l’acte fondateur de la CGT en 1895 sera l’occasion d’organiser le 15 octobre à Limoges une initiative culturelle populaire et grand public avec l’organisation d’une journée de réflexion militante sur la portée actuelle du choix d’un syndicalisme confédéré, de ses principes de fonctionnement et de structuration et des réponses nouvelles à imaginer au service d’un salariat en pleine évolution. La mémoire ouvrière de la ville sera saluée au travers l’inauguration d’une rue à la mémoire de Marguerite Saderne. Et enfin, le Club omnisports de la CGT organisera une randonnée cyclotouriste de 120 kms à Limoges.

C’est en octobre aussi que seront célébrés les 70 ans de la création de la Sécurité sociale. Composante essentielle de notre modèle social, elle est au coeur d’enjeux de société fondamentaux, qui appellent à la plus extrême vigilance et à la mobilisation.

C’est sur ce thème en lien avec notre démarche revendicative d’une Sécurité sociale professionnelle que l’union départementale d’Indre-et-Loire propose un débat public avec animations culturelles le 5 novembre.

L’union départementale de Saône-et-Loire organise trois jours de festivité avec des interventions, des expositions, animations culturelles, musicales et théâtrales, etc., sur la spécificité du régime minier en tant que modèle pour la Sécurité sociale du futur.


NOVEMBRE

La CGT et les moyens d’être efficace au service des salariés

L’union départementale de Gironde construit une initiative sur sa bourse du travail à Bordeaux, lieu chargé d’histoire, de culture, de trésors d’art mais aussi de luttes et de résistance.
D’autres comme celles de Rochefort, de Rennes, l’union locale de Cholet ou encore l’union locale de Corbeil qui fête ses 110 ans, seront à l’honneur, leur histoire, mais aussi leur utilité actuelle au service des salariés et de l’éducation populaire. Certaines viennent d’être rénovées, d’autres seront inaugurées comme celle de Roissy Charles de Gaulle, d’autres ont besoin de l’élan collectif pour être sauvées.

Partout l’activité CGT en territoires sera mise en exergue avec l’exigence de locaux syndicaux dignes de notre temps et des besoins des salariés.

Le 5 novembre, la bataille des idées et la presse syndicale feront l’objet d’une rencontre sous l’égide de Vie Nouvelle et de l’Union confédérale des retraités, en collaboration avec les autres publications de la CGT.

La conférence Paris Climat 2015, à partir du 30 novembre, donnera lieu à de multiples initiatives et débats lancés par la CGT pour créer les conditions d’un développement humain durable, démocratique et porteur de progrès.


DÉCEMBRE

La CGT et les privés d’emplois

Comment la CGT combat-elle toutes les formes d’exclusion de l’emploi ? Comment s’est-elle organisée pour permettre aux salariés privés d’emplois de lutter pour leurs droits et leur proposer des formes de syndicalisation qui correspondent à leurs attentes et possibilités ? Les manifestations du 5 décembre seront l’occasion de mettre en lumière l’activité des comités CGT des privés d’emplois

La CGT et les jeunes

Un événement festif clôturera l’année. Il donnera une grande place à la jeunesse et permettra à la CGT de se tourner avec confiance vers les échéances futures.

Des organisations comme l’union départementale de l’Ariège proposent tout au long de l’année des initiatives (forums, débats, expositions, animations culturelles, etc.) en y associant des syndicats, des unions locales, des fédérations.

Plusieurs fédérations et unions départementale, qui tiendront leur congrès en 2015, en profiteront pour mettre les 120 ans de syndicalisme CGT à l’honneur au travers d’initiatives multiples à l’égard de leurs délégués.

Un remerciement tout particulier à la FNSAC (fédération du Spectacle, de l’Audiovisuel, du Cinéma et de l’Action culturelle) qui participe et apporte sa connaissance dans le domaine artistique à une multitude d’initiatives.

8 mars : un travail historique du syndicat CGT AXA et les journées intersyndicales femmes

Nous reproduisons un court extrait (en commençant par le sommaire)  de la volumineuse brochure que vient d’éditer le syndicat CGT d’AXA à l’occasion du 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes. En dessous, nous mettons le lien et le programme des Journées intersyndicales femmes qui ont lieu chaque année à l’initiative de CGT, FSU, Union syndicale Solidaires.

 

Lien pour accéder à la brochure complète : livret_cgt_axa_8_mars

LE 8 MARS
JOURNEE INTERNATIONALE POUR LES DROITS DES FEMMES
En cette journée du 8 mars 2015, la CGT AXA célèbre à sa manière la journée internationale pour les droits des femmes en retraçant le chemin parcouru et celui qu’il reste encore à parcourir, en rappelant pour mémoire les femmes qui ont oeuvré pour que dans leur quotidien, dans leur vie de femme, dans l’entreprise, en politique, elles soient reconnues à l’égal de l’homme. Le combat sera terminé lorsqu’il n’y aura plus besoin de loi ou d’accord d’entreprise pour appliquer la parité.
p2 : C’est quoi le 8 mars ?
p4 : Après la révolution Française : avancées et déceptions.
P6 : Les femmes et le droit politique.
P8 : Les femmes et la Commune de Paris.
P10 : Marie Guillot. De l’émancipation des femmes à celle du syndicalisme.
P12 : 1924, une lutte exemplaire.
P14 : Les femmes dans la résistance.
P18 : Il y a 40 ans, la dépénalisation du droit à l’avortement.
P22 : La cause des femmes dans le monde.
P24 : L’égalité professionnelle.
P28 : L’égalité professionnelle à AXA France.
Cela ressemble au Comité Exécutif d’AXA : 18 hommes…. 1 femme !!!!

 

siteon0

Le 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes.
L’origine de cette journée s’ancre dans les luttes ouvrières et les nombreuses manifestations de femmes réclamant le droit de vote, de meilleures conditions de travail et l’égalité entre les hommes et les femmes, qui agitèrent l’Europe, au début du XXe siècle.
Le 17 août 1907 se tient la première conférence de l’Internationale socialiste des femmes à Stuttgart. Elle établit un secrétariat international sous la direction de Clara Zetkin. Cette conférence adopte une résolution sur le vote des femmes.
En 1908 les femmes socialistes américaines, regroupées au sein du Social Labour Party, mènent une campagne d’actions dans quatre Etats américains.
1909 : Conformément à une déclaration du Parti Socialiste américain, la première Journée nationale de la femme a été célébrée sur l’ensemble du territoire des États-Unis, le 28 février. Les femmes ont continué à célébrer cette journée le dernier dimanche de février jusqu’en 1913.
Réunie en 1910 à Copenhague, la Conférence Internationale des femmes socialistes décide d’instituer une journée des femmes afin de servir, notamment « à la propagande en faveur du vote des femmes », est alors adoptée une résolution proposant que « les femmes socialistes de tous les pays organisent une journée des femmes ».
Le 8 MARS… Quelques repères…
La propagande des femmes doit traiter de toutes ces questions qui sont d’une grande importance dans le mouvement prolétarien général. La tâche principale est vraiment de réveiller la conscience de classe des femmes et les inclure dans la lutte des classes.

Le 19 mars 1911, la première Journée internationale des femmes est célébrée pour revendiquer le droit de vote des femmes, le droit au travail et la fin des discriminations au travail. Plus d’un million de personnes manifeste en Europe.

 

 

Journées Intersyndicales Femmes

Lien pour le programme des journées : Pre_-ProgIntersFem2015

Lundi 25 et mardi 26 mars 2013
Publié le mardi  22 janvier 2013

journee_intersyndicale_femmes_2013-1


L’Intersyndicale femmes regroupe des militant-es de la CGT, de la FSU, et de l’Union syndicale Solidaires qui travaillent ensemble depuis 1998.
Leur but est d’organiser chaque année des journées intersyndicales de formation “femmes” sur deux jours qui rassemblent entre 300 et 400 participant-es venu-es de toute la France, et de secteurs divers.

 Pour pouvoir participer à ces journées vous pouvez demander un congé pour formation économique sociale et syndicale ; consultez l’article sur le congé de formation économique sociale et syndicale

Au programme :

  • Femmes et austérité en Europe
    avec Esther JEFFERS (économiste – ATTAC France), Magda ALVES (Marche mondiale des femmes – Portugal), Sia ANAGNOSTOPOULOU (professeure Université Panthéon Athènes)
  • Corps, images de soi, publicités sexistes
    avec Christine BARD (auteure, notamment, de « Ce que soulève la jupe : identités, transgressions, résistances » et « Une histoire politique du pantalon » ; professeure d’histoire contemporaine Université d’Angers), Chris VIENTIANE (auteure, avec Sophie Pietrucci et Aude Vincent, de « Contre les publicités sexistes »)
  • Stéréotypes et égalité professionnelle
    avec Caroline de HAAS (fondatrice de Osez le féminisme, conseillère de Najat Vallaud-Belkacem), Interventions de la CGT, FSU, Union syndicale Solidaires
  • Femmes face à l’extrême droite
    Documentaire : « Populisme au féminin » de Marco La Via, Hanna Ladoul, Matthieu Cabanes (réalisateurs de ce documentaire), Sylvain CREPON (sociologue, Université Paris-Ouest-Nanterre, auteur du livre « Enquêtes au cœur du nouveau Front national »)

Lundi 25 et mardi 26 mars 2013

À la Bourse du Travail de Paris – 85, rue Charlot – 75003 Paris
Mo République ou Filles du calvaire

 

 

CGT : comment vivre sans le PCF?

Vivre sans le PCF: la question peut paraitre saugrenue. Elle est cependant souvent évoquée comme arrière-plan de la crise CGT actuelle. Ceci nous offre l’occasion de revenir sur ce que nous écrivions au moment du 47ème congrès CGT de 2003 à Montpellier, où cette question était prégnante dans les débats.

Suivant pour l’hebdomadaire Rouge les questions sociales et syndicales, j’avais titré un dossier sur  le congrès par cette question. Après le congrès,  un article dans la revue Critique communiste s’intitulait : « Le paquebot largue les amarres« . Car face aux questions posées, la CGT était contrainte de trouver les réponses par ses ressources propres, ce qui n’était pas facile. Ce n’était certes pas la première fois que la direction de la CGT  montrait une prise de distance avec le PCF. Ce fut le cas dans les années 1990 par la démission ou le non renouvellement des mandats de dirigeants (Louis Viannet, puis Bernard Thibault) aux instances nationales du PCF . Si ces décisions furent très commentées, elles ne produisirent pas de vraies difficultés dans le corps militant.Il est également important de préciser qu’en 2003, nous étions à la fin du mandat de Robert Hue (qui n’a pas laissé une marque très positive dans le PCF !), et que c’est à partir de 2005 (Traité constitutionnel européen) puis 2008-2009, qu’une stratégie nouvelle de rassemblement a vu le jour, dans laquelle le PCF a pris une part active.

En 2003, les problèmes s’étaient accumulés dans la CGT : définition d’un projet syndical propre et indépendant, rapport au salariat, et prises de décisions très délicates sur le fonctionnement organisationnel (centralisation des cotisations, début de redéfinition des structures…), le tout sans arbitrage « du » parti. Les débats du congrès de 2003 furent vifs et Bernard Thibault a dû monter  à la tribune pour rappeler à la raison une assemblée turbulente, le tout dans une assez grande confusion. La décision précise sur les cotisations (non traitée ici) a dû être reportée au congrès suivant (2006), même si le « principe » était acquis.

Mais justement, l’autorité personnelle de Bernard Thibault ne posait pas problème en 2003. Il lui a fallu cependant encore une fois « larguer les amarres » en 2012-2103, pour gérer sa succession. On sait que cela s’est mal passé, malgré une vraie consultation des structures.

Tous ces épisodes sont aussi racontés avec plus de détail dans le livre de Leila de Comarmond (journaliste aux Echos) : Les vingt ans qui ont changé la CGT (Denoël impacts, 2013), livre difficile à trouver au 50ème congrès de la CGT en mars 2013 à Toulouse.

 

47°  CONGRES DE LA CGT (2003)
Comment vivre sans le PCF ?

 

Le mensuel Liaisons sociales de mars 2003 titre : « Comment Thibault rame pour manœuvrer le paquebot CGT ». Estimant que les adhérents CGT sont « moins politisés qu’il y a quelques années », Bernard Thibault, dans une interview, n’hésite pas à enfourcher le thème du « recentrage » pour caractériser son projet : « Si vous entendez par recentrage le fait d’avoir une appréhension plus syndicale des problèmes, alors oui. » En 1978-1979, après la défaite de l’Union de la gauche aux législatives, telle était presque mot pour mot l’argumentation mise en avant par la direction de la CFDT rangée derrière Edmond Maire. Cessons de dépendre du politique et faisons notre boulot syndical avec réalisme ! On connaît la suite pour la CFDT. L’histoire va-t-elle bégayer ? Après la claque de la gauche plurielle le 21 avril 2002, après la deuxième « chute du mur » du PCF, [dont le candidat est] passé derrière la LCR et Lutte ouvrière à la présidentielle, la CGT est assurément forcée de trouver une voie «indépendante » et de rompre radicalement avec sa culture historique commune d’avec le PCF. Mais pour quel projet ?

Enterrement ou rupture
Lors des récentes obsèques d’Henri Krasucki (secrétaire général de la CGT de 1981 à 1992), Bernard Thibault déclare : « Tout le monde comprend qu’un nouveau chapitre est ouvert dans l’histoire de la CGT, mais il est loin d’y avoir unanimité sur la façon de l’écrire » (Liaisons sociales, mars 2003). Le débat est donc ouvert. Si en effet un dirigeant confédéral a personnifié avec force la dépendance totale de la CGT aux soubresauts de la politique du PCF, c’est bien Henri Krasucki entre 1979 et 1992. Pourtant, la direction CGT avait déjà réfléchi, dans les années 1970, aux conséquences du suivisme syndical face aux partis politiques. Et Georges Séguy, au congrès de 1978, en avait tiré des conclusions très audacieuses : prendre de la distance avec le PCF et proposer de construire un « Comité unitaire d’action syndicale » avec une CFDT à l’époque encore marquée par 1968.
Mais la CFDT refuse (recentrage naissant), et d’autre part, H. Krasucki fait tout, contre Georges Séguy, pour relayer dans le syndicat la politique du PCF et faire de la CGT un appendice suiviste des tournants de Georges Marchais : depuis la rupture de toute unité, le « bilan globalement positif » des pays de l’Est, jusqu’à l’entrée de ministres communistes au gouvernement de Mitterrand en 1981, leur sortie fracassante, etc. La CGT y a perdu les deux tiers de ses adhérents. A tel point que le dernier combat de Krasucki a justement été, en 1991, de tenter lui aussi de prendre de la distance avec certains cadres du PCF qui se considèrent « en mission » dans la CGT.
Pour Jean-Louis Moynot, ancien dirigeant de la CGT, le projet de Thibault (qu’il soutient visiblement à fond, si l’on se réfère au Monde du 14 mars 2003) serait en quelque sorte le parachèvement de celui de G.Séguy en 1978, plus de « vingt ans après ». Ce qu’il y a de vrai ici, c’est la nette volonté de Thibault d’extraire la CGT de la stricte dépendance du PCF, en sautant d’un tandem dont le pilote serait en perdition. C’est en effet pour la CGT une question de vie ou de mort. Avec 32,9 % aux prud’homales de décembre 2002, la CGT (dont le bureau confédéral est paradoxalement composé aux trois quart de membres du PCF, soit plus qu’il y a vingt ans) reste la première confédération, mais elle continue à subir une érosion, surtout dans l’industrie, où la CFDT progresse. Le seul secteur en progrès est le commerce, comme à Paris, après les luttes phares des derniers mois (non sans tensions entre les secteurs militants de terrain et la direction), et l’entrée dans la CGT de syndicalistes en rupture avec la politique pro-libérale de la CFDT.
Mais justement, la question stratégique posée aux congressistes CGT est de savoir si cette rupture symbolique avec le PCF va se faire dans une optique anticapitaliste plus claire et plus mûre (que l’ancienne phraséologie du PCF) ou, au contraire, vers une forme d’accompagnement du système, dont on ne pourrait changer qu’à la marge les choix principaux. Malheureusement, plusieurs événements prouvent que la CGT est plutôt en train d’amplifier la crise de ses repères, sous prétexte du refus de la « globalisation » et des anciennes consignes « qui partent d’en haut ».
Comment expliquer par exemple que le bilan d’activité confédérale depuis le congrès de Strasbourg de janvier 1999 ne contienne pas une ligne de commentaire sur la politique du gouvernement Jospin soutenu par le PCF ? Par l’indépendance de la CGT ? Au congrès de Strasbourg, les 35 heures étaient la question clé. Mais la CGT n’a jamais su (pour certains) ni voulu (pour ses dirigeants) tracer une vraie ligne indépendante sur ce point, par exemple, en disant clairement que la loi Aubry n’était «pas un point d’appui » (débat vif sur ce point au congrès de la fédération des métaux CGT en 2000) pour agir contre le patronat. Maryse Dumas a refusé, à Strasbourg, de soutenir un amendement engageant une bataille contre les reculs du Code du travail en matière de flexibilité, facilités par la loi Aubry.
Sur les licenciements, pendant la vague de luttes coordonnées du printemps 2001 (biscuits Danone, magasin Mark and Spencer, Air liberté), la CGT appelle seule à une journée d’action le 22 mai (passée presque inaperçue), premier jour du débat parlementaire sur la loi dite de « modernisation sociale ». Mais elle refuse, le 9 juin – alors que ce même débat parlementaire, prolongé, en était à une phase décisive -, de prendre part à la manifestation des entreprises en lutte, soutenues par les organisations de chômeurs et des partis politiques (PCF, Verts, LCR, LO, AL). Or, une solide implication confédérale dans cette manifestation réussie l’aurait faite passer au stade de confrontation avec le gouvernement, débouchant sur une radicalisation politique nécessaire à gauche. La CGT ne l’a pas voulu, prétextant encore l’indépendance. Mais par rapport à qui ? Au PCF et à « l’extrême gauche », peut-être, mais au gouvernement Jospin, c’est moins clair !
Quant à l’appui donné à Denis Cohen, secrétaire général de la fédération mines-énergie (par une lettre de J.-C. Le Duigou à la fédération mines-énergie, ce qui signifie forcément le feu vert de Bernard Thibaud) pour accepter l’accord [sur le régime des retraites] négocié avec la direction d’EDF-GDF, peut-on le justifier par l’indépendance ? Si un dirigeant CGT a été dans la dernière période un partisan caricatural de Robert Hue, allant jusqu’à figurer sur sa liste aux européennes de 1999, c’est bien Cohen ! Et la justification du compromis sur le régime des retraites d’EDF-GDF ne peut absolument pas être argumentée par un quelconque problème urgent de solvabilité du régime, mais uniquement par la stratégie de privatisation voulue par les comptables du capitalisme mondialisé [privatisation effective en 2004].
[…]
Nouveau siècle, nouveau syndicalisme ?
Le sectarisme de certains, le suivisme vis-à-vis de certains partis, un syndicalisme prétendant donner des ordres aux salariés ou réguler (CFDT) par-dessus leur tête « l‘intérêt général » plutôt qu’encourager leur initiative, ont abouti au repli des syndicats sur des appareils à la recherche d’une nouvelle légitimité. La CGT n’y échappe pas. A la croisée des chemins, elle reste traversée par les aspirations à un syndicalisme de lutte de classe, d’unité, d’ouverture aux mouvements de contestation du néocapitalisme (Forum social mondial et européen fin 2003), de pratiques nouvelles en phase avec les aspirations démocratiques du salariat d’aujourd’hui. Bref, une confédération unitaire pour un siècle nouveau, dans un contexte radicalement différent de 1902, où la CGT s’est affirmée.
L’histoire tumultueuse de son lien au PCF a besoin d’une révision complète, non pas au profit d’autres allégeances politiques, mais pour inventer, dans le pluralisme, un projet syndical neuf et mobilisateur […].
Dominique Mezzi (Rouge, mars 2003)

 

APRES LE 47e CONGRES CGT

Le « paquebot » largue les amarres

L’image d’un lourd « paquebot » CGT très difficile à faire bouger est régulièrement présente chez des commentateurs qui attendent une adaptation « réaliste » de la CGT. A la veille du référendum EDF-GDF de janvier 2003, où Denis Cohen, secrétaire général de la fédération énergie, approuvé en interne par Jean-Christophe Le Duigou (et donc par B. Thibault), donnait son feu vert à une « réforme » des retraites (désavouée ensuite massivement par les syndiqués et les salariés lors d’un référendum), Michel Noblecourt (dans Le Monde) décrivait cette « épreuve de vérité » pour la CGT. Il répertoriait trois « mutations » préparatoires à un recentrage assumé, comparable à celui de la CFDT de 1978 : la rupture du rapport au politique, et notamment au PCF ; la volonté d’une politique « contractuelle » (signature d’accords) ; et une avancée vers « les réformes », dont celle des retraites.
Le 47ème congrès s’est-il déroulé selon ce schéma ? […] L’orientation voulue par la direction confédérale est approuvée confortablement (75%), mais le pourcentage des contre et des abstentions a quand même doublé depuis le 46ème congrès, où le rapport général totalisait 91% des mandats. Certains votes d’amendements ont enregistré des résultats significatifs. Bernard Thibault lui-même a dû monter au filet à deux reprises pour appeler le congrès et « la majorité des 75% » à la responsabilité, devant un débat houleux qui menaçait d’échapper à la maîtrise de la direction.
Il y a donc bien un débat d’orientation qui s’affirme. Quoi de plus normal par ailleurs dans un congrès syndical ? Sauf que dans la CGT, la confrontation d’orientations différentes est certes possible, tolérée, tant qu’elle est émiettée ou individualisée. Mais lorsqu’elle prend la forme d’un débat structuré, avec des cohérences visibles entre syndicats différents, fédérations différentes, villes différentes, elle met vite en situation de fragilité le système de cohésion interne, habitué à l’unanimisme, au sentiment puissant de former un « corps commun ».
Dans Critique Communiste du printemps 2001, nous décrivions ainsi la bifurcation devant laquelle se trouvait la CGT : « Dès lors, deux voies s’engagent : celle d’une nouvelle CGT brisant le moule d’origine stalinienne, mais sans rompre avec l’identité lutte de classe, en tentant de la refonder dans les mouvements sociaux d’aujourd’hui ; ou celle d’une CGT s’adaptant empiriquement … à l’énorme puissance de séduction du capitalisme moderne. » Nous disions que si les débats depuis 1989-91 avaient mis en évidence des « croisements entre ces deux voies, des interrogations et des déchirements », « rien n’était encore bloqué dans un sens ou dans l’autre ». Après le 47ème congrès, peut-on dire que la page est tournée ? […].
L’éco-système

Pour comprendre le mécanisme historique d’évolution de la CGT, plusieurs entrées sont possibles. Mais celle de la rupture d’équilibre de ce qui fut appelé, par Georges Lavau, « l’éco-système » CGT-PCF, est probablement une des plus pertinentes […].
Dans un dossier de Rouge du 20 mars 2003, nous posions, en forme de boutade, la question suivante pour résumer le congrès CGT : « Comment vivre sans le PCF ? ». Cette façon de voir peut être d’autant plus questionnée que depuis le 46ème congrès, nous assistons à un paradoxe étonnant: alors que la direction CGT fait tout ce qu’elle peut pour ne plus paraître liée au PCF, sa haute direction est de plus en plus monocolore : probablement 75% de membres du PCF au bureau confédéral après le 46ème congrès, et peut-être 80% après le 47ème (contre 50% autrefois). Parallèlement, à la Commission Exécutive confédérale, restreinte numériquement, le pluralisme politique est quasiment nul. Et il semble bien qu’une semblable évolution se vérifie dans pas mal d’organisations nationales CGT. C’est moins vrai pour les organisations plus proches du « terrain », où se vérifie parfois l’inverse : la désertion, ou la disparition du PCF de l’animation syndicale concrète. Certains militants ressentent à nouveau ce qui semblait avoir disparu depuis le début des années 1990 : la chasse aux sorcières, ou l’intimidation idéologique (« Tu n’es pas dans la démarche CGT ») […].
Notre hypothèse est donc que la direction CGT a besoin, pour fonder son avenir en tant que première centrale syndicale (32,9% aux prud’homales, mais érosion maintenue, contre 3,3% pour le PCF aux présidentielles en 2002), de souder son système d’implantation, de direction et d’orientation de manière à ne plus dépendre directement des évolutions du PCF (et surtout de ses non réponses, comme en témoigne le récent congrès du PCF, qui ne débouche sur rien d’autre que la gestion de l’appareil sans offre politique). On peut même risquer l’hypothèse que la manière dont la CGT résoudra (ou non) le problème de l’assise et du renouvellement de ses bases matérielles de développement, associés aux orientations qui donnent une cohérence stratégique à ce projet pour son réseau militant, pourra servir de test et de « modèle » de réflexion pour la crise de la gauche tout entière, et du PCF en même temps.
On voit d’ailleurs les prémisses d’un scénario de ce type, au-delà du PCF, dans l’intérêt porté par le Parti socialiste au concept de « sécurité sociale professionnelle » débattu au congrès CGT (thème qui parcourt par ailleurs pas mal de réseaux militants, et dont il faut reconnaître qu’il reproduit aussi, sous une autre forme, une élaboration issue du secteur économique du PCF à travers la « sécurité-emploi-formation », proposée par Paul Boccara (Une sécurité d’emploi et de formation, P. Boccara, Le temps des cerises, 2002).
Ce n’est pas la première fois que la « courroie de transmission » fonctionne quelque peu à l’envers. C’était déjà le cas au milieu des années 1990, quand la CGT de Louis Viannet paraissait plus innovante, avec ses « modernistes » comme porteurs d’idées (que L.Viannet a repris sans l’avouer), qu’un PCF sortant d’une phase classiquement sectaire. Dans Politique La revue (octobre-décembre 1996, numéro spécial PCF), nous écrivions : « Les deux directions sont maintenant contraintes de négocier indirectement leur positionnement, (…), de tenir compte de leurs besoins réciproques, et d’éviter de se nuire». Or, à plusieurs reprises, dans les croisements d’intérêts entre les deux organisations, se sont produits des conflits publics. Depuis le 46ème congrès de Strasbourg en 1999, nombreux et à chaque fois très médiatisés (y compris volontairement), ont été les signes de prise de distance de la CGT avec la direction du PCF. Le PCF, pour sa survie politique, a parfois pris des initiatives intempestives qui ont beaucoup irrité la direction CGT, laquelle n’avait pas toujours été consultée.
On se souvient par exemple que la CGT a refusé de soutenir la manifestation du 16 octobre 1999 sur l’emploi, initiée par le PCF [alors au gouvernement], soutenue par la LCR et Lutte ouvrière, ainsi que d’autres organisations (chômeurs), en plein débat sur les licenciements et la loi Aubry des 35 heures. L’affaire était certes compliquée et a donné lieu à des remous dans tout le mouvement social sur « les rapports au politique ». Mais la CGT a par la suite été incapable (sauf sur les cadres) de lancer ses propres initiatives nationales sur cette question [des 35 heures], ayant sur la loi Aubry une approche de critique bienveillante, justifiée au congrès de Strasbourg par l’idée qu’il ne faut pas toujours être contre tout.
Le problème était beaucoup plus simple sur la manifestation nationale du 9 juin 2001 contre les licenciements, initiée cette fois par des entreprises (Danone, M&S) et des syndicats, soutenue par des associations et un panel politique pluriel allant du PCF à la LCR, LO, AL en passant par les Verts. Mais la CGT a également refusé, non sans débats internes houleux, certains responsables syndicaux membres du PCF soutenant plutôt cette participation.
La consécration politique de cette orientation a été médiatisée par la sortie de B. Thibault du Conseil National du PCF (lors d’un congrès extraordinaire de celui-ci en 2001, alors que parallèlement Jacqueline Lazarre et Christine Puthod, membres du bureau confédéral, y faisaient leur entrée, mais n’ont pas été reconduites au nouveau bureau issu du 47ème congrès), et sur la rencontre de juillet 2001 entre les deux directions (Bernard Thibault et Robert Hue présents), à l’issue de laquelle les documents échangés ont été reproduits in extenso dans la Nouvelle Vie ouvrière. On y lit notamment ceci : la CGT est « pleinement disposée à débattre en permanence avec tous les partis démocratiques », y compris d’objectifs revendicatifs, mais en excluant « toute attitude de soutien ou de co-élaboration d’un projet politique quel qu’il soit ». On y lit aussi cette idée intéressante de rejet de « toute suprématie naturelle de l’ordre du politique » qui impliquerait la « subordination du syndicalisme ». Mais notre interprétation de ce passage […] rejoint plutôt celle du livre collectif de dirigeants de la CGT en 1995 : Faut-il réinventer le syndicalisme (Gérard Alezard, Lydia Brovelli, Gérard Delahaye, Jean-François Leterrier) où on lisait : « Paradoxalement, le syndicalisme se retrouve trop « politisé » pour ne pas l’avoir été suffisamment, c’est parce qu’il n’a pas bâti lui-même son propre projet syndical qu’il s’est inscrit dans celui des autres » (par ailleurs, bien des propositions de ce livre sont devenues aujourd’hui celles de la CGT).
Ainsi le 9 juin 2001, la CGT pouvait apporter son propre projet syndical contre les licenciements, y compris la sécurité sociale professionnelle, mais elle a préféré, sous prétexte de ne pas se mélanger aux politiques, éviter au gouvernement Jospin une crise sévère. Une certaine façon de défendre l’indépendance peut ainsi conduire à d’autres…dépendances. Comme le dit aussi l’historien Michel Dreyfus (Histoire de la CGT, éditions Complexes, 1995), la thématique de l’indépendance, magnifiée depuis la Charte d’Amiens de 1906, cache mal un certain « refoulement » du politique […]
Une autre interprétation est encore possible du refus (« refoulé ») de la politique. Il faut un projet, mais après le 21 avril 2002, il n’est pas près d’émerger à gauche. Il n’y a pas d’alternative politique. Selon certains militants extrêmement démoralisés du PCF et de la CGT, seul un « populisme » avec variantes de droite et de gauche (« gauchiste ») serait aujourd’hui l’émanation de la crise sociale. Selon certaines hypothèses, le nouveau projet sérieux passera par une sorte de confédération souple autour du PS (avec des « volontaires » du PC, des Verts ?). En attendant, Raffarin et Chirac vont gouverner et le syndicalisme ne pourra que limiter les dégâts [selon cette conception démoralisée]. Comme le disait déjà L. Viannet en décembre 1995, à un jeune manifestant qui voulait faire tomber Juppé : « Mais par qui le remplacer ? » […]

Venons-en à la crise d’implantation sociale.

L’ « éco-système » CGT-PCF reposait sur un substrat social et historique commun : le développement d’une classe ouvrière industrielle et de grandes entreprises nationales (Renault, EDF…). Et l’accession de la classe ouvrière française, grâce à la phase de luttes ou de grands évènements (1936-1946) à un statut de reconnaissance nationale, mais aussi d’intégration dans le tissu politique historique, avec tout ce que cela implique de fierté collective, de sentiment de force, d’avenir possible, etc. CGT et PCF représentaient « la » classe ouvrière.
Le déclin a commencé en 1968, il est long et cruel. Mais le PCF, s’il conserve des réseaux militants précieux et combatifs, n’est pas enraciné dans les potentialités nouvelles du salariat, notamment sa jeunesse. Politiquement, il le subit depuis longtemps, et de plein fouet. La CGT est menacée également, parce que son appareil matériel n’est assis que sur cinq ou six grandes fédérations du secteur public, et quelques grandes branches industrielles affaiblies. La CGT a un besoin impératif de renouveler son rapport à la classe ouvrière du secteur privé ou employé (services, commerce, communication, techniciens, PME), quitte à mettre un bémol à certaines traditions revendicatives du « public » pour paraître mieux entendue de certaines couches ayant subi les reculs des dernières années […] On ne peut […] comprendre autrement les hésitations et tergiversations autour de la revendication du retour aux 37,5 annuités pour tous sur les retraites, qui peut être ressenti comme faisant trop la part belle au secteur public.
La CGT se voit donc contrainte, sous peine d’asphyxie, de renouveler sa base sociale. Ce faisant, elle est fascinée par les résultats indéniables obtenus par la CFDT […], au prix du recentrage vers le syndicalisme du possible (prédéterminé par les choix patronaux essentiels). Elle opte donc pour un pragmatisme revendicatif […].
Il ne faudrait pas, par ailleurs, se tromper de débat. Que la CGT se présente comme le syndicat des «conquêtes sociales » et valorise les avancées concrètes, n’est pas critiquable. Un syndicat, c’est d’abord cela. La CGT a trop vécu sur la base de consignes venues d’en haut, de slogans ronflants et creux. Mais le monde a changé. La jeunesse, les salariés, ne croient plus aux discours seulement généraux. Il faut inventer un langage et une pratique nouvelle, efficace, mesurable, s’appuyant sur une culture démocratique beaucoup plus forte, sur l’intelligence collective. Il faut se coltiner les salariés du secteur privé d’aujourd’hui, qui n’est plus le même que dans les années 1950. Or une partie importante du corps militant CGT n’est pas formée à cela […].
Il en va ainsi de l’objectif d’un « statut du salarié » et de la « sécurité sociale professionnelle », avec lequel la direction CGT tente de redonner une cohérence à son action. Bien des équipes ne comprennent pas et sont désappointées […].
Au total, le 47ème congrès de la CGT a donc été le théâtre de deux crises entrelacées, quoique distinctes : celle du projet politique de la CGT, et celle de son implantation sociale, comme facteur d’affaiblissement de son appareil matériel [au centre du congrès lui aussi]. Le dénouement est à venir […].
Dominique Mezzi (Critique Communiste, mai 2003)

 

 

Décembre 1914 : Pierre Monatte démissionne du Comité confédéral CGT

Alors que de tous côtés, et de mille façons (certaines passionnantes), sont évoqués l’histoire et le contexte de la guerre mondiale 1914-1918, cette lettre du responsable syndical Pierre Monatte (1881-1960)  à la direction de la CGT montre à quel point l’entrée en guerre en août 1914 a très vite balayé  les engagements antérieurs pour la paix, qui étaient pourtant ceux de tout le mouvement ouvrier, syndical et politique. Ecrivant à son syndicat, Pierre Monatte n’hésite pas d’ailleurs à rappeler les résolutions du mouvement socialiste international, malgré la Charte d’Amiens stipulant que le « politique » doit rester « au dehors » du syndicalisme.  Mais la politique, celle de l’Etat ! était en train d’entrer dans le syndicalisme et d’en changer le contenu. Cette protestation de Pierre Monatte contre l’adaptation au nationalisme guerrier, contre lequel se positionnaient toutes les résolutions internationales des partis socialistes et du syndicalisme, singulièrement en France avec une CGT syndicaliste révolutionnaire (dont Monatte, fondateur de La Vie ouvrière, était une figure),  qui avait mené campagne contre l’ennemi intérieur, sonne aussi étrangement par son actualité, lorsque des propagandes gouvernementales et des médias soufflent la bonne pensée, et que certains sommets syndicaux s’alignent.

Jean Jaurès a été assassiné quelques mois auparavant : il fallait sans doute cette mort physique pour que la mort symbolique de la conscience internationaliste ouvre la voie à la régression des consciences, à « l’union sacrée« , c’est-à-dire à la naissance des pactes nationaux par lesquels le syndicalisme entre à ce moment dans une nouvelle phase : les débuts de son incrustation institutionnelle dans l’Etat.

 

 

Pierre Monatte
Lettre de démission au Comité Confédéral de la C.G.T.
Décembre 1914

Camarades,
Après le vote émis dans sa séance du 6 décembre par le Comité Confédéral, je considère comme un devoir de renoncer au mandat que vous m’aviez confié.
Voici les raisons qui ont dicté ma détermination : au cours de ces cinq derniers mois, c’est avec stupeur, avec douleur, que j’avais vu le Comité Confédéral enregistrer purement et simplement l’acceptation par son secrétaire général d’une mission officielle de commissaire de la nation.
Quelques semaines plus tard, la Commission Confédérale envoyée à Bordeaux consentir à faire une tournée de conférences pour le compte du gouvernement.
Des militants syndicalistes, des fonctionnaires d’organisations, tenir un langage digne de purs nationalistes. Aujourd’hui, le Comité Confédéral vient de refuser sa sympathie aux efforts tentés eu vue de la paix par les socialistes des pays neutres. Pour le Comité Confédéral, parler en ce moment de paix constituerait une faute, presque une trahison, une sorte de complicité dans une manœuvre allemande, tout comme pour Le Temps et pour le gouvernement.
Dans ces conditions, il m’est impossible de rester plus longtemps dans son sein, car je crois, au contraire, que parler de paix est le devoir qui incombe, en ces heures tragiques, aux organisations ouvrières conscientes de leur rôle.
Le 22 novembre, le secrétaire confédéral donnait connaissance au Comité d’une invitation à la Conférence des socialistes des pays neutres organisée à Copenhague, pour les 6 et 7 décembre par les partis socialistes scandinaves.
M’opposant au passage à l’ordre du jour, je faisais la proposition suivante : que la C.G.T. répondit en assurant les socialistes scandinaves que, s’il nous était impossible d’envoyer un délégué, nous suivrions cependant leur efforts en faveur de la paix avec la plus grande sympathie et que nous faisions des vœux pour le succès de Copenhague.
A la séance du 29 novembre, la fédération des Métaux déposait une résolution motivée, inspirée du même esprit, à laquelle je me ralliai avec empressement.
Comment et par qui elle fut combattue ? Par quels arguments ?
Il serait trop long de le dire ici ; mais les procès-verbaux du Comité Confédéral 22 novembre, 29 novembre et 6 décembre vous fixeront sans doute un jour prochain.
Le 6 décembre, le Comité Confédéral se trouvait devant trois propositions : une première, de la Fédération du Bâtiment, tendant à ne faire aucune réponse ; une seconde, de Luquet, comportant des restrictions importantes et l’accord de la C.G.T. et du Parti sur un texte commun de réponse ; enfin celle des Métaux. Le Comité se prononça d’abord sur la proposition à caractère préjudiciel du Bâtiment, l’adoptant par 22 voix contre 20 et 2 abstentions. Il est hors de doute que la proposition des Métaux aurait été écrasée, le 6 décembre, par une forte majorité.
Ainsi, une nouvelle fois, des appels socialistes en faveur de la paix n’auront trouvé aucun écho dans les organisations centrales françaises, ni dans la presse ouvrière de ce pays, celle-ci allant même jusqu’à refuser de les reproduire. Appels et initiatives conformes cependant à la résolution des congrès socialistes internationaux de Stuttgart, de Copenhague et de Bâle, qui déclare :
 » Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, c’est le devoir (aux classes ouvrières) de s’entremettre pour faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste « .
Ce devoir, Keir Hardie et l’Indépendent Labour Party, en Angleterre, se sont efforcés, dès le premier jour, de le remplir ; ainsi que les deux partis socialistes russe ; de même que les socialistes italiens et suisses dans leur Conférence de Lugano et le parti socialiste américain par son initiative d’un Congrès socialiste international extraordinaire.
C’est le devoir que vient de remplir Karl Liebknecht et avec lui une minorité du parti socialiste allemand par sa protestation au Reichstag, le 2 décembre :
 » Une paix rapide qui n’humilie personne, pour une paix sans conquêtes, voilà, déclare-t-il, ce qu’il faut exiger. Tous les efforts dirigés dans ce sens doivent être bien accueillis.
Seule, l’affirmation continue et simultanée de cette volonté, dans tous les pays belligérants, pourra arrêter le sanglant massacre avant l’épuisement complet de tous les peuples intéressés.  » Seule, une paix basée sur la solidarité internationale de la classe ouvrière et sur la liberté de tous les peuples peut être une paix durable. C’est dans ce sens que les prolétariats de tous les pays doivent fournir, même au cours de cette guerre, un effort socialiste pour la paix « .
Il est incompréhensible, dans une certaine mesure, que les masses du peuple, trompées et excitées journellement par la presse, par toute la presse, aient accepté comme articles de foi toutes les déclarations gouvernementales.
Mais que les militants du syndicalisme n’aient pas montré plus de plus de clairvoyance, qu’ils n’aient pas apporté plus de sens critique à l’examen des allégations gouvernementales, qu’ils se soient laissé gagner par la fièvre de la vanité nationale, qu’ils aient perdu le souvenir des principes qui guidaient jusqu’à maintenant leur action, voilà le plus attristant spectacle.
Quand Poincaré, il y aura deux ans le mois prochain, monta à la présidence de la République, certains d’entre nous se dirent :  » Nous aurons la guerre avant la fin de son septennat « .
Nous l’avons eue moins de deux ans après. Cette guerre prévue, redoutée par nous, cette guerre voulue, préparée par nos politiciens de l’esprit national, c’est elle que la majorité du Comité Confédéral envisage maintenant comme une guerre de libération pour l’Europe, comme une guerre capable de porter la liberté et la République à l’Allemagne et de ruiner le militarisme universel.
Quelle illusion !
Cette guerre, dont l’attentat de Sarajevo ne fut que le prétexte, a ses sources réelles dans le duel économique anglo-allemand et dans la rivalité germano-slave.
L’alliance russe, déjà la honte de la République française, a précipité notre pays dans le gouffre. L’alliance russe et les ambitions marocaines de nos coloniaux. Le Kaiser n’a fait qu’avancer l’heure de la conflagration européenne. Sa responsabilité en est plus lourde que celle d’aucun gouvernement ; mais celle des gouvernements français, russe et anglais n’est pas légère.
Encore n’est-il pas établi que le gouvernement français ait tout fait pour sauvegarder la paix dans la dernière semaine de juillet. Nul ne doute que la diplomatie secrète – aux méfaits tant de fois dénoncés – ait joué un rôle considérable dans la déclaration de la guerre.
Les travailleurs conscients des nations belligérantes ne peuvent accepter dans cette guerre la moindre responsabilité ; elle pèse, entière, sur les épaules des dirigeants de leurs pays. Et loin d’y découvrir des raisons de se rapprocher d’eux, ils ne peuvent qu’y retremper leur haine du capitalisme et des Etats. Il faut aujourd’hui, il faudrait plus que jamais conserver jalousement notre indépendance, tenir résolument aux conceptions qui sont nos nôtres, qui sont notre raison d’être.
Si on les croit fausses, qu’on le dise !
Alors seulement on aura le droit de faire du nationalisme sous toutes ses formes, nationalisme politique et nationalisme économique. Mais je crains fort que nos organisations centrales, en France comme en Allemagne, C.G.T. comme Parti socialiste, Union Syndicale internationale comme Internationale socialiste, n’aient signé leur faillite. Elles venaient de se révéler trop faibles pour empêcher la guerre, après tant d’années de propagande organisatrice. Mais on pouvait encore se dire que la faute en incombait peut-être aux masses restées à l’écart et qui n’avaient pas compris les devoirs de l’internationalisme.
Cette dernière lueur d’espoir vacille sous les paroles des militants d’un pays à l’autre. C’est au centre que le feu, c’est-à-dire la foi, a manqué.
Si l’humanité doit connaître un jour la paix et la liberté, au sein des Etats-Unis du monde, seul un socialisme plus réel et plus ardent, surgissant des désillusions présentes, trempé dans les fleuves de sang d’aujourd’hui, peut l’y mener.
Ce n’est pas, en tout cas, les armées des alliés, non plus que les vieilles organisations déshonorées qui le peuvent. C’est parce que je crois, chers camarades du Gard et du Rhône que la C.G.T. s’est déshonorée par son vote du 6 décembre, que je renonce, non sans tristesse, au mandat que vous m’aviez confié.

 

 

Un ouvrage sur les éboueurs à Marseille

Éboueurs de Marseille

Entre luttes syndicales et pratiques municipales

un livre de Pierre Godard et André Donzel

Préface de Michel Samson

– Marseille propre ?

– Conflits et grèves pour un service public de la propreté

– Sabiani, Defferre, Guérini, Gaudin et les autres… continuité et rupture du clientélisme

– Marchés truqués, privatisation et « fini-parti »

eboueur2

Ce livre retrace l’histoire du service public de la propreté urbaine à Marseille. Il analyse les différents conflits sociaux qui ont jalonné sa mise en place et qui se sont intensifiés à partir du milieu des années 1970. Il les replace dans le contexte des évolutions techniques et économiques qui ont affecté les métiers de la filière des déchets dans les dernières décennies. Les auteurs décrivent l’incapacité des municipalités successives à gérer la conflictualité et à conduire, sur une base sociale élargie, les négociations sur la modernisation du service public. Ils mettent en évidence la contradiction entre un souci de préservation de la paix sociale par le maintien d’une cogestion clientéliste des relations professionnelles et les pressions économiques grandissantes tendant à la dérégulation de l’ensemble de la filière des déchets. Mais les Marseillais n’acceptent plus un système qui coûte de plus en plus cher et qui leur paraît tellement opaque qu’il est parfois qualifié de mafieux. Même si certains trouvent opportun de cultiver cette image, il y a aussi, au-delà du folklore, une lutte pour l’avenir du service public.

En librairie le 9 octobre

15 € / 224 pages

Discutez avec les auteurs en écrivant à marseille.propre@free.fr

Commandez l’ouvrage chez Syllepse

Georges Séguy et Bernard Thibault appellent au 12 avril

Alors que le débat se poursuit dans le syndicalisme sur l’appel au 12 avril, deux anciens secrétaires généraux de la CGT ont signé l’appel. Il parait opportun dans ce cadre de remettre à la mémoire des extraits du livre témoignage de Georges Séguy (Résister), paru en 2008 après la victoire de Sarkozy. Georges Séguy critique la division des forces de la gauche anti-libérale de 2007, qui conduit à l’échec de 2007. Il revient à cette occasion sur la question des rapports partis/syndicats, sur son vécu et son observation des rapports PCF et CGT,  et il plaide pour une nouvelle forme de « rassemblement populaire« . Nous publions dans la foulée l’appel de l’Union régionale CGT Ile de France au 12 avril.

  •  Extraits du livre de Georges Séguy : Résister (éditions l’Archipel-Paris-2008).

« Par mon expérience syndicale, j’ai beaucoup appris en matière politique, économique et culturelle. J’ai certes contribué à assoir l’autorité du PCF, en participant à l’analyse, à l’élaboration et la direction des initiatives du parti. Par ailleurs, je n’ai jamais été témoin d’une quelconque intervention visant à proposer ou contester telle ou telle candidature aux instances dirigeantes de la confédération ou des fédérations nationales. En revanche, je reconnais que le courant communiste, devenu majoritaire dans les unions départementales après la Libération, s’est longtemps évertué à détenir la fonction de secrétaire général.
Plus largement, nous pouvons rétrospectivement condamner cette propension du politique à influencer le syndicalisme dans un sens ou dans l’autre. […]
Tout cela n’empêche en rien la diversité des orientations syndicales, qui se sont organisées en fonction de l’histoire économique et sociale de chaque pays. De nos jours se pose plutôt la question de savoir comment concevoir les rapports entre partis et syndicats. Les premiers ne s’interdisent pas d’avoir leur opinion sur le rôle des seconds et, de façon réciproque, ces derniers ont leur propre jugement sur les programmes politiques. De ce point de vue, la décision de ne pas élire un dirigeant de la CGT à la direction du PCF a eu le mérite de conforter la responsabilité des uns et des autres, de promouvoir leur liberté de pensée et d’expression, d’entretenir des rapports loyaux.[…]
Peut-on dire qu’à cet égard une page est tournée ? Je le crois, ou plutôt je l’espère.
La division de ces formations [NDLR : syndicats et partis] ne pouvait que conduire à l’échec et au déclin de la gauche. Du coup la perspective d’une alternative démocratique et de progrès social s’est éloignée. Le mouvement social pâtit inévitablement de la défaite du peuple de gauche lors de la dernière élection présidentielle de 2007. En faisant échouer le projet de candidature commune de l’entente anti-libérale, les rivalités n’ont pas seulement fait exploser les perspectives d’un rassemblement qui portait en son sein l’espoir d’une nouvelle gauche et d’une dynamique unitaire. Elles ont de surcroît apporté de l’eau au moulin de ceux qui estiment que, désormais, l’élection présidentielle est le scrutin primordial de la Vème République.[…]
Il n’appartient certes pas aux syndicats d’outrepasser leurs prérogatives en prodiguant des conseils aux partis et en se prononçant pour tel ou tel candidat. Mais une chose est sûre : le rassemblement populaire, déterminant pour créer un rapport de force favorable à la gauche, ne pourra se faire qu’autour d’un projet de société qui puisse bénéficier du soutien du mouvement syndical. »

 

  •  Appel de l’Union régionale CGT Ile de France : cliquez ici pour le document original : tract_12_avril URIF-1

En Île-de-France, les choix patronaux de financiarisation de l’économie au détriment du travail ont des conséquences directes sur les millions de salariés franciliens. Sur les douze derniers mois, l’emploi dans notre région, est de nouveau reparti à la baisse. Des centaines de milliers d’emplois industriels disparaissent et dans le même temps l’embauche des salariés est de plus en plus précaire : 73% des embauches dans les entreprises franciliennes sont des CDD de moins d’un mois. Ce sont ces choix politique qui alimentent la crise !

Nous subissons un pilonnage médiatique sur le « coût du travail » mais le « coût du capital » pèse lourdement sur l’économie. Le crédit impôt recherche de Sarkozy est toujours versé aux entreprises : c’est 10 milliards par an, il s’additionne aux 20 milliards du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi. Maintenant, cerise sur le gâteau, c’est le Pacte de responsabilité, qui offre un cadeau supplémentaire au patronat de 33 milliards de cotisations sociales… Les 22 mois de pouvoir Hollande ont poursuivi les mêmes choix politiques et les mêmes logiques tournant le dos au progrès social. C’est la poursuite de la casse industrielle, le démantèlement du droit du travail, ce sont des services publics étranglés financièrement…Et pour les salariés des grilles salariales à la traine, des minima salariaux en dessous du SMIC dans une majorité de branches, une égalité salariale femme/homme qui reste un slogan… et le 1er avril les retraités n’ont pas eu de revalorisation de leurs pensions.

Dans ce climat, comme le démontrent les résultats des municipales, la droite la plus réactionnaire et l’extrême droite raciste et xénophobe se nourrissent de la désespérance sociale.
C’est pour toutes ces raisons que l’URIF CGT se positionne à l’offensive et a appelé les salariés à se mobiliser le 6 février et le 18 mars, c’est pour toutes ces raisons que l’URIF CGT sera présente à Bruxelles à l’appel de la CES contre les plans d’austérité imposés aux peuples européens. C’est dans une volonté de rassembler les salariés, retraités, jeunes et privés d’emploi pour construire et développer le rapport de force indispensable pour en finir avec l’austérité et exiger un autre partage des richesses et à modifier les logiques capitalistes qui nous ont plongés dans cette crise !

C’est pour toutes ces raisons qu’il y a urgence à construire les convergences entre le syndicalisme et toutes les forces progressistes et à s’engager ensemble dans l’appel à manifester le 12 avril…
Dans le contexte actuel qui voit l’extrême droite et la droite réactionnaire progresser, il y a besoin d’un fort mouvement convergent. Syndicalisme et politique ont chacun leur rôle dans la société, et personne ne songe à entamer l’indépendance de l’un ou de l’autre. Mais ils agissent sur le même « champ de bataille » social ! La situation est préoccupante et demande une réponse adéquate : Tous ensemble manifestons le 12 Avril 2014 – 14h00 République – Nation

Tous ensemble contre l’austérité !
PARIS•12 AVRIL•14H•RÉPUBLIQUE-NATION

Encore sur la CFDT et…le rapport au politique

On ne soulignera jamais assez le contraste entre la CFDT 2014 et celle de hier ou d’avant-hier. Karel Yon, chercheur spécialisé sur le syndicalisme, commente ici un document sur l’intervention CFDT dans les municipales de 1977.

Accès au document CFDT (photocopie) : CFDT-municipales76

Un exemple d’intervention syndicale dans une campagne municipale

Par Karel Yon

Le document que nous présentons ici donne à voir une forme d’intervention syndicale possible dans une campagne électorale. Il s’agit d’une courte brochure de 8 pages éditée par l’union régionale CFDT du Nord-Pas-de-Calais en 1976, à l’occasion des élections municipales de l’année suivante. À cette époque, le discours officiel de la centrale était encore celui de la lutte contre le capitalisme. L’union de la gauche PS-PC n’avait pas encore conquis le pouvoir, mais on espérait cette victoire pour les élections législatives de 1978, les municipales apparaissant comme une première marche vers la conquête de l’État. Et l’on pensait encore que cette victoire pourrait « changer la vie ». C’était la crise, déjà, l’emploi industriel était sévèrement attaqué (particulièrement dans le Nord) et l’austérité était déjà avancée comme la seule politique possible…

Pourquoi ce document conserve-t-il une actualité ?

En premier lieu parce qu’il donne à voir un syndicalisme qui ne réduit pas son action revendicative aux frontières de l’entreprise ou même de l’économie. La mission syndicale est pensée de manière extensive, comme devant prendre en compte tous les besoins, problèmes et intérêts auxquels les travailleurs, peuvent être confrontés. Les revendications ne sont pas nécessairement très radicales, mais elles couvrent un champ de préoccupations qui concernent les travailleurs non seulement sur le terrain de l’emploi mais aussi en fonction d’identités transversales (locataires, usagers des services publics, citoyens, habitants d’un écosystème) et spécifiques (immigrés, femmes). On a là une conception du syndicalisme qui fait écho aux réflexions d’un Bruno Trentin sur la nécessité de représenter le « travail vivant » et non le travail subordonné, tel qu’il est figé dans les catégories dominantes de l’économie capitaliste[1].

Deuxième intérêt de ce document, il manifeste un style d’intervention syndicale dans le champ politique qui se distingue des modalités traditionnelles de soutien à un parti, un individu ou un programme. Ce type d’intervention, on l’a par exemple vu ressurgir à l’occasion des dernières élections présidentielles avec les appels à voter contre Sarkozy et Le Pen ou pour Hollande… avec toutes les déconvenues qui en ont découlé. Ce que le document laisse entrevoir, c’est que ces déconvenues sont peut-être moins liées à l’appel au vote en soi (un syndicat ne se lie pas nécessairement à un parti parce qu’il lui exprime un soutien) qu’à l’absence d’une intervention autonome des syndicats sur le terrain de la stratégie politique. Cette revendication d’autonomie se manifeste aussi par le souci revendiqué de ne pas mettre les luttes entre parenthèses le temps des élections. Il n’est cependant pas question dans la brochure de développer un programme syndical qui soit alternatif à celui des partis. Il s’agit plutôt de présenter une perspective générale, un point de vue syndical interprofessionnel et confédéral informé par une grille de lecture spécifique qui faisait l’identité de la centrale cédétiste à l’époque, celle du socialisme autogestionnaire. C’est dans ce cadre donnant un sens stratégique à l’action syndicale que les syndicats de base sont invités à formuler des revendications concrètes, charge à eux ensuite de les faire valoir auprès des candidats aux élections, voire d’investir des militants pour les représenter sur le terrain des élections politiques. L’autonomie des syndicats est ainsi respectée, laquelle permet dès lors d’ajuster la pratique syndicale à chaque contexte spécifique (degré d’homogénéité sociale et/ou politique de la section, degré d’ouverture du milieu partisan local), mais dans un cadre stratégique qui donne un sens globale à l’action syndicale, celui de la lutte contre l’exploitation et l’oppression capitalistes. La fameuse « double besogne » codifiée dans la Charte d’Amiens ! Il serait bienvenu que cette réflexion renaisse dans les rangs syndicaux : pourquoi militons-nous ? Où allons-nous ? La « démocratie sociale » est-elle une alternative satisfaisante au socialisme, à l’autogestion ? Si non, qu’avons-nous d’autre à proposer ?..


[1] Bruno Trentin était un dirigeant syndical et intellectuel italien très écouté. Il a systématisé ses analyses dans un ouvrage publié en Italie à la fin des années 1990 et récemment traduit (Trentin, La Cité du travail. La gauche et la crise du fordisme, Paris, Fayard, 2012). Il y critique la « subordination culturelle » de la gauche à la raison taylorienne et fait de la lutte contre la réification du travail le cœur du combat syndical, ce qui passe notamment par une démocratisation réelle de la sphère productive.

CFDT : les années 68

Dans ces moments où la Confédération CFDT anticipe soigneusement les décisions du gouvernement Hollande (dont elle a préparé l’avènement de très près), en fréquentant  les cabinets ministériels (loi ANI…), il est bon de rappeler à la mémoire ce que fut une autre CFDT.

De la fin des années 1960 à la fin des années 1970, ce fut la décennie ancrée dans les luttes, l’unité avec la CGT,  une perspective tournée vers un « socialisme autogestionnaire », « la planification des moyens de production », et la construction d’une jonction militante entre l’action ici et maintenant (et pas seulement dans les usines), et la question du projet politique démocratique. La rupture ultérieure (après 1978 s’il faut vraiment une date clef) n’en est que plus douloureuse, mais aussi étonnante. Cette histoire est pour partie controversée.

Nous avions déjà publié sur ce blog une réflexion d’Albert Detraz, ancien secrétaire confédéral CFDT, sur le rapport syndical à l’Europe ou la politique en général. Pierre Cours-Salies, historien de la CFDT (La CFDT: Un passé porteur d’avenir. Pratiques syndicales et débats stratégiques depuis 1946Editions la Brèche, 1988) revient ici sur ces années riches en débats. Cet article est extraît de  : La France des années 1968, dir. Antoine Artous, Didier Epsztajn, Patrick Silberstein, Paris, Syllepse, 2008).

La CFDT : Dans les luttes, avec l’autogestion au cœur

Par Pierre Cours-Salies

Une des racines du Mai français ne peut être séparée de la création de la CFDT, en 1964. Ce fait lui-même mériterait une analyse du processus de rupture avec l’identité chrétienne, l’abandon du « C » de CFTC et le choix du nouveau nom, « démocratique », par une majorité massive. Cette phase des années cinquante et soixante, qui précède l’objet de ce livre voit coexister, une confédération dirigée par des chrétiens sociaux et des fédérations animées par des militants « de lutte de classe » ; à côté, la revue Reconstruction offre des moyens de réflexion et d’expression. On peut consulter, par exemple, les textes des congrès des fédérations de la métallurgie (en 1952 et 1956), du bâtiment, de la chimie en 1956 ; ceux de la fédération du textile-habillement (Hacuitex) en 1964 et 1966, comme le rapport au congrès confédéral de 1959 « Pour une planification démocratique ».

Retenons que cette évolution « restait mal connue à l’extérieur », comme l’écrit Tribune socialiste (hebdo du PSU) fin octobre 1964. On doit rappeler que seulement 10% des effectifs de l’ex-CFTC ont choisi de faire scission. Avec l’aide  du gouvernement, ils furent reconnus bien au-delà de leur représentativité pour les aider à se développer. Mais la réalité politique fut la transformation de la CFTC en CFDT, et le maintien au sein de celle-ci de la plupart des 30 % qui s’opposaient à cette « déconfessionnalisation ». Quelques uns partirent ensuite du fait de la grève de 1968.

Pour mieux comprendre un tel phénomène, une étude plus ample sur les réflexions de lutte de classe parmi les chrétiens, à l’époque,  ferait apparaître plus d’un rapprochement avec les prémisses de la théologie de la libération (le rayonnement des ouvrages du Père Lebret, s.j. est voisin en France et en Amérique du Sud…)

Rappelons seulement les options nettes affirmées, lors du congrès de juin 1963 par Eugène Descamps, secrétaire général de la CFTC, un an avant : « Nous ne sommes pas des missionnaires d’un ordre social chrétien français et européen.  Nous sommes du 20e siècle et non du Moyen Age… Notre engagement syndical est motivé par notre appartenance à la classe ouvrière. C’est parce que l’injustice a broyé nos pères et nos camarades que nous sommes entrés dans le combat syndical pour la justice et la dignité humaine. ». Cela se dit en toute clarté, comme le congrès de la fédération de la métallurgie CFTC avait, en 1952, adopté un rapport affirmant : « Notre monde capitaliste est celui où les possédants dirigent effectivement la vie des nations. Il a pour base la propriété privée des moyens de production (…)  Le régime politique est d’abord au service de ces puissances financières. On ne dénoncera jamais assez la mensonge démocratique en régime capitaliste ».

Réalités et limites du « néo-capitalisme »

En fait, leur dynamisme syndical et politique s’affirme au moment même où, de proche en proche, beaucoup se laissent gagner par l’idée que  « le système capitaliste a changé », qu’il n’y a « plus de prolétariat », que la « civilisation du bien-être », la croissance liée à la consommation et à la production de masse, s’impose avec pour conséquence un nécessaire abandon de la contestation fondamentale de la société par le syndicalisme.  En répondant aux exigences des militants tout en évitant les difficultés  idéologiques du socialisme soviétique ou de celui à la française, simple gestion gouvernementale occasionnelle, ils font adopter des options favorables à la « planification démocratique de l’économie » (1959). Ils ont des options socialistes et de démocratie radicale, traduites dans le texte préparatoire au congrès de 1964 : « l’anticapitalisme n’est pas un phénomène spontané et naturel au niveau des masses, encore moins aujourd’hui dans une société de consommation qu’hier dans une société caractérisée par la misère ; c’est la raison pour laquelle la motivation profonde de transformation de la société capitaliste doit pénétrer la conscience des salariés par le moyen d’une idéologie élaborée à partir de la racine de la condition ouvrière » (Evolution et perspectives de la CFTC, p. 62).

A l’époque, cette discussion recoupait celle autour de « l’autogestion » : la recherche d’un projet de société socialiste qui ne verse pas dans la bureaucratisation. Formation, la revue de la confédération CFTC puis CFDT, a publié, dès avant le congrès de 1964 deux articles d’information sur ce sujet (n°58 et n° 60). Une des fédérations de la CFTC-CFDT en fit un ample débat avec ses militants. « Y a-t-il un exemple de la société que nous réclamons ? », interrogent des militants, en leur nom ou en reprenant des discussions autour d’eux. Les réponses données en 1962 et en 1964 par le secrétaire général de la fédération textile habillement, d’une netteté exemplaire, permettent de comprendre comment la CFDT anticipe les discussions de Mai 68 : « Nous avons souvent dit que nous ne choisissons pas le communisme et que nous ne pouvons pas admettre le capitalisme (…) Mais il ne suffit pas de se mettre entre deux chaises. Il nous faut imaginer une structure. Alors il faut en effet détacher le pouvoir de décision économique du capital pour le rattacher à l’homme. C’est ce que personnellement j’appellerais le suffrage universel en économie. Un homme, une voix. Pourquoi certains en auraient-ils davantage et pourquoi cela serait-il juste en politique et erroné en économie ? Cela entraîne évidemment une modification totale, sinon son abolition, du droit de propriété sur les moyens de production. » (Congrès Hacuitex de 1964, résumé des interventions et réponses, p. 6).

D’autres organisations de la CFDT proposent des « réformes de structures anticapitalistes », en lien avec les luttes de masses et des fédérations prennent des positions voisines, ainsi celle de la chimie, en 1964 : « Il faut instituer l’appropriation sociale de l’autofinancement, c’est-à-dire le retour à la collectivité de l’accumulation de richesses dues à l’effort des hommes actuellement détournées au seul profit de quelques uns ». Dans le rapport d’Edmond Maire, l’autogestion est ainsi « le but » du socialisme. Le but, mais le chemin ? Les exigences, l’utopie : que faut-il faire murir et pour quels objectifs réels ?

Cette discussion, amorcée dès avant 1968, continuera, et s’approfondira. De nombreux militants et structures syndicale discutent de la stratégie de la lutte des classes : de ce qui lie les revendications, la contestation de la propriété capitaliste et les formes d’action adaptées à la perspective de socialisation et de démocratie.  Elle recoupe des réflexions sur la « nouvelle classe ouvrière » (Serge Mallet , André Gorz, Pierre Belleville,YOD…). Celles-ci mettent en évidence des attentes nouvelles chez des couches importantes de salariés, dont le droit  de regard sur les objectifs de la production et le fonctionnement des entreprises, le droit à la formation tout au long de l’existence pour ne pas être enfermé dans le même emploi, qui sont reprises dans les documents de la CFDT au sujet de la section syndicale d’entreprise et dans les revendications présentées en mai 68.

Deux stratégies opposées : qu’est-il possible d’exiger ?

Après la présidentielle de 1965, De Gaulle ébranlé, quelle perspective construire ?  Cette question fait apparaître deux réponses, qui mettent en évidence les implications d’une logique d’unité ouvrière et celle d’une approche de « réforme sociétale réfléchie ».

Dans la CFDT, un courant se regroupe au nom d’une « stratégie commune » aux partis de gauche et aux syndicats. Cette démarche a des liens avec des dirigeants de la CGT et de Force ouvrière, de même qu’avec Michel Rocard, dirigeant du PSU. Il faut, selon eux, marier la  modernisation des approches (pour parler le langage du moment, le mendésisme), la critique du carcan gaulliste et des « propositions constructives » opposées au Cinquième Plan (1966-1970), faites de manière responsable, c’est-à-dire absorbables par l’économie et permettant une transformation progressive et prolongée (Julien Ensemble, 1965). Edmond Maire et Marcel Gonin, tous deux dirigeants de la CFDT, mènent une vraie campagne, autour de plusieurs thèmes. « Nous sommes dans une économie ouverte », répètent-ils pour en conclure que les revendications doivent être limitées : « resserrer l’éventail des salaires (…) c’est probablement donner 5 % par an au tiers le plus défavorisé et 3 % au plus avantagé », « une réduction de la durée du travail plus rapide que celle prévue par le Plan gouvernemental, vers les 43h 30 au lieu des 44h 30 prévues pour 1970 ». Ils argumentent  avec une masse de précisions (Tribune socialiste, 8 décembre 1966) : « il s’agit donc d’un choix d’objectifs prioritaires liés entre eux et économiquement cohérents ». Une option assumée avec clarté, somme toute : « Cela implique dans un premier temps, précisent-ils, le renforcement et l’unité de la gauche non communiste sur la base d’un programme socialiste et démocratique ».

Une autre orientation s’exprime, à l’opposé : une « stratégie autonome ».  Au nom de principes élémentaires : « c’est une vieille déviation bien connue et qui s’appelle la déviation économiste, développe Gilbert Declercq, et il y avait sans doute d’excellents économistes au XIXe siècle pour expliquer la nécessaire présence des gosses dans les filatures (…) Cette tendance, qui livrerait le syndicalisme à la technocratie, voudrait que soient liés par contrat les syndicats ouvriers et les partis de gauche » (Intervention au congrès confédéral en novembre 1967).  « C’est au nom d’un certain réalisme qu’on a toujours refusé en France les réformes sociales. D’une certaine manière, un ‘réaliste’ finit toujours par devenir, sinon réactionnaire, du moins conservateur. Son raisonnement consiste à estimer que, puisque les choses ne se sont pas faites, c’est qu’elles n’étaient pas faisables. Le ‘progressiste’ fait à peu près le raisonnement inverse ». « Que le gouvernement fasse une bonne politique (…) C’est à lui de gagner la confiance des travailleurs » (Formation n° 76, p.21).

Cette attitude correspond à la majorité des militants et des structures de la CFDT, que l’autre courant espère bien faire évoluer vers une orientation d’accompagnement d’une candidature de Mendès-France, avec Jacques Delors, et bien d’autres à l’horizon de 1972, où devaient se tenir, dans la même année, une présidentielle (après celle de 1965) et des législatives (après celles de 1967). Ce calendrier amène, en février-mars 1968, un début de discussion entre le PCF et la FGDS. Toute cette chronologie sera bousculée par la grève générale et ses suites.

Dans la CFDT, ce débat a lieu avec vivacité, organisé avec une grande démocratie par la direction nationale: les porte parole de chacun des courants circulent dans les stages de militants et divers débats au sein des organisations ; une brochure interne est réalisée et diffusée, « revue par les camarades partisans de l’une et l’autre stratégie » (Formation n° 76, janvier-février 1968).

Dynamique de l’unité syndicale : comment faire bouger ?

Pour la majorité des responsables de la CFDT, l’essentiel est de vérifier si leur option de l’unité d’action produit des effets : « Syndicalisme contestataire ou de participation ? C’est parfois un faux problème, faisait remarquer Eugène Descamps. L’essentiel est de ne pas être absent des luttes ouvrières » (Intervention au congrès de1967). La situation, à l’inverse de l’image trop courante des « Trente glorieuses » est faite d’inégalités et de disparités. Les revendications élaborées dans la CFDT, en lien avec les fédérations et les syndicats les plus touchés  peuvent paraître très élevées. Pour  ne prendre que deux exemples : la revendication, contre un gouvernement cherchant à créer un « volant de chômage » pour faire pression sur les salariés durant les années 1965-70, la réduction possible de l’horaire réel moyen de quarante six heures actuelles à quarante heures en 1970 avec maintien du pouvoir d’achat pour les salariés, sans difficulté grave pour  l’économie ;  de même, une augmentation du pouvoir d’achat du SMIG,  afin de combler le retard entre le coût réel de la vie et les ‘données’ de l’indice manipulé depuis au moins 1956,  mais aussi pour rétrécir l’éventail des salaires en prenant en compte les couches de salariés qui avaient progressé.

Ces revendications, mises au point dès 1965 (Formation, n° 63, mai-juin 1965), ont été proposées aux autres centrales. Une discussion eut lieu au sujet de l’augmentation du SMIG, perçue comme excessive : pourquoi ne pas s’en tenir à exiger de l’aligner sur l’augmentation de l’indice des prix ? Cette discussion fit accepter les propositions de la CFDT : trois millions de salariés à bas salaires étaient ainsi directement concernés. Cet ensemble revendicatif faisait l’accord de la CGT comme de FO ; toutefois, cette dernière refusa  un accord à trois, par méfiance anti-communiste.  Ainsi fut conclu l’accord CGT-CFDT du 10 janvier 1966.  Son écho parmi les salariés est net et, à diverses reprises, la FEN et FO se joignent  à des appels unitaires en 1967.

Cette dynamique d’action a certainement créée les conditions de la grève ouvrière de mai 68. Une progression des « jours perdus pour fait de grève » montre une confiance retrouvée : de 979.900 en 1965 à 2.523.500 en 1966 et 4.203.600 en 1967 ; les grandes journées d’action commune servent de rendez-vous, progressivement, aux salariés de petites entreprises. Parallèlement, des luttes dans des entreprises plus grandes se durcissent, donnent lieu fin 1967 et durant les premiers mois de 1968 à des affrontements entre grévistes et forces de l’ordre, à la Saviem de Caen, au Mans, à Mulhouse.

André Jeanson, président de la CFDT et plutôt « modéré », écrit dans Témoignage chrétien (du 9 novembre 1967), à propos de ces luttes dures d’usines : « il ne faudrait pas grand-chose pour que les travailleurs reprennent leurs bonnes habitudes et descendent dans la rue, avec quelquefois des boulons dans leurs poches »

Retenons cependant, emblématique, cette déclaration qui mérite la célébrité depuis longtemps : « Les militants syndicaux (…) en viennent parfois à prendre la mobilisation des militants pour la mobilisation des masses, ou à s’en remettre à une perspective mythique de grève générale ». Date : avril 1968 ; auteur : Edmond Maire.  Dans le cours des « années 68 », saisir ce fil de compréhension est indispensable.

Mai 68 : la lutte continue

D’où l’importance de la déclaration de la CFDT, le 16 mai 1968 : « En se déclarant solidaire des manifestations étudiantes, la CFDT en a ressenti les motivations profondes (…) A la liberté dans les universités doit correspondre la même liberté dans les entreprises. En cela, le combat des étudiants rejoint celui mené par les travailleurs depuis la naissance du syndicalisme ouvrier.

A la monarchie industrielle et administrative il faut substituer des structures démocratiques à base d’autogestion. L’extension des libertés syndicales, la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, la garantie de l’emploi, le droit des travailleurs à la gestion de l’économie et de leur propre entreprise doivent être affirmés avec plus de force que jamais ». Au moment où se développe la grève générale, il s’agissait, selon l’un de ses principaux rédacteurs, de « définir par une expression forte le sens profond de l’aspiration populaire dominante »  (Albert Détraz, Tous ensemble, n° 20).

Après la grève générale du 13 mai, la grève ouvrière prend le relais, à Nantes dès le 17. Durant quatre semaines, on comptera neuf millions de grévistes en moyenne. Les discussions de Grenelle, le 27, marquent un tournant : elles sont jugées tout à fait insuffisantes par les salariés des entreprises les plus structurées syndicalement. La question posée, alors, est la question politique plus largement : pourquoi conserver ce pouvoir, venu un autre 13 mai par un coup d’Etat et usé ? « Dix ans, ça suffit ! » devient un slogan dans les manifestations. Certaines entreprises reprennent le travail, après satisfaction de leurs revendications ; d’autres commencent des grèves. Le pays est pour l’essentiel au rythme d’une grève générale. Le locataire de l’Elysée et ses proches ont quelques jours, du 27 au 30, où ils ne savent plus que faire. La direction de la CFDT souhaite une initiative en faveur d’un gouvernement provisoire ; ainsi déclarent-ils à Pierre Mendès France, sollicité comme possible Premier ministre : « Si vous êtes amené à faire un gouvernement, il doit être constitué avec les communistes, la FGDS, et aussi des forces nouvelles. Un peu comme au moment de la Libération où les hommes des réseaux, de la Résistance, ceux des partis et des syndicats avaient leur place au pouvoir. » (Eugène Descamps, Militer, p. 192).

Mais, les méfiances entre partis et le refus de sortir du cadre institutionnel amènent les appareils politiques  de gauche à refuser une issue politique portée par la mobilisation. La FGDS et le PCF, avaient un début de programme de gouvernement depuis quelques mois se réunissent ; mais ne veulent pas proposer un débouché politique.  La direction de la Fédération de l’éducation nationale (FEN) s’adapte ; la CGT, quoi qu’en pense une grande parie de sa direction, ne veut pas aller contre le Parti et se contente de gérer au mieux le maintien de la combativité et des mobilisations. Le rejet des « conclusions de Grenelle », comme le refus dans les manifestations de rue du référendum que De gaulle propose, quand on analyse la suite des jours de ce mois, mettent en évidence  « une occasion manquée ». Comme la CFDT le souligne, cela la place symboliquement à gauche. Toutefois, l’analyse d’Eugène Descamps, pour l’essentiel, relève d’un constat plus que d’une proclamation stratégique : « En 1968,  les travailleurs avaient tout en main. Qu’aurait fait la police ? L’armée ? Nous savions que, dans la police, de nombreux fonctionnaires étaient assez proches de notre manière de voir. La  police parisienne, les 28 et 29 mai, n’était nullement activiste. Elle nous paraissait plus près de la neutralité ! Le peuple a vécu quelques jours d’espoir ! » (op. cit. p. 197).

Nous trouvons ici une des questions fortes qui traverseront les années 68 et resurgissent : les rapports entre les dirigeants politiques de gauche et par ailleurs les militants, la population des salariés et la masse des jeunes.  Pour bien marquer l’ancrage de la CFDT de 1968 dans cette contradiction et au cœur de cette sensibilité aux possibilités de transformation,  reprenons donc, en bref, ce qu’Eugène Descamps a décrit comme « Mai 68 à l’envers » : « Les hommes politiques qui veulent réaliser le socialisme sont suffisamment unis et courageux pour éviter à la fois l’enlisement et la guerre civile, suffisamment démocrates pour qu’eux-mêmes, portés par la masse, remplacent un pouvoir débile, respectent les libertés fondamentales, s’inscrivent dans le cadre de la Constitution, quitte à le modifier six mois ou un an après. Il y a des moments, les masses sont en mouvement ; ces masses doivent être orientées vers le changement  avec la garantie de réaliser des réformes en sauvegardant les libertés (id.).

Malgré les réticences internes de divers ordres, ne voulant pas elle-même provoquer une division trop forte avec la CGT, les autres forces syndicales et de gauche, la direction confédérale, sans participer directement, soutint la démarche de plusieurs fédérations et deux dirigeants participèrent au meeting de Charléty, pour consolider « l’aile marchante » du mouvement de Mai.

 Ce sera donc « une victoire syndicale et une défaite politique ». Comme le dit ce jour-là Frédo Krumnow (Habillement CFDT) « Mai amorce une lutte qui sera forcément de longue durée ». Une série de « jamais ça » patronaux   aura été remis en cause : la réduction du temps de travail à 40 heures sans aucune perte de revenus, le SMIC augmenté de 35 % et tous les autres salaires d’au moins 10 %, la disparition des abattements de zone qui imposaient d ebas s alaires en province;  jusqu’à l’acceptation du principe du droit à la formation continue et à la section syndicale d’entreprise. Ces résultats contredisent point par point les élucubrations du courant qui avait défendu l’autolimitation des revendications au nom d’une gauche réformatrice. Et démontrent la vanité des discours économiques responsables de nombre d’experts et de leaders patronaux que des socialistes et des syndicalistes avaient pris pour la vérité révélée.

Cela place le mouvement syndical français dans une situation paradoxale et difficile. Difficile parce que la Chambre bleu horizon de juin 1968 laisse gérer les affaires par un gouvernement Chaban-Delmas dont le conseiller social est Jacques Delors, plutôt proche d’Edmond Maire et de Michel Rocard. Des propositions d’accords sèment le trouble parmi les syndicalistes (P. Cours-Salies, op.cit., 171-177). Plus avant, la situation sociale française paraît paradoxale : « Une  semi-révolution (…) semble n’avoir eu pour effet que de donner un vigoureux coup d’épaule pour faire aboutir des revendications embourbées », note Daniel Reynaud (Sociologie du travail, 1971). Mais, la même année, un colloque tenu à Bruges souligne comment les syndicats français se sortent bien d’avoir joué ce rôle d’accompagnement du débordement (Guy Spitaels, 1971) ; alors que dans d’autres pays européens, en Allemagne, en Suède, en Belgique, aux Pays Bas des débrayages spontanés s’organisaient en 1969, 1970 et 1971, des grèves dites « sauvages » parce qu’imposées par la base militante des syndicats ; comme en Italie où les syndicats allèrent jusqu’à constituer des « comités d’usine » reconnus par eux.

Le débat de stratégie de 1970[1]

Les succès syndicaux ne sont pas rien, et s’accompagnent d’une vague d’adhésions, une croissance d’environ 20 % des effectifs, qui permettent de créer de nombreuses sections et syndicats. Et de nombreux militants de la CFDT s’emparent du débat préparatoire au congrès de 1970 pour clarifier leurs idées et donner une voie nette à leur centrale. Pour un historien, la lecture des textes d’avant 1968 et ceux du congrès de 1970 frappe : les perspectives ne varient pas beaucoup ; mais les termes et le ton changent. Albert Détraz l’a fort bien résumé : « Participer à la lutte des classes est une chose, l’inscrire dans une stratégie et lui donner une finalité précise en est une autre ».

Trois courants s’expriment dans ce débat : la motion d’orientation retenue comme base, un courant autour de la notion centrale de « planification démocratique » comme moyen indispensable de transformation et un autre autour de la perspective d’une rupture politique par l’action afin d’arriver au socialisme autogestionnaire. Résumons-en quelques aspects, révélateurs de l’après-Mai et de ce qui va se jouer autour du Programme commun. Certains des protagonistes du débat précédent, dans une perspective de tactique d’appareil, se tiennent en retrait, tel Edmond Maire se contentant de préparer une réforme des statuts, singulièrement centraliste sur laquelle nous devrons revenir. La seule manifestation de ses idées, « la démocratisation de l’entreprise », est rejetée « car la démocratie est une structure ou le pouvoir vient du peuple, ce qui n’est pas le cas de l’entreprise capitaliste ». En fait, dans quel ordre prendre et développer la perspective « vers le socialisme démocratique » ? Le courant des Pays de Loire (qui regroupe d’autres fédérations et des syndicats), qui apparaît dans la continuité d’une CFDT de lutte de classe d’avant 68, « la planification démocratique est rendue possible par un début d’appropriation sociale, comme une étape essentielle (…) qui prépare et préfigure une société autogérée. Pour le courant autour d’Hacuitex, « la révolte gronde dans les ateliers et services, les usines. La CFDT entend soutenir et développer ce courant de contestation, en contribuant à le rendre plus conscient et plus efficace ».

Ces positions, dans le souffle de Mai, s’attirent des méfiances : l’essor des luttes pourrait-il permettre de passer directement de la grève générale à l’auto-organisation de la classe et à la prise du pouvoir transformant la société de fond en comble ? En fait, cela exprime tout autant une option de véritable rejet du capitalisme qu’une rage contre le rôle des « appareils politiques » en Mai 68.  Certains craignent d’y trouver la reprise des positions de la CGT d’avant 1914 ; d’autres feignent d’y voir un « conseillisme » avant-gardiste qui mépriserait  la démocratie. En fait, personne n’en fait une stratégie, remarque Eugène Descamps. Les porte-parole se répondent, au moment de la synthèse du congrès. Gilbert Declercq, pour celui regroupé autour des Pays de Loire : « ce n’est qu’après cette appropriation collective que sera possible une planification démocratique dans une perspective d’autogestion ». Frédo Krumnow, du « courant Hacuitex » : « nous ne sommes pas de ceux qui pensent que l’autogestion soit possible, pas plus que la planification démocratique dans une société capitaliste (…) Mais il faudra que la rupture soit radicale (…) Pourquoi ce serait à nous, syndicalistes, de tracer des mi-chemins plutôt que d’avancer clairement l’ensemble des exigences que nous portons ».

La véritable synthèse de ce débat, in fine, est publiée en 1971, Pour un socialisme démocratique, contribution de la CFDT, le texte que la CFDT adresse à la CGT afin d’avoir un débat approfondi en lien avec l’unité d’action, nécessaire mais dépendant d’une évolution de la CGT sur bien des revendications : augmentation plus rapide des basses rémunération, heure d’information pour tous les salariés et pas seulement pour les syndiqués, une campagne sur les droits des immigrés. En même temps, la CFDT refuse de considérer que Mai 68 a été un accident de parcours et défend sa conception : « en optant pour l’autogestion (elle) a pris en compte les expériences socialistes diverses qui montrent que le changement politique, même accompagné d’une appropriation collective des moyens de production, ne suffit pas à changer fondamentalement la situation de dépendance des travailleurs (…) Ils ne sont plus subordonnés à un pouvoir extérieur (…) ils deviennent collectivement leur propre employeur, maîtres du produit de leur travail et de son utilisation dans le cadre de la planification démocratique » (op ; cit. p ; 46). Le même document fait ressortir que l’axe du changement est « la mobilisation  et l’action des masses populaires », sans quoi même une éventuelle victoire électorale de la gauche serait vouée à l’échec. Ce débat, mené en lien avec les luttes indique assez la réflexion stratégique  trois ans après 68 !

Il serait cependant regrettable de ne pas saisir cette relecture des textes du congrès de 1970 sans en souligner quelques autres apports importants pour les luttes remettant en cause les rapports sociaux, d’autant plus éclairants qu’ils sont discutés dans l’élaboration publique de « la stratégie syndicale ». Signalons un document présentant « une solidarité fondamentale de lutte commune des travailleurs (…) en face de l’oppression capitaliste internationale », qui indique les processus de colonisation sous des formes diverses (Une économie de solidarité pour le développement du tiers-monde).  En ce qui concerne les pénibilités du travail et la façon dont devraient être combattues et rejetés les nuisances, on peut trouver des échos du livre d’André Gorz, comme une anticipation du travail publié sous le titre « Les dégâts du progrès ». Un autre des documents de préparation met en évidence des positions féministes. Sous le titre de « Lutte contre les inégalités », après une mise à jour des « disparités qui se cumulent », tant nationale qu’internationales, un chapitre  précise (Groupe : Problèmes humains dans une société en développement, p. 15-16, octobre 1969) : « c’est la société qui a décidé de la prédétermination de la femme  pour les tâches ménagères et les fonctions moins nobles (…). En apparence, la femme semble avoir acquis l’égalité de droit avec l’autre sexe, comme elle semble avoir acquis la même liberté. Mais  (…) la véritable égalité réside dans le droit pour chacun de s’exprimer comme un individu autonome et créateur et ce droit reste en fait refusé plus à la femmes qu’à l’homme. C’est ainsi que la société de consommation de masse lui crée des modèles précis qu’elle continue d’autant moins à créer qu’elle est plus exclue des échelons du pouvoir. (…) Sa situation de faiblesse n’est que la conséquence de son traditionnel statut d’inégalité dans la société ».

Last, il nous faut signaler ici, passé en grande partie inaperçu, le débat et le vote au sujet des « statuts » de la CFDT. Historiquement, pour cette centrale, cela a eu un rôle très lourd (P. Cours-Salies, op. cit., 189-191). Nous aurons malheureusement l’obligation d’y revenir dans l’analyse des retournements ultérieurs.

Lip, symbole révélateur

L’analyseur Lip, a pu écrire René Lourau  en1974, afin de mettre en lumière, au nom de la reconstruction immédiatement possible de la société et des rapports sociaux, selon lui et un courant de « démocratie de base radicale », le courant de spontanéité qui fait vivre à beaucoup l’espoir d’un « nouveau Mai ». Il souligne comment personne ne tire les conséquences d’une affirmation partagée par Georges Séguy, secrétaire général de la CGT à propos des « Lip » : ils ont montré »qu’ils pouvaient se passer des patrons ». Cette question mérite en effet attention, quand près de 200 petites usines ou ateliers de production seront occupés entre juillet1974 et juillet 1975, et mettront à l’ordre du jour une coordination nationale des Lip, Pil et autres entreprises où les salariés, souvent des femmes, ont assuré la reprise de la production comme support à leur lutte.

Jeannette Laot, membre de la direction confédérale, proclame : « Pour le CNPF, ces luttes préfigurent peut être le début d’une période difficile où se dessineront les prémisses d’une société dont il ne veut pas » (Syndicalisme, 9 août 1973). De la même veine, la revue de la confédération en donne une portée historique : « Lip, après Mai 68, c’est le bruit d’une société nouvelle et déjà en train d’amorcer sa construction qui s’amplifie » (CFDT aujourd’hui, novembre 1973, p. 6). Bel enthousiasme partout : des dizaines de milliers d’acheteurs deviennent légalement  des « recéleurs » en soutenant les producteurs et les vendeurs de montres Lip.  Une chose, avec un gouvernement de droite est de voir les CRS intervenir, de voir le Ministre du travail chercher un repreneur, au prix de quels licenciements. Mais, de l’autre côté…. On pourrait imaginer, puisque le Programme commun garantit la possibilité d’une unité de la gauche autour des luttes et du droit à l’emploi, que la CFDT et la CGT demandent ensemble que des Offices nationaux de production soient créés et fournissent un support institutionnel, servent à ne pas licencier, donnent un cadre aux refus de ces fermetures parfois liées à des délocalisations. Pourquoi ne pas chercher  à créer les conditions d’une sorte d’appropriation sociale de ces outils de production, avec une garantie de l’emploi et un accompagnement sous forme de ventes et de productions protégées ? La fédération Hacuitex  le proposera pour les entreprises de la confection et du textile mais ne sera pas appuyée par la Confédération.

Ici, malheureusement, se manifeste une réalité composite et contradictoire. Nous devons commencer à souligner le côté pile et le côté face de la CFDT. La direction avec Edmond Maire, cherche son rôle de « Janus à deux portes » pour en finir avec « mai 68 ». D’un côté, entrez donc, c’est ici la nouveauté, c’est ici que cela se passe ! Mais, ensuite, on va vous le montrer, « il faut avant tout se méfier, des risques de débordement, d’espoirs excessifs, et aussi de la CGT, du PCF… » Ce sera, quelques années plus tard, «  la démocratie » contre le totalitarisme ! Au moment de Lip, aux dates des plus belles déclarations, on peut lire, dans un « procès verbal du conseil fédéral de la fédération CFDT de la métallurgie », en octobre 1973, une mise en demeure de voir les Lip accepter le plan gouvernemental de reprise, rejeté par 78 % d’entre eux : « il n’y a pas de pratique de la négociation, pas d’analyse politique (…) la fédération doit imposer une solution de compromis, y compris s’il le faut désavouer publiquement la section de Lip ».

On ne peut comprendre une telle duplicité sans une pause, une analyse de ce qui se passe au sein des instances dirigeantes et plus largement dans les syndicats. Une première approche se trouve, bien évidemment, dans la discontinuité de nombre d’animateurs de la confédération : pour des raisons de santé, au lieu de partir de ses fonctions avant le congrès de 1973 comme prévu, Eugène Descamps arrête fin 1971 ; une sorte de binôme se met en place entre Edmond Maire, élu secrétaire général et Frédo Krumnow, chargé de l’animation du secteur revendicatif ; mais celui-ci, du fait d’un cancer doit s’arrêter au cours de l’année 1973 et meurt en mars 1974. Cela ne peut rien expliquer sans la réforme des statuts de 1970, passée pratiquement inaperçue alors ; mais ses effets sont redoutables : au lieu d’avoir une direction confrontant souvent les unions départementales et le bureau confédéral, des structures régionales s’interposent, financées et mises en place par la commission exécutive confédérale.  Les secrétaires de région sont en fait nommés par la direction centrale au lieu de parler au nom de la base des syndicats. Dès fin 1972, plusieurs membres de la direction confédérale du même courant que Krumnow se demandaient comment faire accéder à la direction des personnes ayant assez d’indépendance et de force pour ne pas dépendre. Avant qu’une conscience critique large sur ces déviations ne se crée, il faut toujours le temps d’expériences répétées… Au même moment, en effet, des luttes importantes reprennent dans de grandes entreprises, comme les OS de Renault, la RATP, etc. : les syndicats et les militants ont de quoi s’occuper tandis que les opposants ne veulent pas faire scandale, pour ne pas désorienter.

Par ailleurs, la CFDT est présente dans les luttes, comme celles du MLAC pour le droit à l’avortement et à la contraception. Comme celles en soutien des résidents de foyers d’immigrés. Il en sera de même en mars 1974 avec la grève des banques et en octobre avec celle des PTT : par sa pratique syndicale, la CFDT progresse et atteindra l’apogée de ses effectifs en 1975.

Une confirmation des options politiques qui se dessinent est cependant donnée en 1974 avec une élection présidentielle à la suite du décès de Georges Pompidou, d’une longue maladie et deux ans avant la fin de son mandat. Edmond Maire, avec la commission exécutive confédérale, a pris les devants et décidé que François Mitterrand serait soutenu dès le premier tour à condition que celui-ci marque son accord avec  « l’Union des Forces populaires », une formule faite pour relativiser, aux côtés de Michel Rocard, le poids du PCF dans l’alliance. Evidemment, il s’oppose à la possibilité d’une candidature de Charles Piaget, de Lip, à la présidentielle, telle que la souhaitait le PSU, la LCR, Révolution, et l’Alliance marxiste-révolutionnaire. Un durcissement  sera sensible contre tous les militants liés de près ou de loin à l’extrême gauche, tandis qu’un groupe de fédérations et régions de la CFDT critiquent la diminution des revendications et la « perte d’autonomie » dans les formes de soutien à François Mitterrand.

Deux analyses de la crise

Au même moment, le débat interne au sujet de l’analyse de la « crise économique » apporte des éléments révélateurs. Une analyse du groupe de travail des conseillers d’Edmond Maire, dont Pierre Rosanvallon est  refusée par le conseil national confédéral, qui adopté l’orientation élaborée par le « secteur économique » où demeure une continuité d’options depuis Eugène Descamps et des proches de Frédo Krumnow. Son animateur, Michel Rolant, fait remarquer en novembre 1974 comment, même si le patronat et le gouvernement craignent encore « d’appliquer ouvertement les solutions capitalistes classiques », « nous entrons dans une période où l’intransigeance de la classe dirigeants conduit à de affrontements ». Il propose d’opposer des axes syndicaux actualisés : la réduction du temps de travail sans perte de salaire et avec de embauches correspondantes, la retraite à 60 ans avec des droits supplémentaires pour les travaux pénibles (…) l’abolition du droit patronal de licencier arbitrairement, la responsabilité collective des syndicats patronaux de branche en cas de faillite. « Ce que nous défendons (…) c’est le droit de tous les hommes, de toutes les femmes à travailler utilement et intelligemment ». Michel Rolant le résumait : « Tout le monde ne pourra et ne voudra travailler que si le travail change de sens e de nature. C’est ce changement qu’il s’agit d’imposer par la lutte. » (Nouvel observateur, 18 novembre 1974).

Il s’agit d’une véritable alternative globale au système capitaliste. Elle mettait en cause les conditions de travail, le travail de nuit, les cadences, les nuisances chimiques (Les dégâts du progrès) ; les buts et l’avenir de certaines industries, proposant des projets de reconversions sans licenciement (Où va la sidérurgie ?) ou  des éléments pour savoir comment changer de grands domaines d’activités (Politique de santé).

L’auteur de ce dernier document sera éliminé par une manœuvre ; n’avait-il pas le tort d’être à la fois dirigeant syndical et militant de la LCR ? Au moment de la lutte de la sidérurgie, François Rosso, dirigeant syndical dans la région  sera écarté et deviendra salarié de la CFDT à Paris avec l’interdiction d’intervenir  pendant cette lutte alors que la direction confédérale donnera son accord pour le plan patronal de suppressions d’emplois. Michel Rolant sera écarté de la direction confédérale et nommé à la tête de l’Agence française de l’énergie.

Dix ans après 1968, en soutien à Michel Rocard contre François Mitterrand jugé trop à gauche pour gagner, Edmond Maire salue la victoire de la droite aux législatives : «Giscard d’Estaing, tenant compte de la campagne électorale et des élections donne une coloration sociale à ses déclarations d’intention du 22 mars (…) Il faut donc tenter d’utiliser au plus vite ce besoin d’ouverture. (…) La CFDT devra rompre me cercle vicieux ou le refus global du patronat et la globalisation des revendications s’alimentent et se justifient l’un  par l’autre » (Rapport au conseil national en avril 1978). Après la victoire du 10 mai 1981, on comprend sans peine qu’un tel engagement va se poursuivre ; priorité sera donnée à la recherche d’un consensus entre le patronat et syndicats, les « les partenaires sociaux » comme les nommera Edmond Maire.

Retournements visibles de 1982

En 1982, lors du congrès de Metz, l’épilogue est d’un triste ! La revendication des 35 heures est échelonnée sur plusieurs années et payable en partie par les salariés, « pour permettre à la gauche de gérer dans la durée » ; il faut négocier le statut de l’intérim et les formes de précarité, « indispensables aux entreprises » dans le monde tel qu’il est ; en outre, la direction confédérale a dissuadé le Président de la République de reconnaître les droits politiques aux immigrés résidents en France parce que cela n’était pas « mûr ». Certes, au nom d’une CFDT de transformation sociale, une gauche syndicale va s’opposer ; mais les effectifs militants  s’effondrent du fait de cette dépendance au pouvoir. Comme Edmond Maire a pu le dire en 1984 (La CFDT en questions, 1984) : il lui aura fallu attendre jusqu’à ce congrès pour enfin pouvoir diriger la CFDT en organisation syndicale moderne. Quatre ans après, il dira  aussi, dans une interview à Libération, que la grève est « dépassée » … Une voie à rebours de la pratique syndicale et des options de lutte de classe depuis 1964.


Bibliographie

Jean-Claude Aparicio, Michel Pernet, Daniel Torquéo, La CFDT au péril du libéralisme, coll ; Arguments et mouvements, Syllepse,1999

Pierre Cours-Salies, La CFDT. Un passé porteur d’avenir. Pratiques syndicales et débats stratégiques depuis 1946. Préface d’Eugène Descamps ; postface de Gilbert Declercq ; contribution d’Albert Détraz. Editions  La Brèche, 1988.

Gilbert Declercq, Syndicaliste en liberté, Seuil, 1974.

Eugène Descamps, Militer, Fayard, 1971

Julien Ensemble, Le Contre plan (éd. Seuil), 1965,

Albert Détraz, F. Krumnow, E. Maire, La CFDT et l’autogestion, Cerf, 1973

André Gorz, Stratégie ouvrière et néo-capitalisme, Seuil, 1964

Frédo Krumnow, CFDT au cœur, Syros, 1977,  recueil de textes réalisé par la fédération Ha-cui-tex (habillement cuire, textile)

Jeannette Laot, Stratégie pour les femmes, éd. Stock, 1977 ; 2e édition en 1981 avec une préface sur les prises de responsabilité de femmes dans la confédération.

René Lourau, L’analyseur Lip, Union générale d’éditions, 1974

Edmond Maire (avec Jacques Julliard), La CFDT d’aujourd’hui, Seuil, 1974

Edmond Maire (avec François Ceyrac, Maurice Chauvin, Roger Fauroux et ali), La CFDT en questions, Gallimard, 1984

Jean-Daniel Reynaud, « Les évènements de mai-juin 1968 et le système français des relations professionnelles » Sociologie du travail, 1971)

François Rosso (avec J-Y Rognant et C. Romain), Où va la sidérurgie ? éd. Syros, 1977.

Guy Spitaels (dir.), Les conflits sociaux en Europe. Grèves sauvages, contestation, rajeunissement des structures, Marabout, 1971

Paul Vignaux, De la CFTC à la CFDT, « Reconstruction » (1946-1972), éditions ouvrières, 1980.

CFDT, Pour un socialisme démocratique, contribution de la CFDT, Texte pour le débat avec la CGT, Epi, 1971. Avec des interviews de R. Bonéty, A. Détraz,  F.  Krumnow, J. Laot, E. Maire, R. Salanne. En annexe, le texte de la CGT.

CFDT, Les dégâts du progrès. Les travailleurs face au changement technique, collection Points, Seuil, 1977.

CFDT en lutte ! « De 1968 à 1998, l’avenir dsépend toujours de nous » Tous ensemble n°20, juin 1998 ; avec les témoignages de : Andrée Abrial, Jean-Claude Aparicio, Gilbert Declercq, Albert Détraz, Jean-Paul Halgand, Bernard Ravenel, Guy Robert.


[1]Le 35e congrès se tient en 1970. On remarquera qu’il suit celui de 1963 (le 32e), le 33e (en 1965)  et le 34e (en 1967) ; le congrès de 1964 consacré au changement de nom de l’organisation reste hors série, congrès extraordinaire avant et après lequel l’organisation continue.

Vous avez dit institutionnalisation?

Detraz 002 (2)Detraz 001 (2)Daniel Desme, ancien militant CFDT (responsable secteur santé) nous transmet ce document de 1963, tiré des Actes du Colloque sur l’Intégration européenne et le mouvement ouvrier tenu sous la houlette des Cahiers du Centre d’Etudes Socialistes. Il nous rappelle que le débat sur l’institutionnalisation du syndicalisme parcourait déjà les rangs syndicaux, à travers cette intervention d’Albert Detraz, CFTC à l’époque, puis dirigeant confédéral CFDT. Dans la CFTC, on débattait donc vivement de l’Europe des Six, et d’une vision « syndicale » du socialisme. 

(Pour lire, cliquez sur les textes afin de les grossir).