Vie syndicale

Bilan élections fonction publique : tentative de synthèse CGT

Concernant les résultats des élections dans la fonction publique de décembre 2014, nous avions déjà publié une analyse détaillée faite par Baptiste Talbot, sur la fonction publique territoriale. L’article ci-dessous est paru dans Fonction publique, publication de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires (UGFF) CGT (les articles ne sont pas signés dans cette publication). Il tente une synthèse plus générale, et sans faux fuyant sur les résultats (« un signal adressé par les électeurs« ),  sur les trois versants de la fonction publique : Etat, territoires, hôpitaux.

 

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Les résultats nationaux des élections générales dans la Fonction publique sont maintenant connus et le temps est venu des premiers bilans.
En se penchant sur les résultats globaux, outre les évolutions de l’abstention et des bulletins nuls déjà notées dans le dernier numéro de FP, quelques grandes tendances peuvent d’ores et déjà être relevées. Faute de place, nous n’aborderons ici que deux questions qui sont d’évidence posées par ces résultats : la représentativité syndicale et le score de la CGT.

  •  REPRÉSENTATIVITÉ SYNDICALE, DES CRITÈRES A REVOIR

Pour l’ensemble de la Fonction publique, les 3 confédérations CGT, CFDT et FO totalisent 61 % des voix (62% en 2011, 57,7% en 2008) soit 7,5 point de moins que dans le secteur privé. Si on ajoute les scores de l’UNSA (10,4%), de la FSU (7,9%) et de SOLIDAIRE (6,8%), 6 organisations syndicales cumulent plus de 86% des suffrages. Cependant, du fait du mode de composition du Conseil Commun, 3 organisations syndicales (CFTC, CGC, FAFP) dont le score avoisine les 3%, conservent leur représentativité. Seul le syndicat autonome des directeurs d’hôpitaux (moins de 0,3% en 2011) perd son siège au Conseil Commun. Dans le secteur privé, où le seuil de représentativité est fixé à 8%, il n’y a que 5 organisations (CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC) qui peuvent participer à des négociations au niveau national. Par ailleurs, le paysage syndical est nettement contrasté suivant les versants de la Fonction publique. A l’Hospitalière, les 3 grandes confédérations totalisent 80% et il ne reste que 5 organisations représentatives (CGT, CFDT, FO, SOLIDAIRE et l’UNSA). Dans la Territoriale, la situation est très comparable puisque ces 3 Confédérations totalisent 70% et qu’il y a également 5 organisations représentatives (CGT, CFDT, FO, UNSA et FAFP).
Dans la Fonction publique de l’Etat, les confédérations CGT, CFDT et FO cumulent moins de 45% de voix et 5 organisations (FO, FSU, UNSA, CFDT et CGT) se situent entre 13 et 17%. Avec SOLIDAIRE (9%) et la CGC (5,5%) il y a aujourd’hui 7 organisations syndicales représentatives dans la FPE puisque la CFTC perd son siège au CSFPE. Cependant, si on examine la situation dans le détail, on relève que seules la CFDT, la CGT et l’UNSA sont effectivement représentées dans la quasi-totalité des ministères. De plus, certaines organisations, dont le score est inférieur à 5%, ne doivent leur présence dans un CTM que par le truchement de listes communes à 2 ou 3 syndicats.
Si l’on constate ainsi que la loi de juillet 2010 n’a eu que des conséquences marginales sur la représentativité dans la Fonction publique, il n’y a pas lieu de s’en réjouir. L’émiettement syndical ne profite en rien aux agents et, dans le passé y compris récent, les autorités gouvernementales ont su habilement jouer des dissensions syndicales pour faire passer leurs projets. Ainsi, dans la dernière mandature, il n’a jamais été possible de réunir un vote « unanimement contre » des représentants du personnel au Conseil Commun alors même que les accords de Bercy obligent, dans ce cas de figure, le Gouvernement à organiser une nouvelle délibération.
D’évidence, il faut revoir les textes d’application des accords de Bercy pour réviser les critères permettant à une organisation syndicale d’être représentative dans la Fonction publique.

  • LE SCORE DE LA CGT : UN SIGNAL ADRESSE PAR LES ELECTEURS
  • Comme les observateurs l’ont souligné le fait marquant du scrutin du 4 décembre c’est le recul enregistré par la CGT dans pratiquement tous les secteurs.
    Si nous devons regarder lucidement ces résultats, il ne s’agit pas non plus de tomber dans le catastrophisme.
    Au niveau du Conseil commun, la CGT, avec 23,08% des voix et 8 sièges sur 30, demeure la première force syndicale dans la Fonction publique devant la CFDT (19,27% ; 6 sièges) et Force Ouvrière (18,59%, 6 sièges). Si la CGT recule de 2,36 points et perd un siège par rapport à 2011, elle obtient un score légèrement amélioré (+0,4) par rapport aux élections de 2008.
    Dans la FPT et la FPH, la CGT demeure première organisation syndicale largement devant ses suivantes. Dans la Fonction publique de l’Etat, la situation semble plus problématique puisqu’à 13,43%, la CGT rétrograde en 5ème position, notre recul étant de -2,4 point par rapport à 2011 et de -1,8 point par rapport à 2008.
    Toutefois, ces données brutes ne reflètent pas parfaitement l’évolution de notre audience. Sur les 6 dernières années le corps électoral de la FPE a été profondément modifié avec des suppressions massives d’emploi notamment à la Poste et France Télécom (-85000), la prise en compte nouvelle des agents de l’Enseignement privé sous contrat (141 000 électeurs) et une nouvelle vague de transferts (50 000) des agents d’exploitation du ministère de l’équipement vers les collectivités territoriales. Si on exclut ces trois secteurs des comparaisons, le score de la CGT est en baisse de 2,2 point par rapport à 2011 mais en progression de 1,4 point par rapport à 2008.
    Si recul il y a, ce n’est donc pas un effondrement de l’audience de la CGT parmi les agents de la Fonction publique.
    Ce revers constitue néanmoins un sévère avertissement qui nous est adressé par les électeurs et il conviendra de prendre le temps, dans toutes nos organisations, pour en analyser les causes qui sont sans doute plurielles.
    Si on écarte l’effet des « affaires Lepaon », en voie de règlement, il nous faut d’abord nous interroger sur notre capacité à être à l’écoute des salariés et sur les moyens que nous mettons en œuvre pour répondre à leurs revendications. Sur la dernière période la CGT, dans la Fonction publique, comme dans le reste du monde du travail, n’a pas su susciter des mobilisations d’un niveau suffisant pour faire barrage aux politiques d’austérité et pour imposer d’autre choix. Courant 2013 et 2014, les appels réitérés à des journées de grèves, dans des périmètres unitaires variables, n’ont pas été suivis massivement par les personnels ce qui nous questionne sur la lisibilité de notre stratégie et de nos modalités d’action.
    Ce constat, qui traduit notre difficulté à emporter la conviction des agents, nous force à réfléchir sur nos modes d’expression et de communication. Il nous interroge sur nos modes d’organisation et de fonctionnement ; à titre d’exemple, le score de la CGT dans les Directions Départementales Interministérielles (-0,4%, -7,3 point par rapport à 2011) montre que dans ce secteur notre outil syndical, éclaté entre 12 syndicats nationaux, n’est plus adapté aux réalités d’aujourd’hui. Plus profondément, se pose à nous la question des rapports entre syndicalisme et politique, singulièrement lorsque ce ne sont pas des partis de droite qui sont au pouvoir.
    Ce travail d’analyse, que nous devons mener dans les prochaines semaines et les prochains mois, doit nous permettre de redresser la barre pour, d’ici 4 ans, retrouver la confiance d’un maximum de nos collègues de travail.

Un bulletin syndical interprofessionnel vivant : l’UD CGT Haute Loire

Le bulletin de l’Union départementale CGT de Haute Loire (Solidaires) est chaque mois un modèle de vie syndicale concrète, avec des exemples d’actions, des arguments, des résultats, et de la fête aussi. Pas étonnant qu’elle soit une de celles qui (relativement à la taille du département) recrute le plus à la CGT! Ci-dessous le lien vers le numéro de février, et le lien vers un argumentaire sur la loi Macron. Ainsi qu’un article montrant une lutte gagnante contre le travail du dimanche.

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lien vers le bulletin : Février 2015

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E C H O  D E S  S Y N D I C A T S
Travail du dimanche, la lutte paye !
Suite à une réunion publique et répondant à l’appel de l’Union Départementale et du syndicat Commerce CGT 43, de nombreux salariés s’étaient donné rendez-vous sur la zone commerciale, devant le parking d’Intermarché Langeac, le dimanche 15 février, exprimant ainsi leur refus de se voir imposer le travail du dimanche. En effet, les directions de plusieurs grandes surfaces ont décidé de mettre en place le travail dominical, contre l’avis largement majoritaire des employés.
Le syndicat rappelle que cette mesure est économiquement absurde et socialement injuste. Le pouvoir d’achat des ménages n’étant pas extensible au nombre de jours d’ouvertures, le chiffre d’affaires ne ferait que se répartir autrement sur la semaine, sans pour autant augmenter.
Les conséquences sur la vie privée des salariés seraient graves. Le dimanche est bien souvent le seul jour de la semaine où ceux-ci peuvent se reposer, profiter pleinement de leurs proches ou se
consacrer à des activités culturelles, sportives, associatives.
Ce secteur d’activité connaît déjà une précarité et des conditions de travail difficiles, aussi nous ne saurions accepter aucun recul social.
Tolérer le travail du dimanche, c’est préparer une société où celui-ci serait généralisé à tous et toutes, encore au détriment des travailleurs.
La forte mobilisation des salariés a payé. En effet, les supermarchés Langeadois resteront fermés les dimanches. Une négociation s’engage concernant la période estivale et les jours fériés.
Jean-Yves DERIGON – Alain TALON

 

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CFDT : syndicat du commerce mis sous tutelle confédérale

Lu dans le Canard enchainé du 25 février : 4500 syndiqués CFDT du commerce de Paris mis sous tutelle confédérale, pour risque de mise en danger de l’application de la loi Macron sur les « zones touristiques internationales« . 

Cliquez pour avoir le fac-similé du journal : La CFDT au secours de la loi macron

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Le CLIC-P, une intersyndicale permanente

 Le Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris (CLIC-P) existe depuis 2010. Il comprend aujourd’hui la CGT, la CFDT, l’UNSA, et SUD.  Il a construit dans toutes ces années une activité commune solidement ancrée sur une convergence revendicative. Il a joué un rôle-clef dans l’argumentaire de dénonciation de la loi Macron du point de vue des salarié-es. Il a été au coeur d’un « collectif d’initiatives » mis en place à partir d’octobre 2014, comprenant la Confédération indépendante du commerce (les petits commerces de centre ville, soit 14 fédérations), l’Association Femmes-Egalité, le Front de gauche (sa commission Front des luttes), et élargi ensuite (UNEF, NPA, Mouvement des jeunes socialistes).

L’interview de Karl Ghazi, un des porte-parole du CLIC-P,  est reprise du mensuel Fonction publique, de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires (UGFF) CGT.

 

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LE COMMERCE, LABORATOIRE DE LA DEREGLEMENTATION

 

■ FONCTION PUBLIQUE : Karl, peux-tu te présenter et nous dire quelques mots au sujet du Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris ?
Je me suis engagé dans le syndicalisme dès mon premier emploi fixe, en devenant délégué syndical à la Fnac Bastille en 1991. J’ai été très vite engagé dans les batailles autour du temps de travail dans le commerce (nocturnes, dimanches, jours fériés, travail à temps partiel). Le Clic-P est né en février 2010 du constat que le patronat n’avait cessé de progresser dans la déréglementation du temps de travail et que le commerce lui servait de laboratoire, tant en raison de la faiblesse des syndicats dans ce secteur que de leur éclatement. Or, sur les questions revendicatives majeures (salaires, horaires, temps partiel) les 6 organisations parisiennes du commerce étaient d’accord. Nous avons décidé de travailler en intersyndicale. Cela a très bien fonctionné et durablement de surcroît (aujourd’hui, 4 organisations composent le Clic-p : CGT, CFDT, UNSA et SUD). L’intersyndicale s’est très vite fait connaître, à la fois pour les grèves et les manifestations qu’elle a organisées et pour les procès retentissants gagnés contre des ténors de la distribution (Sephora, Galeries Lafayette…). Le secret de notre longévité intersyndicale, c’est, au-delà de l’extrême loyauté dans nos rapports, une base revendicative commune claire et partagée et la conscience très forte que notre unité est une condition de la mobilisation des salariés. Cela, même si la CGT est très majoritaire dans le commerce parisien.

FONCTION PUBLIQUE : En lien avec les mobilisations initiées dans le commerce, comment vois-tu la construction des nécessaires rapports de forces dans le champ syndical et au-delà ?
La nature des attaques subies par le monde du travail nécessite d’organiser la mobilisation la plus large possible : ce n’est ni le commerce parisien, ni le commerce tout court, ni la CGT ni le mouvement syndical seuls qui pourront endiguer une offensive libérale-austéritaire qui tend à détruire les acquis sociaux et ramener le contrat de travail à un contrat de droit commun. Nous devons résister avec tous ceux qui sont prêts à lutter contre l’austérité et la vague libérale, dans le mouvement associatif ou parmi les organisations politiques, afin de créer les conditions de nouvelles conquêtes sociales. La priorité, aujourd’hui, est à l’inversion d’un rapport de forces fortement dégradé. L’exemple des luttes menées dans le commerce parisien est important car il contredit un discours très répandu sur les problèmes de mobilisation : voilà en effet un salariat précaire, pauvre, atomisé dans des collectifs de travail de plus en plus déstructurés qui parvient à se mobiliser et à gagner des luttes souvent offensives (300 € d’augmentation dans les hôtels Hyatt, 200 € dans les boutiques de la Tour Eiffel !). La taille de ces conflits ne peut, bien sûr, peser seule sur le rapport de forces général. Leur exemple peut, en revanche, redonner de l’espoir dans les capacités de lutte des salariés.

■ FONCTION PUBLIQUE : Comment comprendre les offensives patronales et gouvernementales sur le repos hebdomadaire dominical ?
En s’attaquant au repos dominical (et de la nuit !) dans le commerce, le Medef poursuit plusieurs objectifs. Le premier, immédiat, c’est d’aiguiser la concurrence en temps de crise pour tenter d’accélérer la déconfiture des « petits » opérateurs du commerce. Les commerces indépendants qui captent encore des parts de marché importantes dans les villes ne peuvent se permettre d’ouvrir 7 jours sur 7 sur des horaires élargis. Dans un marché en berne, il s’agit donc, pour les grandes enseignes de renouer avec une croissance de leur chiffre d’affaires en le piquant à la concurrence. Nous sommes bien loin du sacro-saint « intérêt du consommateur » ou de l’intérêt national supérieur de l’emploi, mais dans des calculs beaucoup plus prosaïques…
Mais, comme l’a annoncé Gattaz dès la rentrée, il s’agit aussi de parfaire le travail de destruction du code du travail, déjà bien avancé avec la loi du 14 juin 2013 (consécutive à l’ANI), plus particulièrement, sur un thème cher au MEDEF, celui du temps de travail, où il est question d’en finir avec toute réglementation. Le prendre par le biais de la déréglementation du repos dominical et du travail de nuit dans le commerce n’est pas le fait de l’opportunité du moment ou du hasard. Le commerce sert de laboratoire à la dérèglementation depuis les années quatre-vingt, en raison de la faiblesse de l’organisation des salariés : ce fut le cas pour le temps partiel, l’emploi massif des CDD, l’individualisation des salaires, les mesures individuelles de la performance… Les détricotages commencent souvent dans les secteurs sous-syndiqués des services et sont exportés ensuite dans les autres professions.
Par ailleurs, par un effet quasi mécanique, faire travailler les commerces sur des horaires atypiques va entraîner la déréglementation d’autres professions, en commençant, bien sûr, par les plus fragiles. Employés de la sécurité, du ménage qui devront travailler encore plus nombreux le dimanche et la nuit ; mais aussi dans les transports (livraisons, acheminement des « consommateurs »), dans les crèches (pour garder les enfants des salariés qui travaillent), les services postaux, les banques… Les « arguments » avancés s’auto-réaliseront : plus nous serons nombreux à travailler le dimanche, plus il sera simple d’expliquer que tout le monde doit travailler… tous les jours !
La question du repos dominical ou de la nuit ne se circonscrit donc pas à un face à face entre les salariés du commerce et leurs patrons : il s’agit bien d’une question qui touche à l’ensemble de l’organisation de la société : temps libre en commun, vie associative, vie politique (élections !). Les femmes, une fois de plus, seront les plus lésées : elles représentent près de 80 % des salariés du commerce. Quant aux enjeux écologiques, ils ne sont même pas effleurés : sommes-nous pour polluer massivement 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 ?
Le patronat (repris complaisamment par le gouvernement) a beau expliquer qu’il s’agit d’un contrat gagnant-gagnant, assorti de contreparties en salaires, il s’agit bien d’un marché de dupes. Car, d’une part, dans les professions où l’on considère le travail dominical comme « normal », il n’est assorti d’aucune contrepartie et d’autre part, l’on voit mal le Medef nous répéter que nous coûtons trop cher tous les jours de la semaine mais qu’il est prêt à doubler durablement nos salaires… le dimanche ! Quant aux annonces mirifiques sur les embauches (300 000 selon le Medef !) elles sont totalement farfelues, autant que les autres annonces faites par le passé, par exemple au moment de la baisse de la TVA dans les restaurants. Car les transferts d’activité de petits commerces indépendants vers de grands groupes où la productivité est plus forte, induira un solde d’emplois négatif et le remplacement de CDI à temps plein par du temps partiel. En Italie, la fédération (patronale) Confesercenti a chiffré à 90 000 les emplois déjà perdus dans le commerce depuis l’ouverture des magasins le dimanche, le 1er janvier 2012.
Étonnamment, les arguments que nous exposons sont les mêmes que ceux qu’exposait François Hollande entre 2008 et 2012. Que s’est-il passé depuis qui justifie un tel revirement ? La « découverte » de l’existence de touristes en France, en particulier à Paris, touristes qui ne viendraient que pour le « shopping » et qui quitteraient massivement Paris pour Londres le dimanche, parce que les magasins sont fermés. Or, d’une part, les touristes interrogés ne citent jamais le shopping comme première raison de leur venue en France ou à Paris (où 25 % des boutiques sont déjà ouvertes le dimanche, plus qu’à Londres !). Et les touristes chinois, visés par les déclarations tonitruantes de Laurent Fabius ne font jamais Paris et Londres dans un même voyage, car les visas ne sont pas les mêmes… Etrange méconnaissance du sujet de la part du ministre du Tourisme… et des Affaires étrangères.

■ FONCTION PUBLIQUE : En quoi le projet de loi Macron dépasse le seul enjeu du travail dominical ?
Le projet Macron ne touche pas qu’à la question du temps de travail : il veut aussi parachever le processus de dérèglementation du droit du travail, que ce soit en matière de licenciement économique, de Conseils des Prud’hommes, de défenseurs salariés… Il s’agit, pour décrire la cohérence globale du projet, de rendre l’accès à la justice le plus cher et le plus compliqué possible pour les salariés et de rendre leurs recours inopérants en matière de licenciements économiques. Adopté en l’état, le projet Macron serait, après la loi de juin 2013, une nouvelle revanche des patrons contre les victoires judiciaires des salariés en matière de licenciements économiques. On peut résumer la loi Macron comme une loi pour dérèglementer le temps de travail et sécuriser les licenciements.
En matière de licenciement économique, l’annulation par le juge de l’agrément donné au PSE par l’administration ne pourra plus donner lieu à une indemnisation du salarié par le Conseil des prud’hommes. Après avoir enferré le licenciement collectif dans des délais extrêmement brefs, réduit les voies de recours et fait porter le risque de la procédure sur l’administration (juin 2013), le projet Macron veut limiter l’obligation de reclassement et faire disparaître les derniers « risques » encourus par l’employeur. Car il est bien connu et démontré que c’est la tranquillité pour licencier (et non le carnet de commandes !) qui crée de l’emploi…

■ FONCTION PUBLIQUE : Quelles sont les principales propositions et revendications alternatives à ce projet de loi ?
Le projet de loi Macron va à l’inverse de ce qu’il conviendrait de faire, un peu comme la saignée du médecin de Molière achevait le malade. Il faut exiger le rétablissement de règles protectrices en matière de licenciement économique, même si elles resteront imparfaites. Tout le monde peut comprendre qu’un groupe qui fait des profits ne doit pas pouvoir licencier. Tout le monde peut comprendre qu’un salarié a déjà du mal à trouver un défenseur et que restreindre leur nombre ne fera qu’affaiblir encore le faible au profit du fort. Tout le monde peut comprendre qu’il ne sert à rien d’ouvrir l’accès aux magasins le dimanche si tout le monde travaille le dimanche. Tout le monde peut comprendre que les consommateurs ne dépenseront pas plus d’argent s’ils n’en ont pas plus même si les magasins sont ouverts le dimanche. Ce que nous devons revendiquer, contre la crise et pour l’emploi, ce sont des augmentations générales des salaires. Et l’on ne réduira pas significativement le chômage de masse sans une réduction massive du temps de travail. Tout le contraire de ce que fait Macron. Mais pour cela, il va falloir se battre ! 

Situation post 7, 9, 11 janvier et travail syndical : un exemple à la ville de Paris

Les journées de janvier 2015 ont bousculé les réflexions sur le lien entre droits sociaux et droits démocratiques, discriminations et vivre ensemble, ville et quartiers populaires, citoyenneté et signification concrète de la République.  Le syndicalisme est un des acteurs qui doit réfléchir à la nouvelle situation.  Ci-dessous un tract-document de réflexion et d’interpellation du syndicat CGT des cadres et techniciens qui travaillent dans ce qui est nommé « service politique de la ville », c’est-à-dire le ou les services en liens directs avec les populations.

Cliquez : tractpovilleparis ou : http://www.us-cgt.spp.org

 

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Suite aux attentats,
Premiers échos de la CGT
« Service Politique de la ville »
Pour plus de services publics et plus de droits
dans les quartiers populaires parisiens !

Après les attentats, les premières mesures :

Suite aux terribles attentats des 7, 8 et 9 janvier à Paris, la CGT a participé à l’ensemble des manifestations spontanées qui ont eu lieu en l’hommage des victimes. Malheureusement, on constate dans la foulée de cet élan de solidarité, que se développe ici ou là des regards souvent suspicieux envers les « quartiers populaires », « les jeunes »..
Travaillant en tant qu’agents de la ville dans les quartiers populaires, la CGT service politique de la ville souhaite alerter sur les risques d’amalgame et d’une stigmatisation déjà à l’oeuvre. La CGT se bat avant tout contre tous les racismes et pour la lutte contre toutes les discriminations.
Les premières mesures gouvernementales sont majoritairement axées sur la «sécurité et la réduction des libertés », ou sur des actions dites de «prévention précoce de la radicalisation» et de défense de la laïcité sans définir les termes.
Dans un flash interne à la Ville, la Mairie de Paris, annonce qu’elle va développer des actions de citoyenneté, de « vivre ensemble » … Pourquoi pas, mais malheureusement jamais la ville de Paris ne
l’acte par des budgets supplémentaires. Ce sera donc des budgets en substitution à d’autres par ailleurs nécessaires. Idem pour le nouveau volet du contrat de ville intitulé : « Valeurs de la république et citoyenneté » qui vient tout juste d’être décidé par la Ministre !

Actions citoyennes oui, mais couplées à une citoyenneté économique et sociale !

Dans le contexte actuel, en tant que professionnels, nous nous posont de nombreuses questions :
Comment clamer des valeurs de citoyenneté alors que de nombreux habitants sont régulièrement discriminés et n’ont pas accès aux droits élémentaires à l’emploi, à la santé, à un parcours éducatif égalitaire, au vote ? Comment ne pas devenir schizophrène quand d’un côté les travailleurs sociaux et associations ont de moins en moins de solutions à proposer dans l’accès aux droits aux habitant-es et notamment aux jeunes filles et garçons des quartiers populaires, et de l’autre on leur demande « d’exiger des publics » avec lesquels ils travaillent de respecter les « valeurs de la France » ? La réalité vécue est tout autre que la citoyenneté clamée tout à coup et à grands fracas !
La meilleure façon de faire vivre le «vivre ensemble», ne serait-ce pas comme le propose la CGT, une meilleure répartition des richesses, des droits effectifs, l’égalité et la solidarité, la lutte contre tous les racismes ?
Pour nous, les actions de citoyenneté réussiront d’autant mieux que des évolutions concrètes dans l’accès à la citoyenneté économique et sociale se réaliseront sans attendre.

Décryptage des propositions d’HIDALGO sur les quartiers populaires :

Dans ses voeux du 21 Janvier, Madame Anne Hidalgo a notamment exprimé :
1. Un appel au «volontariat des adultes». Elle entend ouvrir le samedi matin «les écoles, les collèges et les centres d’animation, notamment dans les quartiers populaires» pour que des bénévoles puissent offrir du soutien scolaire à des enfants ou pour que se tiennent des «forums citoyens » organisés par des associations.
Mais comment compte-elle faire alors que les associations sont au bord du gouffre ? Pour rappel, les pouvoirs publics imposent un plan d’austérité aux associations : selon le collectif des associations citoyennes, c’est 1,5 MDS de restrictions budgétaires en 2015 jusqu’à 13,5 en 2017 soit des disparitions d’associations et un vaste plan social (264 900 emplois menacés en 4 ans) !

2. Elle a également décrété une « mobilisation sans précédent » pour que les « entreprises, les artisans, les associations » aident les jeunes des familles les «plus précaires » à trouver un stage ou un emploi.
Mais comment compte-t-elle faire alors que les budgets de l’Etat vers l’action sociale se réduisent – application de la loi Maptam et du pacte de responsabilité ( soit 11 milliards d’économies dans les collectivités territoriales)- et que la ville de Paris mutualise des services en réduisant ainsi l’accès à un service public de proximité ? Dans son budget 2015, Madame la Maire propose un plan de refonte des dispositifs (Maison Des entreprises et de l’emploi, le PLIE, la Maison de l’Emploi de Paris, Mission Locale, Ecole de la 2ème chance..) intégrant des mesures innovantes (guichet unique de l’emploi)… !

3. Enfin, Madame la Maire souligne qu’elle investit dans les quartiers de manière prioritaire :
Mais comment compte-t-elle faire alors que la délégation chargée d’animer une politique locale sur les quartiers populaires (DPVI) a disparu ? Elle est devenue un simple bureau « mission politique de la ville » dans la direction de la démocratie des citoyens et des territoires. Elle est en souseffectif chronique, sans compter des postes vacants sur des durées allant jusqu’à 15 mois !
« Cerise sur le gâteau », depuis 3 mois, les Non titulaires en CDD de 3 ans, se voient raccourcir à 2n ans le renouvellement de leur CDD ! Les collègues en contrats aidés – sans lesquels le service ne pourrait pas fonctionner – ne sont pas remplacés dans les services administratifs et accueil ! Surcharge de travail, développement des risques psychosociaux, empechement du travail bien fait, sont autant de signes de souffrance au travail qui restent toujours sans réponse. Le service Politique de la ville est en train d’être démantelé silencieusement ! Quant aux rumeurs concernant une « mutualisation de locaux » engendrant notamment l’abandon du site 6, rue du département, elles se développent sans démenti.
Sans compter que les budgets sont les mêmes alors que les territoires s’agrandissent ! Il y aura donc davantage d’habitants concernés par la Politique de la ville en 2015 et des associations fragilisées ! Car quoi qu’en dise la ville qui est fière d’avoir « sanctuarisée» les financements sur les quartiers à Paris, il n’y aura pas d’effort supplémentaire pour les habitants des anciens et des nouveaux quartiers
populaires.
Alors que la crise s’aggrave, le contrat de ville présenté au conseil de Paris de Mars ne sera pas, une nouvelle fois à la hauteur des besoins. Quant à nous dire qu’il y aura un effort sans précédent du droit
commun de la ville de Paris ou de l‘Etat, comment le croire étant donné que le droit commun a toujours été une « illusion d’optique » de la Politique de la Ville et qu’aujourd’hui le droit commun est rabougri ? Comment par exemple, demander plus à la DASES alors que ses services réduisent leurs moyens ?

Est-ce avec ces injonctions paradoxales dans le travail quotidien que l’on arrivera à porter des services publics de qualité dans les quartiers populaires ?

On pourrait continuer à lister les incohérences actuelles comme :
Alors que les inégalités scolaires ne cessent de progresser, la géographie prioritaire est loin de prendre en compte tous les besoins des enfants des écoles ! …
Alors que l’on parle de l’accès au droit égalitaire, de sérieuses inquiétudes pèsent sur l’arrêt du subventionnement par l’Etat d’ici 1 an de l’apprentissage du français pour les immigrés de plus de 5 ans, y compris dans les ateliers socio linguistiques !
Alors qu’on déclare sans cesse la jeunesse comme une priorité, le CIDJ de Paris vit un plan social. La CGT a pourtant porté des propositions pour un meilleur service d’information auprès du ministère de la Ville, de la ville de Paris et de la région Île-de-France ! Aucune réponse positive à ce jour (signez la pétition en ligne : http://www.cyberacteurs.org/cyberactions/liste_sign.php?id=901) !

Est-ce avec ce double langage que l’on pourra reconstruire de l’espoir ?

Une mobilisation sans précédent dans les quartiers populaires ?Chiche !

Le milieu associatif/les travailleurs sociaux/les agents de la ville alertent depuis longtemps sur le manque de moyens pour réellement combattre les inégalités. Ils ne sont pas entendus et subissent des coupes budgétaires, des réductions de subventions. N’est-ce pas le moment pour réinvestir dans le social ?

Le gouvernement compte-t-il alors stopper son pacte de responsabilité et ses baisses rapides des dépenses publiques programmées ? Et la Ville de Paris, compte-t-elle geler son plan d’austérité qui impactera nécessairement les services public de proximité notamment ?
Pour la CGT, la première réponse serait de stopper ces politiques d’austérité.

NOS PREMIERES PROPOSITIONS

Tout en veillant à ne pas alimenter la stigmatisation des quartiers et de la politique de la ville alors que les problèmes sont les résultats de politiques globales et d’une absence de perspective en matière d’emploi, de logement, d’égalité, la CGT demande des moyens à la hauteur des besoins, dans les quartiers populaires pour :
-­‐ Les jeunesses, l’éducation populaire,
-­‐ D’autres emplois utiles socialement et stables pour lutter contre le chômage et la précarité
-­‐ Une lutte exemplaire contre les discriminations, une égalité de traitement contre tous les racismes et la prise en compte des réalités multiples de toutes les religions ou de l’athéisme de manière égalitaire
-­‐ Un accès efficient aux droits, avec un service public renforcé et de proximité, des services forts et réellement ambitieux, en commençant par des perspectives et de l’emploi dans les services Politique de la ville, Sociaux et Jeunesse …de la ville de Paris !
-­‐ Des conditions de travail sécurisantes et de qualité, la reconnaissance du travail des agents au contact d’une population en difficulté, notamment pour les services qui ont en charge des quartiers « politique de la ville » sur leur périmètre d’intervention.
-­‐ Une participation des habitant-es effective.

Et maintenant ?

Madame Colombe Brossel, élue en charge de la Politique de la ville a reçu de nombreuses associations suite aux événements tragiques de ce début d’année.
La CGT est disponible pour la rencontrer ou Madame Hidalgo afin de lui faire part de ses analyses et de ses propositions concrètes.
La CGT vous informera des suites et vous invite à la rejoindre pour porter d’autres services publics et des emplois, maintenant !
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Première interview de Philippe Martinez : idées nouvelles, nouvelle CGT ?

Dans l’interview qu’il donne à l’Humanité le 6 février 2015, le nouveau secrétaire général de la CGT revient bien sûr sur la crise récente de la direction CGT. Mais il veut surtout montrer que l’heure est à l’action et il propose deux idées qui peuvent trancher, si elles sont suivies d’effet, avec la routine : le retour de la réduction du temps de travail comme moyen de lutte contre le chômage, et une ouverture unitaire pour une action interprofessionnelle prochaine.

Philippe Martinez : « La priorité est d’aller voir les salariés, les syndiqués »

Entretien réalisé par Sébastien Crépel, Kareen Janselme et Clotilde Mathieu
Vendredi, 6 Février, 2015
L’Humanité
Élu mardi secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez explique, dans son premier entretien à la presse écrite, 
comment il entend permettre au syndicat de dépasser la crise qu’il a traversée en donnant la priorité à l’action sur le terrain.

François Hollande a annoncé jeudi qu’il entend « aller plus loin encore » dans la même politique après le pacte de responsabilité et la loi Macron, deux réformes que vous combattez. Pourtant, les mobilisations peinent à s’imposer. Le moment est-il propice pour réussir la journée d’action interprofessionnelle que vous souhaitez organiser ?

Philippe Martinez Manuel Valls avait donné le ton des intentions du gouvernement lors de son voyage en Chine, où il a vanté les mérites de la France tels qu’il les voit : affaiblissement du Code du travail, facilité de licenciement, etc. Il n’est donc pas surprenant que Hollande ait confirmé que son cap ne changerait pas. Mais peut-être est-il mal informé ou pas assez à l’écoute, car le climat social a évolué ces derniers mois, et notre proposition d’une journée de mobilisation tient compte de ce fait. De nombreuses luttes se développent sur les salaires, comme chez Thales, où toutes les organisations syndicales seront mobilisées, mardi prochain, ou encore chez les routiers. Les manifestations des cheminots et dans l’énergie témoignent aussi de ce frémissement. À partir de ce constat, nous estimons qu’il y a besoin de convergences public-privé, mais aussi entre organisations syndicales contre les politiques d’austérité du gouvernement. Notre campagne sur le coût du capital a aussi contribué à lever le doute dans l’esprit des salariés sur le fait que l’argent existe pour augmenter les salaires. Au niveau national, la confédération propose des initiatives qui permettent à tous ceux qui se battent dans leur entreprise de se retrouver.

Le gouvernement a aussi annoncé sa volonté de légiférer après l’échec de la négociation sur le dialogue social…

Philippe Martinez C’est la première fois depuis que François Hollande est président qu’aucun syndicat ne signe d’accord au bout d’une négociation. À cette occasion, deux problèmes ont été soulevés dans toutes les organisations syndicales : le premier concerne la forme des négociations. Aujourd’hui, c’est le patronat qui impose son timing et dirige de A à Z le rythme des négociations qui ont même lieu dans leurs locaux. Et c’est toujours le patronat qui propose un texte. Si l’on faisait l’inverse, peut-être que ce serait le Medef, et non les syndicats que l’on classerait dans le camp des contestataires ! Le second problème portait sur le fond des propositions : la création de conseils d’entreprises acterait la réduction du nombre d’élus du personnel, mais aussi des moyens des salariés de se défendre et de proposer des alternatives face aux restructurations. En France comme dans de nombreux pays d’Europe, la représentation syndicale assume le pouvoir de négociation. Le gouvernement a dit qu’il voulait légiférer, mais nous pensons qu’il ne peut pas faire une loi sur la base d’une négociation qui a échoué. Il faut qu’il entende nos propositions.

Vous avez évoqué la revendication de la CGT d’une nouvelle réduction du temps de travail. Ne craignez-vous pas d’apparaître à contre-courant du discours dominant ?

Philippe Martinez Si c’est le cas, nous en sommes fiers ! Partout en Europe, les syndicats posent la question d’une réduction massive du temps de travail. C’est un passage obligé pour que ceux qui ont un travail aient plus de temps pour vivre et pour que ceux qui n’en ont pas puissent trouver un emploi.

Vous insistez beaucoup sur l’importance de l’unité syndicale pour faire face au patronat et inverser le rapport de forces. Est-elle possible ?

Philippe Martinez On peut choisir de mettre en avant tout ce qui nous oppose : on est alors sûr de ne pas parvenir à des actions communes. Mais on peut aussi s’inspirer de ce qui se fait dans les entreprises où, malgré les désaccords et les tensions, des actions communes se mènent. Chez les routiers par exemple, ils ne sont pas entrés dans l’action tous ensemble, mais aujourd’hui tous les syndicats s’y retrouvent pour faire avancer dans le bon sens les négociations. Rien n’est impossible si on écoute les salariés. Ils connaissent nos désaccords, on met plus souvent ce qui nous oppose en avant que ce qui pourrait nous rassembler. Nous voulons œuvrer à des convergences. Le congrès de FO propose une journée d’action, nous aussi, nous allons leur proposer d’en discuter, tout comme nous allons faire la même démarche auprès de la CFDT.

N’avez-vous pas peur de ne pas être compris de vos syndiqués, au vu de la nature des accords signés avec le patronat par la CFDT ?

Philippe Martinez Cette question fait débat dans la CGT, je ne le nie pas. Quand un accord est signé par un syndicat parfois contre l’avis même des salariés, forcément cela pose problème. Je comprends ce mécontentement, je l’ai moi-même partagé à l’occasion d’accords chez Renault. Cela doit-il empêcher toute convergence à l’avenir, quand les salariés hésitent à se mobiliser, et nous demandent de nous mettre d’accord ? Choisir de ne pas discuter par principe ou par posture est à mon avis une erreur.

La crise qui a explosé il y a trois mois au sein de la CGT a soulevé de nombreux débats chez les syndiqués : démocratie interne, redéfinition du rôle des instances de la CGT, création de règles de vie transparentes et homogénéisées, perte d’efficacité syndicale, rapport au politique… Comment ces questions ont-elles été abordées lors du comité confédéral national (CCN) de mercredi ?

Philippe Martinez À partir de faits réels, la presse a parfois amplifié l’ampleur des dysfonctionnements constatés. Mais en effet, des choses anormales ont été faites, comme les factures des travaux dans un appartement qui ne nous appartient pas. Cela remet en cause des valeurs essentielles de la CGT, celles de milliers de militants qui, tous les jours, mouillent la chemise, sont discriminés, sont réprimés, sont bénévoles parce que les heures de mandats syndicaux ne sont pas élastiques. Cet engagement militant a été percuté par ces révélations. Nous avons besoin de faire la clarté, en essayant malgré l’impatience, de trouver la vérité. Même si, lorsqu’on a comparé ce qui s’est passé à la CGT avec certains salaires de patrons ou avec les parachutes dorés, c’est plus qu’excessif, c’est même à la limite de la déontologie pour les journalistes. Le lendemain des révélations dans le Canard enchaîné, j’ai passé sept heures chez Airbus à Toulouse. Les camarades étaient contents de me voir. Cela s’est bien passé. Nous avons pris des mesures pour obtenir de la transparence, des règles de vie, pour créer des processus de décision plus élargis. Le boulot est en cours, il est difficile. Car il n’y a pas que la confédération qui doit changer ses pratiques, il y a aussi les fédérations, sans toutefois tout uniformiser.

Qu’en est-il sur les autres points ?

Philippe Martinez Un premier bilan sur la mise en œuvre des résolutions de congrès a été dressé. Sur notre conception du syndicalisme, sur la conception des luttes, sur le syndicalisme rassemblé, nous sommes allés loin dans la discussion, plus loin que sur l’indépendance vis-à-vis du politique. Je vais prendre l’exemple de la Grèce. Pour la première fois depuis de nombreuses années, il y a un parti qui arrive au pouvoir pour rompre avec l’austérité et conduire une tout autre politique. Évidemment, nous regardons cela avec attention, mais il ne faut pas faire des raccourcis entre les situations politiques de la Grèce, de l’Espagne et de la France. Syriza, Podemos et le Front de gauche, ce n’est pas la même chose. Et ce qui marque le syndicalisme européen, c’est son manque d’indépendance vis-à-vis du politique. En Grèce, un syndicat a failli s’écrouler avec le Pasok. Tandis que l’autre organisation syndicale est très liée au Parti communiste grec (KKE). C’est donc plus compliqué qu’il n’y paraît. La CGT doit échanger avec les partis politiques, sauf un (le Front national – NDLR). Des partis avec lesquels nous pouvons nous retrouver, mais il ne faut pas que ce soit l’œuvre de quelques-uns ou de petits groupes. Au sein de la CGT, il y a des syndicalistes engagés politiquement – d’ailleurs de moins en moins, comme dans la société – et d’autres qui sont engagés dans les mouvements citoyens et associatifs, mais la majorité n’est engagée nulle part ailleurs. Personne ne doit décider à leur place. Ce n’est donc pas un sujet tabou, mais il faut en discuter et se mettre d’accord au sein de la CGT.

Comment comptez-vous associer les syndiqués à la préparation du prochain congrès de 2016 ?

Philippe Martinez Nous avons choisi une préparation extraordinaire du congrès, plutôt qu’un congrès extraordinaire. La première chose est d’aller voir les salariés, les syndiqués, pour savoir ce qui marche et ne marche pas dans le syndicat. Nous avons proposé qu’il y ait au moins 2 000 rencontres avec des syndicats qui correspondent à leur diversité dans la CGT. On veut rééquilibrer le temps passé avec les patrons ou les ministres avec celui passé auprès des syndiqués. Chaque fois qu’on va dans un syndicat, on se fait engueuler les cinq premières minutes et ensuite, on reste trois heures. Et les copains nous demandent de revenir ! Puis, ils veulent que nous visitions leur boîte : nous avons besoin de dirigeants qui aillent vérifier dans les boîtes comment se passe le travail. Je me battrai pour le faire. Certains disent que 2 000 visites, ce n’est pas assez. Mais ça changera déjà nos habitudes ! Et si on peut en faire 5 000, on en fera 5 000. J’ai déjà pris des rendez-vous. J’ai une petite expérience et en plus, j’aime ça !

Chaque nouveau secrétaire général parle de lancer une campagne de syndicalisation. Comment rendre la vôtre fructueuse et faire en sorte que la CGT soit à l’image du salariat d’aujourd’hui ?

Philippe Martinez Il faut faire un état des lieux très précis de l’implantation de la CGT, et de là où sont les salariés. Si on veut être efficace, il faut savoir où aller et à qui s’adresser. Après, il faut être partout. Il y a des déserts syndicaux connus : les privés d’emploi, les précaires et par principe toutes les nouvelles formes de salariat. Les boîtes d’intérim sont présentes dans les entreprises. Même si elles sont situées dans l’atelier ou dans les services, on passe devant et on ne s’y arrête pas. Il faut se déplacer dans les déserts syndicaux et dans les « petites oasis », ces entreprises où il n’y a que 100 syndiqués pour 15 000 salariés… Ça demande du volontarisme. On veut organiser une grande campagne de syndicalisation pour que tout le monde travaille en même temps et pour dire aux salariés qu’on a besoin de syndiqués. C’est vital. Ce n’est peut-être pas la première préoccupation pour d’autres. Ça dépend du type de syndicalisme que l’on porte. On peut avoir des syndicats sans adhérent. Ce n’est pas notre conception. Pour nous, le nombre de syndiqués est le garant de la démocratie interne et de notre représentativité.

Avec une composition du bureau confédéral comportant une surreprésentation du secteur public (8 membres sur 10), ne vous exposez-vous pas aux critiques ?

Philippe Martinez Ça ne me dérange pas de m’exposer ! Mais on prend la question sous le mauvais angle. Si on fait un état des lieux du salariat, ne trouve-t-on pas des milliers de salariés du privé dans une entreprise publique comme la SNCF ? EDF, qui est une entreprise publique et nous espérons bien qu’elle va le rester, ne fait-elle pas travailler des milliers de salariés du privé ? Quel est le statut des salariés d’Orange ? Public, privé ? On ne peut plus raisonner comme cela. Au bureau confédéral, chacun n’est pas rangé dans une case. Le bureau doit s’occuper de la CGT et de ce qu’elle veut faire à partir des réalités de tous.

Vous avez déclaré que le bureau confédéral allait impulser et proposer, sans avoir des membres spécialisés sur des dossiers. Est-ce un signe que le rôle de la confédération va changer ?

Philippe Martinez Ça ne fait que deux ans que je suis membre de la Commission exécutive confédérale. Et depuis, j’entends parler de dysfonctionnements. Soit on refait la même chose, soit on réfléchit, on écoute, et on se demande pourquoi ça ne marche pas. Quand on est accaparé par les dossiers, la notion d’organisation est moins visible et la notion d’équipe ne l’est plus du tout. Il faut une notion d’équipe, c’est important. On a toujours beaucoup demandé à la confédération. Il le faut, non seulement pour organiser une journée interprofessionnelle, mais aussi sur tous les sujets. Et en même temps, il faut donner à la confédération les moyens de les traiter. Il faut aussi moins d’étanchéité entre les organisations. Et s’adapter aux réalités de terrain. Que la confédération propose sans imposer et mette tout cela en musique.

Fonction publique territoriale : l’analyse des élections vue par la CGT

Nous remercions Baptiste Talbot, secrétaire général de la Fédération CGT des services publics (collectivités territoriales), la plus grosse fédération de la CGT, de nous communiquer l’analyse très détaillée des résultats électoraux des élections de décembre 2014 sur le secteur.

Nous publions aussi, dans la suite, l’analyse faite par Solidaires Fonction publique, sur les résultats des « trois versants » de la Fonction publique : Etat, territoriales, santé, ainsi que le communiqué de la FSU.

 

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Comité national fédéral des 27 et 28 janvier 2015
Rapport introductif au débat sur les élections professionnelles 2014
Baptiste Talbot

Mes cher-e-s camarades,
Nous sortons d’une campagne électorale qui nous a fortement mobilisés ces derniers mois et nous connaissons donc maintenant les résultats définitifs.
En premier lieu, je tiens, au nom de la direction fédérale, à saluer une nouvelle fois le travail réalisé par nos camarades, à tous les niveaux, pour construire le vote CGT et permettre à notre organisation, dans un contexte difficile, de rester la première organisation syndicale dans la Fonction publique territoriale.
Deux réalités coexistent : d’une part, le caractère massif du vote CGT dans la Fonction publique et notamment dans son versant territorial ; d’autre part, le recul sensible de notre organisation, davantage marqué dans notre versant. C’est autour de ces deux réalités qu’il me semble nécessaire que nous réfléchissions ensemble.
Première réalité donc : la force du vote CGT, un vote de masse
Certes, notre organisation recule de manière sensible, mais elle reste de loin la première organisation syndicale de la Fonction publique avec 23% des voix et 604 624 suffrages, devant la CFDT (19% et 504 804 voix) et FO (18% et 486 857 voix), l’UNSA (10,4% ; +1,1 point), la FSU (7,9% ; -0,3 point) et Solidaires (6,8% ; +0,3 point). La CFTC et la CGC recueillent respectivement 3,3% et 2,9% des voix.
Dans la Fonction publique de l’État, FO totalise 17% (+0,4 point), la FSU 15,6% (-0,3 point), l’UNSA 14,8% (+0,8 point), la CFDT 14% (-0,6 point) et la CGT 13,4% (-2,4 point). Solidaires et la CGC obtiennent respectivement 9% et 5,5% des voix.
Dans la Fonction publique hospitalière, la CGT obtient 31,7% des voix (-1,9 point), la CFDT 25% (+0,6) et FO 23,8% (+1). Solidaires perd 0,4 point à 8,5% et l’UNSA gagne 0,7 point à 5,0%.
Cette réalité de la force du vote CGT est encore plus marquée dans notre versant : la CGT recueille 29,53% des voix, la CFDT 22,33%, FO 17,71%. Avec 291 624 voix, les voix CGT dans la FPT représentent 48% du total des voix CGT dans la Fonction publique. Ils représentent par ailleurs 11% du total des voix recueillies par les organisations syndicales de la Fonction publique : la CGT dans la FPT est l’organisation syndicale qui dans son versant recueille le plus de suffrages dans l’ensemble de la Fonction publique (devant la CFDT dans la FPT avec 220 777 voix et FO dans la FPE avec 189 883 voix).
Encore une fois, rappelons que ces résultats ne sont pas tombés du ciel : ils sont le fruit du travail de nos syndicats, de nos militants, de nos syndiqués. Ils concrétisent le fait que malgré notre recul, la CGT reste de loin l’organisation syndicale de référence dans la FPT.
J’en viens maintenant à un examen plus précis des résultats qui va nous amener à la question de l’évolution de notre score.

Quelques éléments en premier lieu sur la participation et l’évolution du nombre d’inscrits
Le nombre d’inscrits a augmenté de 251 633 (+ 15%) et le nombre de votants de 61 629 (+6%).
La participation a été de 54,9%, en recul de 4,7 points. C’est dans la FPT que la participation reste la plus forte mais c’est aussi dans la FPT qu’elle recule le plus, situation particulièrement préoccupante qui renvoie à d’importantes questions quant à la citoyenneté dans notre pays et à la démocratie sur les lieux de travail.
A noter que dans tous les départements d’Ile-de-France, la participation est inférieure à 50%.
Le développement du vote par correspondance a fortement contribué au recul de la participation. Un seul exemple, celui de la Petite Couronne, où l’on votait à l’urne en CAP en 2008 et où l’on est donc passé au vote par correspondance :
-en 2008, en catégorie B, la participation était de 48%. Elle passe à 35%. Le vote CGT passe lui de 41% à 34%.
-en catégorie C, la participation passe de 48 à 24% et le score CGT de 47 à 41%.
-alors que le nombre de votants recule de 18 446 voix dont 16 826 en catégorie C, la CGT recule de 10 006 voix dont 8 823 en catégorie C.
Ces exemples démontrent le lien très fort entre mode de scrutin et niveau de participation. Ils confirment la justesse de notre bataille pour le vote à l’urne qui demeure le meilleur mode de scrutin, singulièrement dans la FPT. Rappelons qu’en mars 2014, à propos du projet du centre de gestion de la Petite Couronne de passer au vote par correspondance au motif d’économies budgétaires, la Fédération avait écrit à la Fédération nationale des centres de gestion que « le recours au seul vote par correspondance entraînera mécaniquement une forte baisse de la participation ». Une fois encore, la CGT n’a pas été écoutée et l’on mesure les dégâts commis.
Ces chiffres disent aussi la forte corrélation entre le niveau du vote CGT et la participation. Lorsque celle-ci baisse, c’est bien d’abord la CGT qui en pâtit avant tout.
Le vote blanc (4,8%) doit quant à lui nous interpeller sur le degré de reconnaissance des syndicats parmi les agents : pour un certain nombre, ils continuent d’accorder de l’importance à la démocratie sur le lieu de travail mais ne se reconnaissent plus dans les organisations syndicales.

Sur le niveau du vote CGT dans la FPT pour les comités techniques, un rappel historique :
1989 : 33,1%
1995 : 31,7%
2001 : 31,23%
2008 : 32,8%
S’agissant de 2014, nous sommes à 29,5%, soit un recul de 3,4 points par rapport à 2008. Nous avons recueilli les voix de 291 964 de nos collègues, soit 12 750 de moins qu’en 2014 (-4%).
Nous sommes en progression dans 25 départements et donc en recul dans les 70 autres.
A noter, en Lorraine et en Midi-Pyrénées, la majorité des départements sont en progression.
Alors qu’elle dépassait les 50% en CTP dans quatre départements en 2001 et dans 8 en 2008, la CGT est désormais le syndicat majoritaire dans seulement 4 départements (Ariège, Gers, Lot-et-Garonne, Haute-Loire). L’Ariège conserve d’une courte tête la palme du meilleur score national avec 56,94%, juste devant la Haute-Loire (56,77%).
Nous reculons de plus de cinq points dans 27 départements, dont 4 où nous reculons de plus de 10 points.
Un regard est indispensable sur le lien entre syndicalisation et résultats électoraux.
Notre nombre de syndiqués a augmenté de 8% depuis 2008, soit un rythme sensiblement inférieur à celui de l’évolution du nombre d’inscrits (+15%) mais supérieur à celui du nombre de votants (+6%).
Cela dit, un fait doit être relevé : en 2008, notre nombre de syndiqués sous-estimait la réalité de l’implantation CGT dans la FPT puisque des milliers d’agents de la FPT étaient alors encore syndiqués à l’UNSGPEN et à la FD de l’Equipement. Certains comme vous le savez sont toujours organisés au sein du SNPTRI.
Tous les départements dans lesquels nous progressons depuis 2008 sont des départements où nous avons augmenté notre nombre de syndiqués.
A l’inverse, et cela est parfaitement logique, nous reculons en audience électorale dans les 14 départements où nous avons moins de syndiqués en 2014 que nous n’en avions en 2008. La bataille de la syndicalisation n’est pas la seule réponse mais elle est une des réponses clés puisqu’elle est une des conditions de l’extension de notre influence dans les collectivités.
La CGT était première organisation dans 38 départements en 2001. Elle arrivait en tête dans 58 en 2008. Nous sommes premiers dans 52 départements en 2014. Malgré notre recul sensible et un score inférieur à celui de 2001, nous sommes donc premiers dans un nombre de départements supérieurs à celui de 2001 : cela confirme l’impact des nouvelles règles quant aux conditions de dépôt des listes, règles conduisant à la dispersion accrue du syndicalisme dans la FPT.
Concernant les villes gérées par l’extrême droite, 13 ont leur propre comité technique. La CGT a présenté une liste dans 10 de ces villes et réalise des scores encourageants : 21% au Pontet, 23% au Luc et à Béziers, 27% à Hénin-Beaumont, 31% à Cogolin, 33% à Villers-Cotterêts, 44% à Orange, 50% à Hayange, 69% à Beaucaire, 100% à Mantes-la-Ville. La CGT progresse de 3 points à Hayange, 8 points à Béziers, 17 points à Hénin-Beaumont et 26 points à Mantes-la-Ville.
Sur la totalité des 13 villes, la moyenne du score CGT est de 28,5%, 1 point en-dessous donc de notre moyenne nationale. A noter dans ces villes, une présence FO beaucoup plus forte (29%) qu’au niveau national (17%) ainsi qu’une surreprésentation du SAFPT (11% contre 1% au niveau national).
Deux autres résultats doivent retenir notre attention. A Amnéville, où la CGT avait été empêchée de se présenter par le maire de l’époque Jean Kiffer, la liste CGT réalise un score de 63% et engrange ainsi les fruits de la lutte menée ces dernières années. A Nilvange, où le syndicat CGT a été désaffilié en 2011 suite à l’affaire Engelmann, la CGT a pu présenter une liste et recueille 100% des voix, comme en 2008.
Les résultats en CAP sont à examiner de près.
Notons d’abord que la participation, 53,9%, est inférieure d’un point à celle des comités techniques. En 2008, c’était l’exact inverse (60% en CAP et 59% en CTP). Déjà important en comité technique, le recul de la participation est donc supérieur en CAP. La participation est plus forte en A (60%) et en B (57%) qu’en C (52%). Alors que le nombre d’inscrits a augmenté de plus de 130 000, le nombre d’exprimés baisse de 15 000. Cette réalité très préoccupante traduit le malaise grandissant des fonctionnaires territoriaux et questionne fortement leur lien aux organismes paritaires et à la Fonction publique de carrière. Le développement du vote par correspondance a également lourdement pesé dans cette évolution.
La CGT est la première organisation en CAP (28,8%) suivie de la CFDT (20,8%) et de FO (18,5%). Nous reculons de 4 points par rapport à 2008 (32,8%). Nous régressons donc davantage en CAP qu’en CT. Cela se retrouve sur l’évolution du nombre de voix : nous perdons deux fois plus de voix en CAP qu’en CT (33 000 voix en moins, contre 12 000 en CT).
Nous arrivons à 31,8% en C, 23,4% en B et 14,8% en A. Nous sommes premiers en C et deuxième en A et B, derrière la CFDT.
Parce que nous ne disposons pas de résultats officiels par catégorie pour 2008, les comparaisons sont difficiles. A partir des données partielles collectées par la Fédération en 2008, nous pouvons néanmoins estimer le recul à environ 3 points en A et B et à 5 points en C. Là encore, puisque la baisse de la participation est plus marquée en C, le lien entre recul de la participation et recul du vote CGT apparaît clair.
Le décalage entre notre score parmi les fonctionnaires et celui que nous réalisons au niveau des comités techniques doit nous amener à mieux prendre en compte les inquiétudes de nos collègues titulaires et à mieux travailler les questions revendicatives propres aux fonctionnaires.

Concernant les autres organisations, la CFDT est à 22,3% (+0,4 point), FO 17,7% (+0,3 point), l’UNSA 8,2% (+1,9 point) et la FA FPT 7,47% (+0,47%). SUD, avec 3,6% (+0,7 point), dépasse légèrement la CFTC (3,5% ; -1,2 point) et la FSU (3,3% ; +0,2 point). La FGAF est à 1,11% (SAPFT à 0,8% en 2008).
Les différentes organisations autonomes progressent de 2,6 points et représentent désormais 16,7%. Ce syndicalisme qui se revendique apolitique, ce qui est toujours une manière de faire de la politique, continue de progresser dans le versant territorial. Rappelons que les organisations autonomes avaient déjà amélioré leur score global de 3 points en 2008.
Autre enseignement : alors qu’elle colle à la politique gouvernementale, la CFDT parvient à améliorer légèrement son score et à gagner 15 000 voix.
La CFTC est durablement affaiblie dans la FPT et perd son siège au CSFPT et au CNFPT. La CGC, alors qu’elle progresse dans de nombreux secteurs, stagne en nombre de voix et en pourcentage.
Les équilibres au CSFPT n’évoluent pas de manière majeure. Nous conservons nos 7 sièges, ce qui confirme que les règles antérieures conduisaient bien à minorer notre représentation dans les organismes paritaires. Ni SUD ni la FSU n’entrent au CSFPT. La CFTC en sort, comme indiqué précédemment.
Concernant le Conseil commun de la Fonction publique, la CGT perd un siège et en conserve 8. Les grands équilibres sont maintenus et l’on doit surtout retenir qu’avec 30 sièges à pourvoir, hormis les organisations groupusculaires, toutes les OS conservent au moins un siège et donc la qualité d’organisation représentative permettant de participer aux négociations inter-versants.

Quelques pistes maintenant pour l’analyse des résultats à partir des débats de la CEF :

Notre recul apparaît lié à plusieurs facteurs :
– la montée de l’abstention (+4,5 points) d’abord fortement liée au développement du vote par correspondance et qui pénalise en particulier la CGT, notamment pour les instances des centres de gestion.
– les nouvelles règles issues des accords de Bercy en second lieu, qui conduisent à la présence d’un plus grand nombre d’organisations et à une dispersion accrue des votes. En 2008, la CGT demeurait la seule organisation dans un nombre non-négligeable de collectivités. Ce cas de figure s’est fortement raréfié.
– l’état de la bataille idéologique, dans laquelle le discours CGT s’inscrit à contre-courant de la propagande dominante déployée par le pouvoir politique et économique et ses relais médiatiques et syndicaux (c’est dans ce cadre que s’inscrit le récent battage autour des affaires internes à la CGT, qui, sans être le facteur majeur de nos reculs, a de toute évidence eu un effet amplificateur).
– les conséquences des municipales et la poussée de la droite et de l’extrême droite, ainsi que l’hostilité assumée à notre égard de nombreux exécutifs socialistes, situation qui se traduit en particulier par des pratiques patronales favorisant ouvertement des organisations réformistes.
– nos difficultés en termes de vie syndicale avec de fortes carences de vie démocratique dans de trop nombreuses structures, se traduisant souvent par des conflits internes qui entraînent une déperdition d’énergie syndicale au détriment de notre activité. Dans le même ordre d’idée, nous devons être très vigilants sur nos difficultés à mener dans des délais efficaces les nécessaires transformations de nos outils syndicaux en fonction des évolutions des périmètres de collectivité. Dans la même veine, relevons des carences dans la circulation des informations (diffusion de la Lettre du jour aux syndicats, remontée des résultats, etc…), situation dont il nous faut tirer les leçons.
– la nécessité absolue de développer un outil syndical de proximité, notre recul étant d’autant plus important lorsque l’électeur ne dispose pas d’un outil CGT proche de lui. Notre recul sensible dans les instances des centres de gestion est à examiner sous cet angle. Sur un échantillon de 64 CDG, la CGT recule de 7 points entre 2008 et 2014, soit le double de ce que nous perdons nationalement. Cette tendance remet en lumière l’enjeu du nécessaire lien régulier entre l’agent et l’organisation syndicale CGT. Cela doit nous conduire à poursuivre la mise en œuvre de la décision 12 du 10ème congrès fédéral sur l’organisation des syndiqués individuel-le-s.
– un discours et un revendicatif CGT qui doivent mieux relier notre critique de la politique actuelle avec le vécu des agents de la FPT et leurs préoccupations quotidiennes. Ces dernières années, nous avons sans doute eu un discours perçu comme juste par beaucoup mais trop général, trop politique, pas assez connecté à la réalité immédiate de la vie au travail de nos collègues.
-enfin sont venues dans les débats des critiques portant sur des tendances trop répandues à une forme de professionnalisation, de fonctionnarisation, de bureaucratisation, de notre syndicalisme. De trop nombreux militants, bien souvent en responsabilité depuis de longues années mais pas forcément, perdent de vue ce qui constitue le cœur de notre conception du syndicalisme, à savoir l’organisation démocratique des travailleurs pour mener les luttes permettant de faire aboutir leurs revendications.

Des points positifs sont également à retenir :
-de belles progressions CGT au plan local, qui méritent d’être attentivement examinées car elles sont d’autant plus riches en enseignements dans un contexte global de repli. Je vous livre quelques exemples : la CGT devient première organisation à Toulouse, première historique dans ce qui a été longtemps un fief de FO ; la CGT réalisé un score de 75% à Longwy (54) où le syndicat a été créé en juin dernier ; la CGT progresse de plus de 3 points au CG 69, de 7 points au conseil régional de Haute-Normandie ; elle passe de 22 à 45% au conseil général des Yvelines…
-un matériel CGT a priori apprécié, mais nous avons besoin sur ce point d’avoir vos retours à partir du questionnaire fédéral
-un travail croisé avec l’interpro qui a porté ses fruits là où il a été mené
Ces premiers éléments devront être affinés à partir des bilans départementaux réalisés par chaque CSD et par les syndicats. Notre débat d’aujourd’hui va nous permettre de travailler en ce sens.
D’ores et déjà, la question de notre qualité de vie syndicale et, en lien, celle de la formation de nos militants et syndiqués ressortent comme des priorités fortes pour les années à venir. Elles devront être traitées avec ambition lors de notre 11ème congrès fédéral. De même, l’enjeu d’un travail syndical mené prioritairement au plus près des agents est identifié comme un axe déterminant. Il est devenu décisif de savoir cantonner à ce qu’il doit être le temps consacré à notre fonctionnement interne et aux discussions au sein des organismes divers et variés mis en place par nos employeurs.
Parce que nous restons largement première organisation et parce que nous connaissons un recul net, il est certain que nos résultats doivent à la fois nous conforter quant aux fondamentaux de notre démarche et nous amener à engager de nécessaires évolutions. Les prochaines élections se tiendront en 2018. Il est impératif qu’elles conduisent à une progression de la CGT. Cela passera par notre capacité à bousculer nos habitudes, à savoir nous remettre en cause à chaque niveau du local au national, pour être toujours plus à l’offensive sur le terrain de la syndicalisation et des luttes revendicatives.

 

 

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Avec 6,8% (6,6 en 2011) Solidaires Fonction Publique renforce sa présence dans les trois versants. Les chiffres annoncés sont soumis à évolution en raison des annonces non consolidées du versant de l’hospitalière.

Notre organisation se renforce à l’État et à la territoriale malgré une légère baisse à l’hospitalière.

Avec plus de 10 000 voix par rapport à 2011, nous obtenons trois sièges au conseil commun (2 en 2012) !

Une constatation tout d’abord : 52,8% des agents ont participé à ce scrutin historique dans la mesure ou les trois versants votaient le même jour. Ce chiffre de « trop peu » doit nous interroger.

Les difficultés et anomalies, liées aux votes électroniques dans quelques ministères, ne sauraient expliquer à elles seules, ce désintérêt d’une partie des personnels de la fonction publique.

Nos organisations directement concernées par ces dysfonctionnements, ont d’ores et déjà engagé des recours ! Solidaires FP se félicite de son maintien qui valide un syndicalisme de lutte et de proximité.

Nous avons fortement progressé dans nos bastions habituels. Nous apparaissons dans des secteurs où nous étions absents précédemment.

Nos marges de progression restent grandes, notre implantation doit se poursuivre y compris dans des secteurs où nous n’apparaissons pas encore (défense, affaires étrangères). Solidaires produira prochainement une analyse plus détaillée de ces élections après échanges avec l’ensemble nos syndicats qui ont participé, dans leur secteur, à ce scrutin. Pour l’heure, au moment où s’ouvre un nouveau mandat de 4 ans, Solidaires FP s’engage à porter les revendications des agents confrontés à une dégradation des conditions de travail, une baisse réelle du pouvoir d’achat et à la poursuite des suppressions d’emplois.

Les réformes de l’Etat, des territoires, la revue des missions et les négociations PPCR sont autant de thèmes qui méritent de notre part une vigilance de tous les instants.

Nul doute que nous devrons dans l’unité la plus large construire les conditions nécessaires de mobilisation pour contrer de tels projets qui ne vont pas dans l’intérêt des services publics, de la fonction publique et de ses agents.

La confirmation de notre représentativité nous confère la responsabilité de peser pour créer cette dynamique.

 

  • Elections Fonction publique : messages reçus ! Force incontournable, la FSU tirera avec les personnels les enseignements de ces élections (mardi 09 décembre 2014) siteon0
 

Pour la première fois, près de 5 millions de personnels des trois fonctions publiques étaient appelés, le 4 décembre dernier, à élire leurs représentants dans les instances locales et nationales.

La FSU reste la deuxième organisation syndicale de la Fonction publique de l’Etat.

Malgré une baisse du nombre de voix obtenues dans certains secteurs, la FSU confirme largement sa première place à l’Éducation nationale, tout en prenant acte de sa baisse de 5 points, et à l’Agriculture. Elle reste également bien implantée dans d’autres ministères comme à la justice et progresse même à la Culture, à la Caisse des dépôts et consignation ou encore à l’AEFE.

Le taux global de participation est en baisse par rapport à 2011. Ce taux est bien trop faible. Car au final c’est seulement un électeur sur 2 qui a voté !

La FSU remercie les dizaines de milliers d’électrices et électeurs qui lui ont accordé et renouvelé leur confiance à la Fonction publique de l’État comme à celle de la territoriale. Elle salue également toutes les équipes militantes qui se sont dépensées sans compter, notamment pour assurer, dans des conditions parfois difficiles, un taux de participation significatif pour ces scrutins.

A l’heure des bilans, des constats s’imposent. Le contexte économique et social n’invite pas à la confiance et l’espoir en l’avenir et donc n’incite pas les personnels à participer à des élections. Par ailleurs, les modalités de vote (qu’il soit « papier » ou électronique) restent à perfectionner comme la nécessité d’un engagement plus déterminé de l’administration à tous les niveaux.

La FSU engage dès à présent une réflexion sur les signaux qu’envoient les résultats de ces élections. Cela doit interroger le mouvement syndical, la manière dont il arrive ou non à faire partager ses orientations, et les pratiques syndicales qu’il met en œuvre.

Au-delà des seules organisations syndicales, ces résultats devraient aussi interroger le gouvernement. La FSU regrette qu’il n’ait pas suffisamment fait de ces élections professionnelles un grand rendez-vous social pour notre pays. Cela aurait certainement contribué à une plus forte participation. Par ailleurs, en ne répondant pas aux attentes des agents de la Fonction publique, notamment en ce qui concerne les salaires et l’emploi public, il ne les encourage pas à donner corps au dialogue social.

La FSU continuera avec force, avec tous les personnels, à porter la nécessité des évolutions urgentes à mettre en œuvre pour la Fonction publique et à construire les mobilisations indispensables afin d’obtenir des réponses favorables aux exigences et aux besoins de ses agents.

Après le CCN de février : une autre CGT ?

Voici la déclaration issue du Comité confédéral national des 2 et 3 février.

 

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Communiqué du Comité confédéral national

Mercredi 4 février 2015

Le Comité confédéral national de la CGT (CCN), réuni les 3 et 4 février 2015, a élu un nouveau Bureau confédéral, une Administratrice, Colette DUYNSLAEGER, et le Secrétaire général Philippe MARTINEZ, recueillant tous une très forte majorité.

Les dernières actions menées, telles que les manifestations contre le projet de loi Macron, la mobilisation des cheminots, des salariés de l’Energie, ainsi que le conflit des routiers, ont démontré la capacité des salariés à se mobiliser avec une CGT visible sur le terrain des revendications.

De même, les mobilisations syndicales en Espagne, en Belgique et en Italie, comme le résultat des élections en Grèce, sont porteurs d’espoir pour de nombreux citoyens, en créant une fissure dans le paysage européen monocorde, ultralibéral et austéritaire. La CGT souhaite que cette victoire électorale se traduise par des avancées et de nouveaux droits pour les salariés grecs. Le 18 février 2015 sera l’occasion pour la CGT de s’inscrire dans l’action de la Confédération syndicale internationale pour la préservation du droit de grève.

Le CCN a décidé d’une préparation exceptionnelle, au plus près des syndiqués, de son 51ème congrès qui se tiendra au printemps 2016. Ainsi, la CGT a décidé de partir des préoccupations et des aspirations des salariés et des propositions des syndicats sur le terrain, afin de construire un syndicalisme aux contours du salariat d’aujourd’hui, un syndicalisme qui articule démocratie syndicale et démocratie sociale, contestation et propositions.

Pour ce faire, le CCN décide d’aller à la rencontre de ses syndicats sur l’ensemble du territoire et l’ensemble des champs professionnels. La campagne « coût du capital » sera un point d’appui.

Il a aussi décidé d’amplifier sa campagne de syndicalisation en direction des salariés, là où la CGT existe, comme là où elle est absente ; une campagne qui s’adresse à tous, actifs comme retraités, privés d’emploi et précaires, travailleurs migrants, ingénieurs et cadres, jeunes et femmes. Le 8 mars sera l’occasion pour la CGT d’affirmer ses revendications en faveur de la reconnaissance de la place des femmes dans la société et pour l’égalité professionnelle et salariale. En effet ces dernières sont les premières impactées par les politiques d’austérité.

Dans le cadre du processus de lutte engagé confédéralement, la CGT porte toutes les initiatives en cours, et à venir, décidées par les organisations et décide d’une journée nationale interprofessionnelle et intergénérationnelle de mobilisation et d’arrêts de travail. Pour y parvenir, elle travaillera à créer les conditions de l’unité syndicale la plus large afin de redonner espoir aux salariés en proposant des alternatives aux politiques d’austérité en agissant pour une autre répartition des richesses créées par le travail.

La CGT réaffirme sa combativité et sa disponibilité pour agir avec les salariés contre la stratégie du patronat et la politique du gouvernement : pour l’augmentation des salaires et des pensions, pour l’emploi durable, pour l’amélioration des conditions de travail, pour des services publics de qualité et un haut niveau de protection sociale.

Montreuil, le 4 février 2015

Entre deux CCN : prospectives sur la CGT

Liens : http://www.regards.fr, onglet « société »

et : http://www.ensemble-fdg.org, onglet « luttes sociales » 

 

 

La CGT joue son devenir… et pas seulement le sien

Secouée par la contestation de son secrétaire général, la CGT connaît une crise qui dépasse cette affaire. Roger Martelli analyse ses enjeux, à la lumière de l’histoire de la centrale et du syndicalisme… et de leur avenir.

Tout le monde sait que la CGT est dans la tourmente. Les dépenses de son secrétaire général ont déclenché la crise (lire « À quoi rêve Thierry Lepaon ? »). Elles n’en sont pas la cause. Que deux des prédécesseurs de Thierry Lepaon (Georges Séguy et Louis Viannet) aient rompu le traditionnel devoir de réserve des anciens pour demander le départ de l’actuel secrétaire de la CGT en dit long sur la gravité de l’enjeu. En fait, ce n’est rien moins que l’avenir d’une CGT déjà affaiblie qui se trouve en question.

La galaxie s’est défaite

Le syndicalisme français présente une double originalité dans le paysage syndical européen [1]. D’une part, il est dominé depuis le début du XXe siècle par la volonté d’une indépendance affirmé du syndicat par rapport au parti politique. La France n’a connu ni le modèle travailliste anglais (subordination du parti au syndicat) ni le modèle social-démocrate allemand (subordination du syndicat au parti). À la limite, le seul moment où s’est opérée une symbiose du syndicalisme et du politique s’est vu à l’époque où la CGT a été englobée de fait – mais non de droit – dans la galaxie communiste, de la Libération aux années 1990. La seconde originalité tient à ce que le courant réformiste de type nord-européen est resté longtemps minoritaire dans le syndicalisme français.

Pendant quelques décennies, la CGT a ainsi incarné un syndicalisme marqué par une triple caractéristique : majoritaire dans le monde du travail (ce qu’attestent les élections professionnelles de l’après-guerre) ; marqué très à gauche par le poids d’un communisme politique lui-même oscillant entre 20 et 25 % des suffrages jusqu’aux années 1970 ; exprimant la synthèse originale d’un syndicalisme à la fois « de classe et de masse », pour reprendre la terminologie officielle longtemps employée.

Or cet équilibre est définitivement rompu, sur fond de désagrégation générale des structures du « mouvement ouvrier ». Les vingt dernières années sont marquées par un quadruple phénomène : l’évolution des formes de la conflictualité, concomitante des transformations du travail et de celles du salariat ; l’affaiblissement structurel général du syndicalisme (phénomène largement européen) ; le recul de la CGT (en adhérents et en voix) et le rééquilibrage du mouvement syndical ; la désagrégation des liens entre la CGT et le PCF, lui-même en déclin continu. La force du communisme français tenait à ce que le parti était au cœur d’une galaxie incluant le syndicalisme, des associations actives et un réseau municipal élargi. La « galaxie » s’est défaite. Le syndicalisme incarné par la CGT en est à la fois plus libre… et plus solitaire. La CGT résiste mieux que le PCF ; elle n’en est pas moins affectée par la rétraction. Sa place sociale est réelle ; elle est toutefois en jeu.

Le syndicalisme français confédéral est plus diversifié que jamais. Le dilemme du premier des syndicats français est de ce fait difficile. Il a pu être en partie occulté, entre 2007 et 2012, au temps du libéralisme sécuritaire et arrogant de Nicolas Sarkozy. Il revient en force quand la gauche, même droitisée, accède aux responsabilités (lire l’interview de Sophie Béroud). Où en est-on aujourd’hui ? Force ouvrière incarne une voie particulière, combinant le pragmatisme d’une organisation qui a fait longtemps de la négociation sa marque de fabrique et la radicalité quasi corporative d’un discours centré sur la défense intransigeante des statuts anciens. Depuis son « recentrage » amorcé à la fin des années 1970, la CFDT a pris la place, naguère occupée par FO, d’un syndicat de compromis, à la recherche de consensus entre patronat et monde du travail, soucieux de « modernisation » et de « fluidité », tout autant que de protection du salariat. Quant à la radicalité historique du monde syndical, elle est reprise – outre l’existence du syndicalisme anarchiste de la CNT – par la mouvance originale de Sud-Solidaires, ouvertement inspirée de la pente syndicaliste révolutionnaire de la Charte d’Amiens.

La combativité et l’utilité

Et la CGT ? Elle incarne de façon forte la combativité et souvent la colère. Pas une manifestation revendicative, pas une action d’entreprise sans l’omniprésence du sigle CGT. Mais la combativité, même sur le plan syndical ne suffit pas à définir l’utilité, qui se situe toujours du côté de la capacité concrète à améliorer les choses. Quand la tendance historique était à l’homogénéisation de la classe et à la concertation salariale, quand elle était à l’expansion du « mouvement ouvrier », cette capacité était relativement facile à délimiter. Elle l’est beaucoup moins quand le temps est à la désindustrialisation, à l’éclatement des statuts et à la dispersion géographique.

La CGT sait, par tradition, que le dynamisme syndical tient à la largeur du spectre que l’on peut mobiliser. Elle sait donc qu’une faiblesse du mouvement syndical français tient à son éparpillement. Elle énonce à partir de là l’exigence de ce qu’elle appelle un « syndicalisme rassemblé ». En cela, elle ne rompt pas avec la tradition ancienne d’une CGT à la fois très identifiée par ses référents « de classe » et capable de rassembler le monde du travail très au-delà de ses frontières mentales et doctrinales. Mais cette CGT agissait dans un environnement où la culture d’une certaine « radicalité » et en tout cas l’univers mental de la « transformation sociale » étaient largement majoritaires à gauche et dans l’espace salarial, ancien et nouveau.

Par ailleurs, la CGT a expérimenté les limites d’un syndicalisme plus prompt à dire « non » qu’à énoncer des propositions. La propension contestataire suffisait peut-être à définir une identité positive dans une phase de croissance économique et d’État-providence : l’affirmation pure d’un rapport des forces permettait en effet des transferts significatifs de richesse, de la production et des services vers le monde du salariat. Le bras de fer devient moins efficace dans un système de matrice avant tout financière, où la redistribution générale se tarit en même temps que la sphère publique se rétrécit. Alors le problème politique de la régulation globale et du « système » prend une place de plus en plus déterminante.

La CGT, elle, incarne de façon forte la combativité et souvent la colère. Pas une manifestation revendicative, pas une action d’entreprise sans l’omniprésence du sigle CGT. Mais, même sur le plan syndical, la combativité ne suffit pas à définir l’utilité, qui se situe toujours du côté de la capacité concrète à améliorer les choses. Quand la tendance historique était à l’homogénéisation de la classe et à la concertation salariale, quand elle était à l’expansion du « mouvement ouvrier », cette capacité était relativement facile à délimiter. Elle l’est beaucoup moins quand le temps est à la désindustrialisation, à l’éclatement des statuts et à la dispersion géographique.

Trois séries de problèmes et de défis

Réunis à nouveau ce mardi 6 janvier, les 56 membres de la Commission exécutive nationale de la CGT feront un pas de plus dans la résolution de la crise, avant une nouvelle réunion du « Parlement » de la confédération, le Comité confédéral national, une semaine plus tard. Le sort du secrétaire général ne devrait donc pas être leur seul sujet d’inquiétude. En fait, ils sont confrontés à un entrelacement de problèmes et de défis, qui portent sur la structure même du syndicalisme et sur sa position dans l’espace sociopolitique français et européen.

1. Militants et responsables se sont convaincus depuis une bonne décennie que la vieille structure duale de la CGT (la verticalité des fédérations de métier et l’horizontalité territoriale de l’interprofessionnel) ne correspondait plus à l’organisation contemporaine du travail (à la fois « mondialisé » et parcellisé), aux formes décentralisées de confrontation-négociation et aux modes plus généraux de la sociabilité populaire. Au bout du compte, la CGT a cessé de représenter la totalité du monde du travail, et notamment les travailleurs précaires, les PME, les entreprises de sous-traitance et même le secteur privé en général. Mais si le constat est à peu près bien établi et partagé dans l’organisation, les conséquences pratiques ont du mal à être mises en place et évaluées en retour. Cette situation crée une difficulté de lisibilité pour la confédération tout entière et elle accroît le risque de tensions entre corporations ou même de conflits de personnes, au détriment de la dynamique d’ensemble du syndicat.

2. Le rapport global à la société est l’autre champ qui reste à éclaircir. La CGT, on l’a vu, s’est historiquement inscrite dans une logique originale de « radicalité » par rapport au système global. Cette radicalité n’a certes jamais existé sans l’équilibre d’un solide « sens du réel », n’ignorant jamais l’exigence d’efficacité et donc la nécessité d’avancées partielles, tant au plan de l’entreprise qu’à celui de l’État. Mais cet équilibre était d’autant plus concevable et reproductible que les mécanismes de « l’État-providence » autorisaient des plages de redistribution.

Or l’évolution du capitalisme depuis plus de trois décennies et, plus encore, l’existence d’une crise systémique redéfinissent la donne en profondeur. Il devient plus que jamais nécessaire, sauf à accepter la logique du capital financier mondialisé, d’articuler chaque lutte concrète, défensive ou offensive, à une action concertée sur le « système » lui-même, à des échelles de territoire de plus en plus interpénétrées (du local de l’entreprise jusqu’au niveau continental voire planétaire).

Mais dès lors le syndicalisme se trouve placé devant une contradiction incontournable. D’un côté il ne peut parvenir à des résultats, partiels ou globaux, que sur la base d’une logique de rassemblement ; il doit donc vouloir être un « syndicalisme rassemblé ». D’un autre côté, il est travaillé lui aussi par la polarité entre une culture revendicative plutôt portée vers l’intégration dans le système (sur le modèle nord-européen) et une autre culture qui, sans négliger les compromis immédiats, est plus attentive à la nécessité de réformes structurelles capables d’installer durablement une autre figure du travail, de sa dignité et de sa reconnaissance. D’une façon ou d’une autre, aujourd’hui comme hier, dans l’espace des relations de travail comme dans celui de l’action politique, le poids respectif des deux « cultures » pèse sur l’évolution générale. Que la tradition critique, tant syndicale que politique ou associative l’emporte sur une logique d’accommodement ne peut être sans importance notable pour une tradition syndicale comme celle de la CGT.

3. Reste alors à avancer sur un troisième grand chantier, qui est celui du rapport entre syndicalisme et vie politique. En fait, il s’agit plus largement de l’enjeu démocratique. Qu’il le veuille ou non, le syndicat pâtit aujourd’hui d’une crise générale de toute institution. Toutes les sociétés dites « modernes » (les sociétés « bourgeoises-capitalistes ») se sont construites sur la séparation du « social » et du « politique ». Au début du XXe siècle, il en est résulté un partage des tâches : les syndicats et les associations se sont vu attribuer la gestion du « social », tandis que les partis disposaient du monopole de gestion du politique.

Quel projet de société partagé ?

Or le développement contemporain voit les frontières se faire plus floues, entre public et privé, entre économique, social, politique, culturel et même éthique. Si la spécificité de chaque type d’organisation ne disparaît pas (le syndicat n’est ni le parti ni l’association), le monopole de leur fonction perd de son caractère absolu. Les vieilles formules (le syndicat énonce les demandes ; l’État et les partis la traitent dans l’espace public) ne suffisent plus aujourd’hui. Face à la loi de la marchandise, la finalité du développement sobre des capacités humaines doit se redéfinir et s’imposer.

Or il n’existe à ce jour que trois modèles d’articulation du social et du politique, le modèle travailliste et le modèle social-démocrate évoqué plus haut, et celui du « syndicalisme révolutionnaire », pour lequel le syndicat incarne l’ensemble des fonctions nécessaires à la promotion du monde du travail. Il se trouve que ces trois modèles sont entrés en obsolescence, plus ou moins forte, plus ou moins rapide.

Il n’y a donc pas d’alternative sérieuse à l’expérimentation de nouvelles formes d’articulation entre le social et le politique avec une double contrainte : respecter la spécificité des pratiques et des sensibilités et créer les conditions d’émergence d’un projet de société partagé, capable d’unifier les fragments dispersés du « peuple » et de refonder la dignité du monde du travail. Incontestablement, la redéfinition d’un tel projet ne relève pas de la seule responsabilité syndicale. Mais peut-elle se passer de la contribution volontaire d’un syndicalisme puissant, indépendant, mais associé au grand œuvre à part entière ? Le syndicat peut-il se contenter de déléguer à d’autres la mise en forme, la traduction et la mise en œuvre d’un projet de cette envergure ?

S’il se laissait aller à entériner la coupure du social et du politique, fût-ce au nom d’un passé de subordination (pour la CGT), l’indépendance du syndicalisme resterait illusoire, dans un monde où les maîtres mots restent ceux de la concurrence et de la gouvernance. Le contraire de la subordination ne peut être la séparation… Pour l’instant, le troisième terme n’est pas parvenu à prendre forme.

Notes

[1] Ce texte reprend, de façon raccourcie et mise à jour, une analyse déjà publiée en mars 2014.

 

 

 

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* Alice Dubost- CGT : crise de direction… ou crise stratégique ?

On pourrait rapprocher la crise de la CGT de celle qui frappe toutes les organisations politiques ou ouvrières devant une crise économique qui perdure et la crise stratégique qui se pose. La particularité est cependant que les syndicats ont pendant longtemps été les organisations auxquelles les salariés et la population faisaient le plus confiance pour les défendre. L’échec de la grève de 2010 contre l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite a marqué durablement le mouvement ouvrier. Maintenant, c’est sur la direction des syndicats, et singulièrement le premier d’entre eux, que beaucoup s’interrogent.

Les révélations successives sur le coût d’aménagement du logement ou des bureaux de Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT depuis mars 2013, puis sur l’indemnité « de promotion » de 31000 euros (somme reconnue par le principal intéressé), enfin sur les manœuvres mises en œuvre pour ne pas être forcé de démissionner, mettent au jour un mode de fonctionnement opaque, peu démocratique, d’une partie de la direction de la CGT coupée des réalités du monde du travail.

Mais la démission de Thierry Lepaon – ou sa révocation qui devrait être en débat lors du CCN du 13 janvier s’il n’a pas démissionné d’ici là – ne suffira pas à faire taire la critique. Car de plus en plus de voix, de la base au sommet de la CGT, s’élèvent pour relier cette crise de direction à l’échec, voire à l’absence de politique face à l’offensive libérale. Les positions défendues au fil des négociations heurtent plus d’un militant, telle la remise en cause des seuils sociaux (la délégation de la CGT a proposé que dans les entreprises de moins de 50 salariés, les élections se fassent « à la demande de deux salariés », ce qui restreindrait les droits actuels).

L’amertume est d’autant plus grande que l’attente envers la CGT reste forte. Sur de nombreux sujets, les salariés se mobilisent, et ils sollicitent le soutien de la confédération : depuis les luttes des chômeurs (manifestation du 6 décembre) jusqu’au travail du dimanche, la confédération n’est pas assez à la hauteur des grands enjeux actuels. Ainsi, la fédération certaines structures soulignent que la réforme territoriale et le développement du syndicalisme des privés d’emploi et des précaires sont des sujets à traiter en urgence.

Trois dimensions se dégagent pour permettre le débat.

La transparence d’abord sur le fonctionnement de la direction d’un syndicat est une exigence portée par la totalité des syndicats s’exprimant. Mais la moralisation de la vie publique, si elle répond à un besoin largement exprimé (ne serait-ce que pour contrer le « Tous pourris » si répandu), ne saurait suffire.

Les interventions des instances réclament donc de plus en plus un autre fonctionnement démocratique de la confédération : comment a été débattue la proposition de refondation de la représentativité syndicale (avec l’émiettement syndical qu’elle a produit et la fragilisation d’équipes syndicales, y compris CGT) ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’instances réunies pour soutenir les piquets de grève devant les raffineries en 2010, dont la dynamique permettait une poursuite au conflit sur les retraites ? Certaines prises de position collectives de structures CGT ouvrent à une telle discussion, comme par exemple celle qui explique : « La direction confédérale de notre CGT est aussi confrontée à une crise de ses modalités collectives de fonctionnement et de son efficacité. Refusant et rejetant toute polémique stérile sur les personnes, [le bureau] propose que ce Comité Confédéral National examine les conditions de la mise en œuvre d’une direction collégiale de la CGT. »

Enfin, la discussion stratégique doit être menée largement. Nous ne pouvons ignorer les difficultés aujourd’hui à répondre à la crise économique et à l’offensive libérale. Mais raison de plus pour engager un grand débat sur la riposte à mener. Les mouvements menés par un seul syndicat, et sans coordination, ne peuvent répondre. Il faut donc rassembler, fédérer, combattre. Comme le propose une autre fédération, il faut reconsidérer la «  stratégie revendicative confédérée face à un délitement des actions interprofessionnelles dans un contexte où nos militantes et nos militants doutent de la capacité de la CGT à rendre victorieuses nos luttes sociales. » De même, d’autres encore, metent en avant l’exigence d’« Analyser nos capacités de mobilisation, l’impulsion confédérale et débattre de la stratégie CGT ».

La question de la stratégie unitaire est très fortement posée au sujet des trois journées interprofessionnelles de la CGT en 2014 : aucune n’a fait l’objet de propositions réellement unitaires et toutes ont été marquées par des échecs. La dernière, le 16 octobre, portait sur un thème qui aurait pu être rassembleur (le budget de la Sécurité sociale).

Revient aussi la question d’un vrai projet syndical à même de répondre à l’éclatement du salariat entre entreprises donneuses d’ordre et sous-traitantes, entre grandes et petites entreprises, entre salariés précaires et stables, y compris dans la fonction publique.

Signalons quelques expériences unitaires qui, au-delà de l’engagement quotidien des militants sur le terrain, montrent que le syndicalisme porte sans cesse du renouveau.

  • A Paris, un comité de liaison Interprofessionnel du commerce (CLIP) rassemble les syndicats parisiens du commerce depuis 2010. La manifestation contre le travail du dimanche du 14 novembre (plus de 2000 manifestants) a été la plus grosse manifestation de salariés du commerce à Paris depuis longtemps. Une assemblée populaire unitaire, rassemblant partis politiques, syndicats, contre le travail du dimanche a eu lieu le 4 décembre 2014. Même une partie du PS commence à s’interroger sur cette remise en cause du dimanche chômé.
  • Contre l’extrême droite, une action unitaire rassemble CGT, Solidaires, FSU, UNEF et associations. Ceux-ci continuent à élaborer des analyses et à maintenir le cap de la dénonciation des prétentions sociales du FN dans les entreprises et la société.
  • La Fondation Copernic a été à l’origine d’un Observatoire de la répression et de la discrimination syndicale, auquel participent CGT, CFTC, FO, FSU, Solidaires, SAF, SM et de nombreux chercheurs, et qui vient de publier son rapport annuel.
  • Enfin, citons l’exemple des journées intersyndicales femmes, coorganisées par CGT, Solidaires et FSU qui chaque année rassemblent des centaines de participant-e-s.

C’est le décalage entre ce syndicalisme vivant, de terrain, unitaire, et une confédération sans capacité d’initiative efficace dans les mobilisations et face à l’ampleur de la crise sociale et politique, Une autre structure CGT « demande qu’on en revienne aux décisions du dernier congrès confédéral afin que soit mise en œuvre une ligne d’action syndicale claire et offensive face aux attaques permanentes du patronat et du gouvernement Valls contre les acquis sociaux, mais aussi contre les plans d’austérité prônés par l’Union européenne ».

L’engagement de la CGT pour défendre tous les acquis ouvriers est fondamental. Sa volonté se vérifiera à travers les mobilisations unitaires qu’elle saura bâtir. Sa capacité à s’ouvrir sur des mouvements sociaux est vitale.

 

 

Au moment où face à la loi Macron et face au nième cahier revendicatif du Medef, il aurait fallu une CGT combattive et rassembleuse au-delà de ses rangs, l’affaire Lepaon accélère sa crise, brise sa capacité à agir et symbolise dans la caricature la fin de toute une époque.

L’article d’Alice Dubost mis en ligne récemment sur cette crise (« CGT : crise de direction… ou crise stratégique ? ») rassemble quelques points de diagnostic pertinents à commencer par l’absence d’orientation et par ce qu’elle appelle une « crise de stratégie ». Mais cela me semble un peu court pour saisir le point de non-retour que constitue la singulière simultanéité de faits aussi disparates que l’offensive réactionnaire du patronat, la crise sociale, le pourrissement de la direction confédérale, la loi Macron et bien d’autres encore. Il y des moments comme celui-ci où une crise de direction s’inscrit de manière « cohérente » dans le faisceau d’évènements plus amples. Bien plus qu’un symbole, le révélateur d’une histoire qui se referme peu à peu.

La prise de parole de militants CGT en direction de leurs camarades pour en quelque sorte relancer la machine et ne pas désespérer les rangs est centrale. Il faut aussi politiquement – à l’extérieur du syndicat – poser un pronostic pour définir une orientation, une tactique, des axes de travail.  On ne peut se contenter en tant que courant politique, comme le fait Alice dont je comprends pourtant le propos et l’objectif, boucler le raisonnement sur une vaine espérance, sur la « volonté (de la CGT)… à travers les mobilisations unitaires qu’elle saura bâtir (et) Sa capacité à s’ouvrir sur des mouvements sociaux est vitale ». On aimerait bien mais hélas…

Trop de retard, trop d’échecs

Comme toutes les organisations du mouvement ouvrier, la CGT est dépourvue de réponses cohérentes, crédibles, mobilisatrices, contre un système économique profondément modifié depuis trente ans par la mondialisation financière. Sans doute en paye-t-elle plus le prix que d’autres en raison de son implantation sociale. Ce n’est pas seulement la détérioration des rapports de forces sociaux dès les années 70/80 qui a ouvert la porte aux politiques libérales. C’est pour beaucoup aussi la transformation progressive des mécanismes économiques, financiers et sociaux qui ont réduit la portée revendicative des organisations syndicales dans leur ensemble. La crise syndicale (qui n’est pas que française !) est une  crise d’efficacité face à une évolution structurelle du capitalisme et à la montée de la précarité. De 1980 à  2012, le taux de syndicalisation est tombé de 18% à 8%. 16,7 % des fonctionnaires sont syndiqués, 6,5% des titulaires d’un CDI à temps complet, 5,8% des CDI à temps partiel, 3% des titulaires d’un CDD et… 0,9% des intérimaires.

Mais la CGT n’en finit plus de payer aussi les dégâts de son passé. Vingt-cinq ans après l’écroulement du stalinisme et prise de distance entre l’appareil de la centrale et celui du PCF, ce passé n’a pas disparu de la mémoire collective de beaucoup de salariés : une CGT se pensant comme seule véritable représentante de la classe ouvrière, sectaire et arrogante, exagérément ouvriériste, parfois nullement exemplaire dans la gestion des fonds gérés par les comités d’entreprise (sans être pourtant la seule à ce petit jeu). Encore aujourd’hui des secteurs de la CGT maintiennent cette triste tradition. L’anticommunisme primaire qui règne par ailleurs au sein du salariat fait le reste.

Pour ces raisons mais aussi à cause d’une vision sociale désuète, la CGT a été très peu efficace dans la syndicalisation des couches de plus en plus massives de techniciens et cadres d’exécution. Cette distanciation, commencée dès les années 70, s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui facilitant le renforcement de la CFDT. A moins de croire que dans leur majorité les syndiqués cfdtistes sont de fieffés petits bourgeois à la périphérie de la vraie classe ouvrière, cette situation est lourde de conséquences dans de nombreux secteurs où la division syndicale se lit comme une division sociologique ou catégorielle. D’autant plus que la désindustrialisation rogne la base cgtiste dans beaucoup de secteurs. C’est notamment le cas dans les grands groupes qui rationalisent leurs sites en France et réduisent ainsi la part des ouvriers dans leur effectif global.

Certaines élections professionnelles récentes montrent cette relation entre érosion du vote CGT et érosion du 1er collège (la même chose pouvant se produire pour Solidaires). Ici ou là, la CGT a perdu sa place de première organisation syndicale au risque d’être parfois marginalisée par le front uni des autres organisations, avec le goût amer d’une séparation catégorielle. Certes, la période n’est pas à la radicalisation de tous les secteurs du salariat, mais le problème n’est pas nouveau et remonte aux années 60 et 70 sur fond d’ouvriérisme et d’un discours « CGT =  ouvriers = luttes de classe », qui fut souvent un vernis bureaucratique pour justifier un sectarisme et une incapacité à unifier le salariat. Dans la métallurgie les cadres et techniciens sont presque aussi nombreux que les ouvriers et les employés. Dans les Télécommunications ils représentent 72%, dans la Chimie 64% des effectifs, tout comme dans la Banque et les Assurances, dans les Sociétés d’études et de services 69%, dans le Sanitaire et Social 41%. Tous ces secteurs réunis représentent 37% des salariés du privé (année 2010), une paille ! Il ne s’agit pas de fétichiser ces chiffres et d’en rester là, bien sûr. On sait que la division sociologique du salariat est un problème profond. Mais tout de même… pourquoi la CGT n’a pas été capable de s’implanter un peu plus substantiellement dans ces couches massifiées au cours des 40 dernières années ? Et quelles conséquences sur l’état de la confédération aujourd’hui ? La crise vient donc bien de loin !

Or, le problème est que pour les militants de la CGT les plus critiques, ainsi que pour de nombreux militants politiques de gauche, la CGT c’est la classe ouvrière ! Son cœur, son centre, sa frange la plus consciente… peu importe les nuances. Comme si la disparition de toute opposition dans la CFDT ou les limites de Solidaires, pour ne prendre que ces deux cas, réglaient définitivement la question du « sujet syndical ». Il n’en est rien.

Fractionnement de l’appareil

Bien sûr, la CGT n’échappe pas à la crise globale du mouvement ouvrier et au lent déclin des structures de représentation aussi bien syndicales que politiques qui ont été celles du XXème siècle. Mais sa crise est spécifique. Alors que l’appareil CFDT a accentué sa centralisation autoritaire, s’est fabriqué un déguisement de « syndicalisme de proposition » et se vend au patronat, la CGT s’est fragmentée autour notamment d’intérêts fédéraux. L’inadéquation du périmètre de certaines fédérations avec l’évolution objective de certains métiers et branches est l’expression du conservatisme et des résistances des appareils intermédiaires. L’affaiblissement global de la CGT et de ses ressources a exacerbé les réflexes de défense des petits appareils fédéraux et départementaux (UD). Mais sauvegarder ses moyens militants et administratifs peut mener à d’étranges compromissions.

Les « à côtés » de la nomination de Thierry Lepaon, pour peu qu’ils relèvent effectivement d’une position de pouvoir, ne peuvent exister au sein d’un appareil bureaucratique sans retour d’ascenseur. La réciprocité hiérarchique est pour ainsi dire une loi pour toutes les formes de bureaucratie.  La promiscuité y étant généralement trop grande pour que ce que l’un obtient dans sa fonction ne soit pas (en partie) accordé aux ayants-droit les plus proches.

Mais si « le poisson pourrit par la tête » comme dit le proverbe chinois, qu’en est-il du « corps » ? Dans un passé lointain la bureaucratie CGT tenait par ses liens rigoureux avec l’appareil du PCF. En 1977, la centrale annonce 2,3 millions d’adhérents, le plus haut niveau depuis les années 50. A partir de là, l’érosion commence sur fond d’échec du « Programme commun », de dénonciation de Solidarnosc en Pologne et du passage du PCF au gouvernement Mauroy. Le bâtiment de Montreuil inauguré en 1982 coûte fort cher. Il renvoie à l’optimisme du moment et aux « Chateaux en Espagne » auxquels pouvait rêver la bureaucratie. Aujourd’hui, la péréquation de ces coûts au niveau des fédérations qui occupent une partie du bâtiment est douloureuse. La baisse des cotisations, combinée aux frais de structures, réduit les moyens affectés aux petits appareils fédéraux. Les ressources manquent pour faire son boulot mais les solutions pour s’en sortir ne sont pas toujours d’une grande exemplarité. Dans certaines branches, où dominent de très grands groupes à la politique sociale parfois paternaliste, il n’est pas impossible de négocier quelques gestes altruistes tant au niveau fédéral qu’au niveau de l’entreprise. Bien sûr toutes les autres organisations syndicales font de même aujourd’hui et sans doute en pire (à qui allaient les fonds de l’UIMM ?). Mais venant de structures CGTistes le malaise est d’autant plus grand, ce  qui « limite » par ailleurs la parole de certaines fédérations contre Thierry Lapaon.  Ici ou là, à des niveaux fédéraux ou au cœur de grandes firmes, sous des formes diverses, beaucoup les strates de l’appareil finalement se « débrouillent ».

Et puis il y a les divisions au sein même des fédérations sur des questions pas forcément très politiques mais qui usent profondément la capacité de réflexion collective et d’intervention, surtout quand la direction confédérale s’en mêle. La CGT n’a pas non plus montré une fantastique capacité à intégrer des forces organisées venant de la CFDT et quelques tensions internes sont encore interprétées sous l’angle de la « pièce rapportée ».

Une force de résistance affaiblie et divisée

Certains articles de presse ont été jusqu’à parler d’ambiance de scission. C’est ne pas bien comprendre les mécanismes bureaucratiques. L’appareil innerve la structure de haut en bas et ne se réduit pas aux étages supérieurs. Pour en arriver à une scission, il faudrait que s’opposent clairement et longuement des projets antagoniques et clairement exprimées. Or, à quelques exceptions près, il n’est pas possible d’identifier des desseins clairs émanant de fédérations importantes. Alice a raison d’insister sur ce point et d’écrire « Revient aussi la question d’un vrai projet syndical à même de répondre à l’éclatement du salariat entre entreprises donneuses d’ordre et sous-traitantes, entre grandes et petites entreprises, entre salariés précaires et stables, y compris dans la fonction publique ». Une scission ne serait possible que si une grande fédération historique prenait la tête d’un contreprojet et qu’elle n’ait d’autres moyens que de cliver la confédération sur ses propositions. On en est très loin. Et nous savons par ailleurs qu’une scission dans un contexte de recul général des luttes a peu de chance de marquer le point de départ d’une plus vaste recomposition.

Le déficit programmatique et revendicatif se nourrit comme toujours de la faiblesse des expériences de terrain, du maigre rajeunissement des cadres et de l’absence d’un bilan sans entrave sur certaines luttes et formes de lutte. D’un côté l’absence de grandes luttes refondatrices, de l’autre un appareil qui limite d’autant plus le débat d’idées que lui-même en est en partie dépourvu. A cela s’ajoutent les pressions du gouvernement et du parti socialiste, la question du débouché électoral (mais lequel ? le Front de gauche ?) et une conception de l’unité syndicale polarisé par le poids de la CFDT dans les négociations sociales. La réflexion parcellaire de militants dispersés dans les fédérations et les Unions départementales ne permet pas de surmonter cette situation. D’autant que l’ouvrage est d’une complexité sans nom en l’absence d’une parole confédérale claire et intelligente.

Comment sortir de la pure propagande et des axes de campagnes « miracles » (la campagne sur le « coût du capital », celle sur la défense de l’industrie française…) et retrouver le sens d’une pratique revendicative dans les entreprise qui s’adresse à tous les salariés sans les cliver « catégoriellement » et qui soit crédible ? On sait que la syndicalisation dépend pour beaucoup de la démonstration par les succès remportés aussi petits soient-ils. Il ne faut donc pas s’étonner du nombre d’accords signés par la CGT dans les entreprises y compris dans la cadre de plans sociaux. Les équipes locales savent que « faire son boulot » passe aussi par accepter que le verre soit à moitié plein sur un accord d’intéressement, une revendication salariale ou un nombre d’emplois supprimés. Ne pas signer n’importe quoi mais tout de même gagner un peu. Si cela ne fait pas une stratégie (puisse-t-il y avoir une « stratégie » syndicale ?) cela ne nécessite pas non plus un savoir-faire syndical remarquable. A chaque lutte dans chacun des secteurs et des entreprises, en fonction d’un certain rapport de force et dans un contexte de dispersion syndicale spécifique il faut savoir œuvrer avec discernement et trouver les bonnes modalités tactiques. Pas facile quand les plus anciens prennent leur retraite et que les plus jeunes se font rares et apprennent encore.

Il faut aussi compter sur le désespoir de ceux et celles qui perçoivent la fin d’une époque au cœur de leurs métiers : délocalisations irréversibles, reclassements déqualifiants,  fermetures d’entreprise et dépôts de bilan, chômage en vue. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant d’observer des comportements CGTistes très divers, parfois opportunistes ici ou ultra gauches ailleurs. Certaines fédérations connaissent ce genre de distensions internes. On le retrouve en partie dans les débats nationaux. Alors que Lepaon est souvent crédité d’une ligne trop conciliante, les tentations existent d’une réponse symétrique, solitaire et gesticulatoire menant aussi à de graves défaites. Entre les deux, rien n’est simple non plus entre différentes fédérations ou parties de fédérations.

Simple rénovation syndicale ou bouleversement ?

Le « redressement » de la CGT est-il encore possible ? Du moins le redressement tel que nous pouvons le rêver : revendicatif, unitaire, démocratique, débarrassé de sa bureaucratie et polarisant le salariat ? Pour cela il faudrait un événement politique d’une telle ampleur que toute la représentation sociale en serait de toute manière bouleversée. Hormis cette hypothèse, la CGT risque fort de continuer à se fragmenter.

Dans l’attente douloureuse de l’événement social majeur, il est très important qu’en interne les militants les plus clairvoyants fassent « comme si » le redressement était envisageable. D’autant que le patriotisme d’organisation y est très fort. Mais la réflexion politique ne peut s’arrêter là, parce qu’au bout du compte il ne s’agira jamais d’un redressement en soi de la seule CGT.

La crise n’est pas une simple crise d’orientation et encore moins une crise de direction faisant suite à la succession malheureuse de Bernard Thibault. Elle tient d’abord au décalage mortel entre la trop lente révision des analyses du passé (révision inégale au sein de la confédération) et la profondeur des transformations socio-économiques depuis trente ans. Toute la bonne volonté du monde ne permettra pas de remonter ce handicap au sein d’une organisation sclérosée et bureaucratisée. En tant que courant politique, en rester au seul niveau de la CGT c’est se contenter d’une ligne de défense perdue d’avance.

S’il ne faut pas s’aventurer à anticiper la forme d’une recomposition syndicale à dix ou quinze ans, il faut tout de même y penser en termes de processus. Aujourd’hui,  rien ne justifie que le nombre de militants politiques de gauche syndiqués à la CFDT ou à FO soient aussi insignifiant. Bien sûr, les rangs de la CGT se positionnent majoritairement à gauche et partagent grosso modo les mêmes analyses que nous sur l’offensive patronale et la politique du gouvernement. Incontestablement cela constitue un point d’appui important. Mais, isolée du reste de la question syndicale, cette voie est hasardeuse. Nous condamnons les forfaitures de la direction de la CFDT mais nous ne nous adressons jamais à ses militants. A l’inverse, nous faisons parfois grand bruit sur certaines luttes sans dire un mot du comportement ultra sectaire de certaines franges de la CGT comme à Goodyear Nord (Amiens) et nous ne disons pas un mot sur le bilan de ces comportements. Or, pour peu que nous nous positionnions sans excès dans la perspective d’un big bang social (comme nous le faisons d’ores et déjà du côté de la représentation politique soit dit en passant !), alors le champ de notre intervention ne peut se réduire à ce que nous ressentons comme une « gauche syndicale ». Car, les organisations syndicales pas plus que les organisations politiques n’échapperont à ce big bang, toutes confondues le jour où cela s’engagera.  Déjà aujourd’hui dans certaines entreprises ou certains secteurs la séparation entre une certaine CGT et Solidaires est incompréhensible aux yeux de salariés et mériterait bien plus que des tracs communs épisodiques.

Je ne crois ni au redressement vertueux de la CGT, ni au redressement d’une quelconque autre confédération. Il nous faut avoir un point de vue politique sur ces questions et non plus simplement endogène au syndicat. Je suis convaincu, comme tout le monde, que le travail de conviction, de résistance, de proposition doit se poursuivre au sein de la CGT de manière prioritaire. Grand bien nous ferait que demain, à partir d’une lutte ou d’un  événement social, un courant naisse dans cette confédération pour porter un projet syndical rénové et unificateur.  Mais ne nous replions pas sur ce seul champ d’espérance (serait-il élargi à la FSU et à Solidaires). Il faut pouvoir travailler sur plusieurs niveaux – hiérarchisés – et s’interroger sur notre le caractère par trop « borgne » de notre approche du syndicalisme depuis près de 20 ans bientôt.

Il faut commencer à expliquer que le syndicalisme de demain n’aura pas le visage d’aujourd’hui, que l’histoire va finir par submerger cet existant sclérosé pour donner naissance à de nouvelles formes de défense collective des salariés. L’expliquer, mais aussi commencer à agir pour cela. Et pour cela nous guérir au passage du mal d’amour ancien qui nous fait voir la CGT comme le « cœur de la classe ».

 

 

Rien n’est résolu dans la CGT après la réunion du comité confédéral national (CCN) du 13 janvier, structure de direction qui rassemble les responsables des 33 fédérations professionnelles et des 96 unions départementales. Cela ne fait pas plaisir à dire ou à écrire, notamment quand on pense aux militantes et militants qui font la richesse de la CGT, mais il est peu probable que la solution soit trouvée rapidement. Le choc a touché la CGT à la tête, c’est-à-dire, pour la tradition CGT, à la clef de voûte. Mais c’est la charpente qui menace d’écroulement, alors que les pierres sont encore solides. C’est pourquoi pour certaines équipes syndicales, il est nécessaire d’envisager de rebâtir le bâtiment, mais autrement. Voilà le défi, il est énorme : une refondation démocratique et stratégique.

Le 13 janvier, rien n’a été résolu pour personne. Ni pour la « solution Lepaon sans Lepaon », c’est-à-dire Philippe Martinez, secrétaire général de la Fédération des métaux devenant secrétaire général de la CGT, qui avait envisagé, avant que le CCN ne le refuse, de s’entourer d’une équipe qui n’aurait fait qu’aggraver la crise. Ni une solution donnant à voir pour le salariat et pour les syndiqué-es une image d’ouverture courageuse, de vrai contre-choc démocratique. C’est pourtant ce que l’intervention de Louis Viannet (Le Monde, 6 janvier) avait soutenu avec une grande lucidité : « Il vaut mieux regarder la réalité en face, aussi dure soit-elle […]. Lors du départ de Bernard Thibault, Il est bien apparu des signes qu’un mal-être était déjà présent, dû sans doute au retard pris dans l’évolution de la CGT ». Et Louis Viannet de préconiser un « véritable aggiornamento de la CGT ». Mais si Thierry Lepaon a démissionné, c’est sa solution qu’il a cherché à réimposer, montrant que l’intervention des trois précédents secrétaires généraux (Séguy, Viannet, et Thibault, sur un mode plus discret) n’a pas suffi à régler les questions. Ce qui s’explique par un acharnement des forces de résistances d’un appareil recroquevillé (et difficile à cerner politiquement) qui se braque et menace la CGT tout entière. Cet appareil cherche à mener une guerre d’usure, qu’il n’est pas sûr de gagner sur le fond, mais qu’il peut gagner par lassitude.

En effet, même si dans sa conférence de presse, Philippe Martinez annonce la mise en place autour de lui d’un nouveau groupe de travail voté à l’unanimité, la première solution « Martinez-Le Paon » n’a recueilli que 57% des voix (il en faut statutairement les deux tiers). Et même moins que cela, puisque la Fédération de la santé, contrairement à son mandat très clair, n’a pas hésité à mettre ses 36 voix dans le projet « Martinez-Le Paon », ce qui est qualifié de « méthode mafieuse » par certains (Le Monde, 15 janvier). Sans ce coup tordu, on frise les 50/50 dans le CCN, et non 57%.

Tout est donc renvoyé au prochain CCN les 3 et 4 février. Mais entre-temps, la commission exécutive confédérale (CEC), la structure de direction élue par le 50e congrès de 2013, se sera réunie à plusieurs reprises, et le rapport des forces n’y est pas le même. Le CCN relèvera-t-il le défi politique en prenant des mesures audacieuses dont il a le pouvoir ? Ce serait le moment. Mais encore faut-il bien cerner ce dont la crise actuelle est le nom.

La CGT orpheline d’un projet syndical

Successivement, les mandats de Louis Viannet et de Bernard Thibault ont entrepris de nettoyer le vieux logiciel d’une confédération ayant l’habitude de se vivre comme la « première » de toutes et éternelle, parce que la plus en phase avec « la classe ouvrière ». Viannet a géré le choc de l’écroulement du mur de Berlin, de l’offensive du néo-libéralisme mondialisé qui a rencontré des résistances dont le vaste mouvement de décembre 95 a été le point de départ durable. Il a bâti la stratégie du « syndicalisme rassemblé » sur ce mouvement ascendant, dont Bernard Thibault fut le symbole rajeuni, à commencer par son propre secteur professionnel, les cheminots, dont le prestige a duré longtemps, et persiste encore. La CGT a largué les amarres avec la Fédération syndicale mondiale (FSM) en 1995, et adhéré à la Confédération européenne des syndicats (CES) en 1999. Elle a fait des efforts pour recentrer son implantation dans le secteur privé, et notamment dans le nouveau salariat du commerce et des services, dans les PME, chez les cadres, dans des bassins d’emplois qui étaient des déserts syndicaux aux lisières des agglomérations (syndicats de site, unions interprofessionnelles de type nouveau, de bassins d’emploi, etc.). Des résultats ont été obtenus, même s’ils sont modestes, avec un filet de recrutement qui semble cependant se tarir depuis un an ou deux.

Elle a surtout tenté de résoudre un tabou : vivre sans le PCF, qui était de fait le réseau non statutaire faisant fonction de ciment humain, culturel et directionnel (et parfois matériel, et même financier, comme le montre le livre « Les vingt ans qui ont changé la CGT » (Leïla de Comarmond, Denoël, 2013). S’affranchissant du PCF comme « correspondant » politique de la CGT, comme cela a été le cas durant des dizaines d’années, le navire CGT a heureusement sauvé sa route dans les années 1990 et 2000. On a même pu dire que la « courroie de transmission » a fonctionné un moment à l’envers. Mais il restait quand même un habitus, une culture, des mœurs (« en être » ou pas). Et dans les moments où il faut choisir des personnes, résoudre des questions douloureuses sur le plan matériel et organisationnel (cotisations, structures), l’absence d’une forte légitimité implicite est devenue un handicap majeur. Or le PCF n’était plus du tout une « solution ». Il a lui-même connu bien des débats houleux (le « huisme » comme tentative de rénovation non stalinienne n’a pas laissé des traces impérissables en son sein), qui se sont parfois réfractés dans la CGT (avec des « modernistes » et des « enclumes » dans les deux endroits), mais souvent aussi sur d’autres lignes de différenciation que la reproduction mécanique des courants du PCF, même si des allégeances persistent sous une forme déformée, parfois surprenante, mystérieuse (les « huistes » de l’énergie ou d’autres) ou caricaturale.

La solution provisoire a été, sous Thibault, une sorte de refus obsessionnel du « politique », histoire de couper les ponts, qui a débouché, notamment en 2005, sur une crise à propos de l’appel au vote concernant le Traité constitutionnel européen. Beaucoup d’équipes ont heureusement refusé de confondre arrêt de la courroie de transmission à l’ancienne, et dérive vers une sorte de « neutralité » de fait. La clef d’explication de cet épisode est sans doute le refus d’assumer une lecture politique (au bons sens du terme et traduite en langage syndical) de la critique du libéralisme européen. Moins que jamais aujourd’hui, le PCF et ses courants internes, ni aucune autre force politique (Front de gauche y compris), ne peuvent être des référents utiles pour cimenter une orientation cohérente et résoudre des problèmes d’appareil. Par contre, la dépolitisation aboutirait à dévaler très vite une pente d’adaptation aux sirènes libérales, et pas du tout à « resyndicaliser » la CGT, comme Thibault l’a parfois défendu (et c’est une vraie nécessité).

La France est un pays politisé. Il faut donc trouver une « solution CGT » ou syndicale à ce qui s’appelle « l’alternative politique », et cette solution ne peut être qu’un projet syndical pluraliste de résistance au libéralisme, mais interpellant fermement toute la gauche sur des alternatives concrètes, sans être à la remorque de personne. Cela suppose aussi de construire des mobilisations unitaires pour combattre les politiques d’austérité de l’actuel gouvernement et les provocations du Medef. Cela peut passer aussi par des actions communes bien ciblées avec les forces de gauche (manifestation du 12 avril 2014 contre l’austérité, du 15 novembre sur le budget), car l’heure est grave dans le pays (comme elle l’était avant le Front populaire de 1936, même si la période est très différente), et plus encore après les assassinats dont Charlie Hebdo et des citoyens juifs ont été l’objet et après la formidable mobilisation populaire du 11 janvier.

Reformuler les perspectives stratégiques

Les attentes du salariat à l’égard du syndicalisme d’aujourd’hui ne sont pas celles des années 1950, ni des années 1970. Beaucoup de travaux l’ont montré, et récemment ceux de Jean-Marie Pernot (« De quoi la désyndicalisation est-elle le nom », in Histoire des mouvements sociaux en France, 1814 à nos jours, dir. Michel Pigenet, Danièle Tartakowski, La Découverte, 2013), ou ceux de chercheurs en sciences sociales. Il y a bien sûr les changements de structure de l’économie et du salariat : sous-traitance, PME adossées aux multinationales apatrides, éclatement des statuts, externalisation, féminisation, sans-papiers, contrats courts en tout genre, surexploitation, insécurité partout… Ce qui fait « classe commune » est plus que jamais à construire dans l’auto-organisation syndicale et de lutte, pas à pas. Pour cela, une inventivité démocratique et sans formalisme est absolument indispensable : pas de corset bureaucratique, place à l’initiative, à l’intelligence collective, au pragmatisme avec les jeunes surtout. En un mot, construire les structures adaptées aux hétérogénéités de la vie professionnelle.

Mais justement, parlant de « profession », il faut parler du « travail » vécu, soumis aux injonctions déshumanisantes du management néo-libéral, empêchant le travail bien fait et refusant la reconnaissance des inventions collectives et personnelles des salarié-es. Or, c’est ce déni qui détruit la santé au travail (psychologique autant que physique), et étouffe dans l’œuf l’autonomie des collectifs. Il convient donc de reprendre les choses à la racine, et que le syndicalisme se ressource dans la compréhension de « ce qui se passe » au travail, et pas seulement dans l’emploi. L’élaboration des revendications nécessite aujourd’hui de passer « par la porte du travail », c’est-à-dire par la délibération de ce qui s’y vit collectivement et individuellement. Et d’où peut émerger une nouvelle formulation des besoins.

Les revendications ont également besoin de tendre vers une nouvelle perspective émancipatrice, qui n’est pas moins nécessaire au XXIe siècle, 120 ans après la naissance de la CGT, qu’en 1906 (congrès d’Amiens). L’« émancipation intégrale » par la « double besogne, quotidienne et d’avenir », est le vrai fond dynamique de la Charte d’Amiens, et pas le refus étroit de toute action avec le « politique ». La « socialisation des moyens de production », introduite plus tardivement, fut rayée des statuts au congrès de 1995, parce qu’elle était comprise comme étatisation bureaucratique (et justement on voulait à l’époque rompre avec cela). Soit. Mais ce qui se développe dans les SCOP ou dans les projets alternatifs et autres « solutions industrielles » (SANOFI, etc.), c’est l’expérimentation d’une autre forme d’appropriation collective passant par la gestion concrète sans patron, certes menacée par l’environnement capitaliste, mais qui peut aussi ouvrir la voie à une économie solidaire respectueuse de l’environnement, et même à des reconversions industrielles complètes basées sur d’autres technologies.

Mais la reconversion nécessite la sécurité du salaire ! Et justement la sécurité sociale et son outil, la socialisation du salaire, reste à généraliser par le statut du salariat et la sécurité sociale professionnelle, entendue comme une alternative au marché du travail capitaliste, à la subordination et aux licenciements.

Tout cela peut déboucher sur l’audace d’un rapport décomplexé avec les « politiques » à gauche, déjà évoqué plus haut. Quand on sait où on va, on n’a rien à craindre de la confrontation, ni même à l’action sur des objectifs partagés et vérifiés soigneusement, tout en respectant les responsabilités propres des uns et des autres.

Il y a enfin la nécessité du rassemblement syndical, mais un rassemblement démocratique. Il ne s’agit donc pas d’un accord des seuls appareils nationaux, ni à l’inverse d’une simple manœuvre par le bas, tout aussi inefficace. Les salarié-es ont besoin de vérifier les propositions et stratégies des uns et des autres. Cela nécessite un débat public. D’où la proposition (voire Syndicats : Les cinq défis à construire, unissons-nous, éditions Syllepse, 2014) d’un Comité national intersyndical de dialogue, et d’action chaque fois que possible, ouvert sans limitation à priori. Certes les stratégies nationales sont contradictoires de bien des points de vue. Mais cette contradiction a besoin de démonstration publique, et elle n’est pas du tout vue de la même façon sur le terrain, dans les entreprises (où bien des équipes CFDT restent de vrais syndicats et non des « médiateurs sociaux »), que sur le plan des stratégies nationales. Simultanément, la nécessité existe de rassembler sans attendre celles et ceux qui partagent les mêmes approches revendicatives et d’action. La très grande crainte CGT d’admettre une vraie démarche publique de rapprochement rapide avec la FSU, et Solidaires, relève du même réflexe auto-protecteur qui mine son appareil national. Les salarié-es attendent de l’audace, de l’invention et non un repli sur les certitudes. Ouvrir les fenêtres : c’est souvent ce que font (sans le théoriser) les nouvelles équipes qui se construisent, et se heurtent parfois, incrédules, à des formalismes incompréhensibles dans leur organisation.

D’où l’espoir entendu souvent ces jours derniers : la CGT vivra si elle sait prendre des initiatives refondatrices audacieuses. Les mêmes audaces qui ont permis il y a 120 ans la confédéralisation des fédérations et des bourses du travail, pour faire face aux exigences d’une époque de fermentation sociale, parfois dans un joyeux désordre, mais en prise sur la vie.

 

 

 

 

 

CGT: Viannet parle

Ces propos se suffisent à eux-mêmes.

 

Louis Viannet : Thierry Lepaon doit ‘‘remettre son mandat’’.

Le Monde.fr – 5 janvier 2015
Ancien secrétaire général de la CGT, de 1992 à 1999, Louis Viannet, 81 ans, est une autorité morale dont la parole a beaucoup de poids dans la centrale. C’est lui qui a amorcé un aggiornamento de la CGT – notamment en démissionnant, en décembre 1996, du bureau politique du Parti communiste – que Bernard Thibault (1999-2013) a poursuivi.
A la veille de la réunion de la commission exécutive qui doit se pencher sur le sort de Thierry Lepaon, mis en cause dans plusieurs affaires (travaux dans son logement de fonction et dans son bureau au siège de la CGT, prime de départ quand il a quitté les fonctions syndicales qu’il exerçait dans la région Basse-Normandie pour diriger, en mars 2013, la confédération), M. Viannet a choisi de sortir du silence. Il invite M. Lepaon à « remettre son mandat ».
Comment analysez-vous la crise qui traverse aujourd’hui la CGT ?
Louis Viannet : Par sa durée, par les principes et les valeurs qu’elle malmène, la crise qui secoue actuellement la CGT dans ses profondeurs est sans précédent. Les traces qu’elle va laisser peuvent générer des situations difficilement maîtrisables, des meurtrissures durables, mettant à mal les difficiles progrès réalisés dans le « vivre-ensemble » et rendant difficiles les rapports entre les militants, entre différentes organisations ou structures de la CGT, affaiblissant ainsi ses capacités d’actions.
Toutes les pistes permettant d’éviter ou de limiter déchirements, divisions, affrontements, dans les débats qu’il va falloir conduire dans la commission exécutive, le comité confédéral national [CCN], et à tous les niveaux de l’organisation, doivent être explorées. Cela suppose une volonté commune d’avancer vers une situation apaisée.
A la base, il y a beaucoup de colère qui s’exprime. Une sortie par le haut est-elle encore possible ?
Certains tentent de s’abriter derrière « les fuites » et l’importante campagne médiatique pour justifier leur recherche du maintien du statu quo, faisant fi des nombreuses réactions négatives connues en regard d’une telle perspective. D’autres considèrent que les conciliabules de sommet entre ceux et celles qui savent, peuvent suppléer au nécessaire débat démocratique qu’il va d’ailleurs falloir concevoir le plus large possible, si l’on veut rassembler toutes les forces vives de la CGT autour des décisions du CCN.
Dans leur énorme majorité, les militants tiennent la lorgnette par le bon côté et veulent, avant tout, sauvegarder le potentiel de mobilisation et de rassemblement de leur CGT. C’est pourquoi mieux vaut regarder la réalité en face, aussi dure soit-elle.
Certains, à la direction de la CGT, évoquent un complot…
Certes les fuites ont bel et bien existé, la pression médiatique également. Mais, si aucune faute n’avait été commise, il n’y aurait aujourd’hui ni fuite ni campagne des médias. Qui plus est, ces fautes impliquent le secrétaire général, dès lors les problèmes prennent une autre dimension.
Car c’est ainsi. On peut le regretter, on peut souhaiter que les choses soient différentes demain mais, pour le moment, le secrétaire général n’est pas seulement le porte-parole de l’organisation, il est d’abord son porte-drapeau. On le regarde, on l’écoute, on le juge et tout ce qui porte atteinte à son image, tout ce qui affaiblit son crédit, entame l’image et le crédit de l’organisation. Il ne faut donc pas s’étonner si la grande partie des militants, des syndiqués, a ressenti un choc à l’annonce des affaires, appartement, bureau, puis prime de départ, niveau du salaire…
Autant de pratiques pas vraiment habituelles dans la vie de l’organisation. Elles ont été ressenties comme tellement contraires à l’idée généralement admise du secrétaire général de la CGT que seul un démenti aurait pu rassurer ; tandis que toute tentative de justification ne pouvait qu’accentuer la méfiance.
Au-delà n’est-ce pas la CGT et même le syndicalisme qui sont atteints par cette crise ?

C’est plus que l’image qui est ternie. Ici, c’est le doute sur la sincérité avec laquelle la CGT défend bec et ongles ses valeurs fondamentales. C’est l’amalgame, le « tous les mêmes » qui vient humilier ceux et celles qui, chaque jour avec dévouement et abnégation, aident les salariés à résister. C’est d’autant plus dommageable que cela s’inscrit dans un climat de défiance générale et grandissante vis-à-vis des institutions à laquelle n’échappe pas le syndicalisme.
Il va donc falloir innover, intensifier les améliorations dans la vie et le fonctionnement démocratiques de toutes les structures de la CGT si l’on veut retrouver rayonnement et confiance et surtout donner un nouvel élan à la culture du débat pour permettre à tous et à chacun la possibilité d’exprimer et défendre ses idées et de les soumettre à la discussion collective. Le désaccord doit être intégré comme un élément du débat et non de division.
Le malaise que vous évoquez n’est-il pas antérieur à l’élection de Thierry Lepaon ? Loin de moi l’idée de penser que les problèmes sont arrivés avec Thierry Lepaon. A plusieurs reprises, et récemment lors du départ de Bernard Thibault, il est bien apparu des signes qu’un mal-être était déjà présent, dû sans doute au retard pris dans l’évolution de la CGT.
C’est donc aux dirigeants d’aujourd’hui qu’incombe la responsabilité d’impulser un véritable aggiornamento de la CGT, à partir de l’inventaire des dysfonctionnements – qui reste à faire. Les travailleurs ont besoin d’une confédération en pleine possession de ses moyens. Le contexte actuel n’est, hélas, pas le meilleur souhaitable. La crédibilité perdue du secrétaire général à l’intérieur comme à l’extérieur est, en soi, un lourd handicap de départ.
Dans ce contexte, que doit faire Thierry Lepaon ?

C’est au CCN d’assumer ses responsabilités et de prendre les décisions qu’il considère les meilleures ou les moins mauvaises quant au devenir de la CGT en ayant en permanence en ligne de mire l’unité de l’organisation, le rassemblement de toutes ses forces et la mobilisation de l’ensemble des valeurs qui nous rassemblent.
En clamant sa volonté de rester coûte que coûte dans sa responsabilité, Thierry Lepaon tend à confondre détermination et entêtement. Ce faisant, il rajoute encore de la tension dans le débat qui en a déjà suffisamment, alors que sa fonction lui commande le contraire.
Un tel climat, une telle tension peuvent, à tout moment, donner lieu à des affrontements, à des déchirures, lourdes de conséquences pour la CGT, à un affaiblissement dangereux au moment même où la mission historique qui est la sienne, nécessite renforcement, dynamisme, confiance et unité.
Tout doit donc être tenté pour garder une CGT unie et des rapports humains pacifiés. Pour sa part, et dans le cadre des efforts communs, le secrétaire général se grandirait, en cette année de 120e anniversaire de la création de la CGT, en annonçant publiquement, et avant même la réunion du comité confédéral national, sa décision de remettre son mandat à la disposition du CCN. C’est, pour lui, la seule façon de participer positivement à l’écriture des pages à venir de l’histoire de la CGT.

Propos recueillis par Michel NOBLECOURT

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